L’Actualité Fraude au baccalauréat

La mauvaise note !

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Samir OULD ALI Publié 24 Juin 2021 à 09:52

© D.R
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Le fléau de la triche au baccalauréat est devenu presque une constante qui pollue une épreuve censée couronner un cycle d’efforts scolaires. C’est aussi un casse-tête chinois pour le ministère de l’Éducation qui doit chaque année redoubler de moyens pour en limiter l’ampleur.

Les examens du baccalauréat sont de nouveau entachés de fraude. Le ministère de la Justice a annoncé, hier, que les efforts des pouvoirs publics pour lutter contre la tricherie aux examens du baccalauréat ont abouti au suivi de 62 personnes, dont 26 ont été incarcérées, et 7 ont été placées sous contrôle judiciaire.

Vingt-huit d'entre eux ont été condamnés à des peines de prison allant de 6 mois à trois ans, avec une amende pouvant aller jusqu'à 500 000 dinars. La fraude susvisée a été instruite par les tribunaux spécialisés des communes de Laghouat, M'sila, Guelma, Djelfa, Sétif, Mila, Tebessa, Ghardaïa, Tipasa, Tissemsilt, Blida, Bouira, Chlef, Mascara et Mostaganem, précise le communiqué.

Les faits, objet de suivi, sont le délit de publication des sujets et réponses des épreuves du baccalauréat à l'aide de moyens de communication à distance. Ainsi, malgré les mesures préventives prises par l’administration pour assurer le bon déroulement du baccalauréat (interdiction des téléphones et appareils électroniques dans les classes d’examen, usage du détecteur de métaux à l’entrée des centres, coupures de la connexion internet, mise en place d’un dispositif policier…) et la menace de prison qui pèse sur les éventuels fraudeurs, des candidats n’ont pas peur de courir le risque pour décrocher le précieux sésame.

Une situation qui n’étonne pas Bachir Hakem, ancien professeur de mathématiques à Oran. “Ce phénomène est naturel et n’étonne plus personne. Tout au long de l’année, l’élève constate qu’il évolue dans une société où la triche et la corruption sont impunies, que les sujets d’examen se vendent le plus normalement du monde, que son propre comportement de tricheur en classe n’est pas puni… Il est normal qu’il tente de frauder au baccalauréat”. Et de déplorer le cas d’enseignants violentés ou agressés parce qu’ils ou elles avaient tenté de s’opposer à la triche. “La banalisation des actes de fraude et l’impassibilité de l’administration face à ces comportements ont conduit ces enseignants à laisser faire pour éviter les problèmes.”

La fraude au baccalauréat a connu un retentissement inédit en 2013 à l’épreuve de philosophie, lorsque les candidats se sont rendu compte que les sujets proposés ne correspondaient pas au programme étudié. Plusieurs wilayas du pays ont été secouées par des débordements dans les centres d’examen (dégradation du matériel, usage d’armes blanches…) et des milliers de cas de triche ont été enregistrés. Une fraude collective à l’issue de laquelle plus de 3 000 tricheurs ont été épinglés et condamnés, dans un premier temps, à une exclusion allant de 3 à 5 ans avant qu’une commission ministérielle chargée de réexaminer les dossiers ne ramène la sanction à une année.

Sur leurs relevés de notes, les candidats fraudeurs ont découvert la mention “A triché”, une invention algérienne qui a beaucoup fait sourire. Ces “condamnations collectives”, rappelons-le, n’ont pas fait l’unanimité notamment à Alger où des candidats, qui ont estimé ne pas être concernés par cette fraude, ont exprimé leur colère par une manifestation. Furieux par ce qu’ils ont qualifié d’injustice, ils ont exigé un réexamen des dossiers au cas par cas, tout en accusant certains surveillants et encadreurs de complicité avec les véritables candidats fraudeurs…  

Trois ans plus tard, en mai 2016, le baccalauréat algérien connaîtra l’un des pires épisodes de son histoire. Une fuite massive des épreuves à travers les réseaux sociaux (Facebook), qui aurait touché, selon des estimations, entre 35 et 45% de l’ensemble des sujets, a entraîné une vaste campagne d’arrestations dans le milieu de l’Éducation nationale. Des enseignants, des chefs de centre et des cadres de l’Office national des examens et concours (Onec), soupçonnés d’être impliqués dans la fraude, ont été identifiés grâce à leurs adresses IP et interpellés par la Gendarmerie nationale dans pas moins de 30 wilayas.

Les résultats de l’enquête sur l’ampleur réelle de la fraude et des dégâts occasionnés devaient déterminer la conduite à tenir par le gouvernement et, surtout, la ministre de l’Éducation de l’époque, Nouria Benghabrit, déjà très peu appréciée par les milieux conservateurs qui demandaient son départ en raison de ses tentatives de réformer l’éducation. Ils n’étaient pas disposés aux changements proposés par la ministre comme l’introduction de l’arabe dialectal (darija) dans les manuels scolaires, que la sociologue avait proposé quelques mois plus tôt. Le scandale du baccalauréat avait été perçu comme une aubaine par les détracteurs de Benghabrit qui ont multiplié les appels à sa démission. Finalement, le baccalauréat 2016 ne sera pas annulé et une session de rattrapage partiel sera organisée en juillet…

La triche lors des examens, qui continue malgré la criminalisation des faits qualifiés désormais dans le code pénal d’“atteinte aux examens et concours”, passibles d’une peine pouvant aller d’une année à 15 ans de prison, les erreurs qui altèrent régulièrement les sujets des épreuves, l’incapacité de l’Éducation nationale à garantir des sujets inédits et soignés, la tendance à copier plutôt qu’à innover…, toutes ces défaillances confirment la faillite du système éducatif national. “La fraude aux examens du baccalauréat n’est qu’une finalité de l’ensemble du cursus de l’élève qui a évolué dans un environnement de triche. Nous avons besoin de tout réformer dans l’éducation et de rendre l’autorité aux enseignants, mais aussi d’appliquer la loi pour limiter la fraude aux examens”, estime Bachir Hakem qui dénonce l’impassibilité — qui frise la complicité — dont l’administration a fait preuve depuis des années face à la dégradation des conditions de l’enseignement en Algérie.

 


S. Ould Ali

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