L’Actualité RECOURS SYSTÉMATIQUE À LA DÉTENTION PROVISOIRE

L’exception devenue la règle

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Samir OULD ALI Publié 19 Septembre 2021 à 00:43

© Archives Liberté
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Le placement systématique des personnes en détention provisoire, poursuivies pour des délits d’opinion, pose à nouveau la problématique du recours abusif à une mesure dite d’exception.

Mesure exceptionnelle dans la législation, la détention provisoire est progressivement devenue la règle dans le système judiciaire algérien et ce, au grand dam des juristes et militants des droits de l’Homme qui ne cessent de dénoncer des dysfonctionnements d’une justice qui peine à convaincre de son indépendance. Les annales judiciaires regorgent de cas de mise en détention préventive pour des délits de gravité discutable.

En 2006, Farouk Ksentini, ancien président de la Commission consultative nationale de promotion et de protection des droits de l’Homme, et avocat que l’on ne peut soupçonner d’antagonisme envers le régime en place, avait admis le recours abusif à la détention provisoire en raison, selon lui, de “dysfonctionnements de la justice”, notamment dans l’application de la loi par les magistrats instructeurs.

Il avait estimé que des infractions d’ordre moyen ne nécessitaient pas le recours à cette mesure privative de liberté et préconisé la mise en place d’une institution séparée du juge d’instruction qui déciderait de la libération ou non du prévenu.

En 2019, chacun de son côté, avocats et magistrats s’étaient alarmés de l’état de la justice et souligné l’importance de l’émancipation de l’appareil judiciaire pour le bien de la démocratie et du droit.

En novembre de la même année, alors que l’ancien ministre de la Justice, Belkacem Zeghmati, n’hésitait pas à recourir à la “repression” pour mater la rébellion des magistrats à l’intérieur même du palais de justice d’Oran, l’Algérie enregistrait de nombreuses interpellations de hirakistes et leur placement en détention préventive pour avoir brandi l’emblème amazigh, pris part à une marche de protestation ou dénoncé l’organisation annoncée de l’élection présidentielle du 12 décembre. 

Le recours systématique à la détention provisoire avait été dénoncé par les avocats comme un “grave dérapage et une dangereuse violation des droits de l’Homme”. Ce qui, en l’occurrence, tombait sous le sens si l’on se reporte au code de procédure pénale algérien qui regroupe les textes législatifs relatifs à la procédure pénale.

Dans son article 123, le code précise que la détention provisoire est une “mesure exceptionnelle” à laquelle le juge d’instruction ne peut recourir que “si les obligations de contrôle judiciaire sont insuffisantes”. 

Pour le législateur, le mandat de dépôt doit être prononcé uniquement dans les cas suivants : lorsque l’inculpé est poursuivi pour “faits extrêmement graves”, qu’il ne dispose pas de domicile fixe et ne présente pas de garanties de représentation devant la justice ; lorsque la détention provisoire est l'unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertation entre inculpés et complices risquant d'entraver la manifestation de la vérité ; dans le cas où cette détention serait nécessaire pour protéger l'inculpé, pour mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement. Enfin, lorsque l'inculpé se soustrait volontairement aux obligations découlant des mesures de contrôle judiciaire sans motif valable.

L’article 124, lui, stipule qu’en matière de délit et lorsque le maximum de la peine prévue par la loi est inférieur ou égal à trois années de prison, l'inculpé domicilié en Algérie ne peut être détenu, sauf dans les cas où l'infraction aurait entraîné mort d'homme ou causé un trouble manifeste à l'ordre public.

Aujourd’hui, nous assistons toujours à des interpellations suivies de mise en détention provisoire de citoyens ayant osé critiquer le pouvoir ou la gestion des pouvoirs publics.

“C’est la politique du tout-répressif choisie pour faire taire toute voix discordante”, s’alarme Farid Khemisti, avocat du barreau d’Oran, en dénonçant de graves violations des droits de l’Homme. “La détention provisoire a pourtant réellement été une exception en Algérie.

Dans les années 1970 et 1980, nous avions affaire à des magistrats qui appliquaient la loi et la détention préventive n’était pas systématique”, se souvient l’avocat en situant “le tournant” au milieu des années 1990 avec le scandale des cadres incarcérés qui a vu des milliers de gestionnaires placés derrière les barreaux sous le gouvernement Ahmed Ouyahia.

“Depuis cette affaire-là, la détention provisoire a graduellement pris le pas sur la mise en liberté des inculpés”, estime Me Khemisti en rappelant l’urgence de l’affranchissement de la justice du pouvoir exécutif. 
 

S. OULD ALI

 

 

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