L’Actualité Mahrez AÏt Belkacem, Consultant en ressources Humaines et membre du CARE

“la réforme de la Sécurité sociale est plus que délicate”

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Ali TITOUCHE Publié 15 Avril 2021 à 09:12

© D.R
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La destruction de plus en plus importante d’emplois formels concomitante à l’explosion de l’informel ne plaide pas pour l’accroissement des revenus de la Sécurité sociale et pèsera sans conteste sur l’aggravation du déficit”, analyse Mahrez Aït Belkacem.

Liberté : Les estimations provisoires du gouvernement anticipent une aggravation du déficit du système des retraites, à 690 milliards de dinars cette année. D’après vous, quels sont les facteurs favorisant ce mouvement haussier du déficit de la CNR de ces dernières années ?

Mahrez Aït Belkacem : Les estimations auxquelles vous vous référez sont exactes, mais les hausses que vous signalez entre 2019 et 2021 ne sont pas extraordinaires. Elles s’expliquent essentiellement par les revalorisations annuelles que la loi a prévues chaque 1er mai pour préserver autant que possible le pouvoir d’achat des retraités. La revalorisation est estimée à environ 35 milliards de dinars pour l’année 2020. Il y a aussi les nouvelles entrées des nouveaux retraités, dont les pensions sont en moyenne assez élevées. En tout état de cause, le déficit suffisamment important va continuer à s’aggraver et la réforme du système est plus que jamais à l’ordre du jour. Cela est le propre des pays ayant adopté les systèmes par répartition. La répartition est incontestablement équitable, elle organise la solidarité entre les actifs et les inactifs : ceux qui travaillent payent les pensions de ceux qui ont cessé de travailler. Or, pour qu’un tel système puisse fonctionner au moins en équilibre, les actuaires établissent un ratio d’équilibre entre le nombre des cotisants et le nombre des pensionnés. Ce ratio permettait d’assurer le paiement des pensions et l’équilibre du système. Dans le pays où ce système est né après la Seconde Guerre mondiale et dont nous avons hérité du modèle – je veux parler de la France –, il a pu fonctionner à peu près correctement durant les fameuses “trente glorieuses” qui ont suivi la fin de la guerre. L’Algérie indépendante a repris à son compte le régime par répartition et a pu en assurer le fonctionnement grâce, en particulier, aux revenus dégagés par la rente pétrolière. Le régime a joué un rôle de redistribution remarquable permettant à la société de profiter d’un bien-être social incontestable. Or, la chute brutale des revenus pétroliers dès 2014 a sonné le glas du modèle rentier sur lequel s’appuyait l’économie algérienne. La crise sévère des finances publiques est aggravée depuis 2020 par la pandémie, et la menace qu’elle fait peser sur la capacité de reprise économique n’augure pas de jours meilleurs. La destruction de plus en plus importante d’emplois formels concomitante à l’explosion de l’informel ne plaide pas pour l’accroissement des revenus de la Sécurité sociale et pèsera sans conteste sur l’aggravation du déficit que vous évoquez.

D’après vous, quelles sont les mesures nécessaires à l’amélioration des comptes du système de retraite ?   

Les remèdes sont bien connus et douloureux. Si on veut rétablir le déséquilibre des systèmes de retraite, on doit soit agir sur les rentrées ou sur les sorties. En plus clair, on doit augmenter les recettes du régime de retraite. On peut le faire soit en agissant sur les taux de prélèvements obligatoires, mais ce faisant on rend les coûts indirects du travail plus prohibitifs et on s’expose à obérer les coûts de l’investissement et donc de rendre plus dispendieuse la création d’emplois formels, favorisant l’informel ; soit en faisant peser plus lourdement le fardeau sur la fiscalité. Or, la fiscalité ordinaire est loin de pouvoir offrir les performances que la fiscalité pétrolière permettait jusque-là. Ou alors, on réajuste le taux de remplacement des revenus en réduisant les niveaux des pensions déjà particulièrement mis à mal par l’effet conjugué de la hausse des prix et du glissement du dinar. Cette solution a peu de chances de rencontrer un soutien populaire massif ; en particulier en ces temps où l’effervescence sociale est à son apogée. On peut aussi agir sur la durée du travail, comme semblent le suggérer les progrès de la médecine et l’espérance de vie qui permettrait de demander aux gens de travailler plus longtemps pour prétendre au départ à la retraite. Outre le peu d’estime que les travailleurs manifesteraient à l’endroit d’une telle réforme, elle a le désavantage de réduire le nombre de postes à offrir aux jeunes qui arrivent sur le marché du travail. C’est dire que la réforme de la Sécurité sociale est une des réformes les plus délicates à entreprendre, même si elle ne saurait souffrir un plus grand retard.

Pour tenter de résorber le déficit, l’État comptait sur le principe de solidarité entre les différentes caisses, à savoir la Cnas, la Cnac et le CNR, en plus du sempiternel soutien de l’État au moyen de différentes formules, dont, entre autres, la mobilisation des ressources du FNI. N’est-ce pas une approche peu viable sur le long terme ?

La solidarité entre les différentes caisses n’est, certes, pas une mauvaise chose pour peu qu’elle suffise à combler le déficit. Parce qu’après tout, il s’agit de compenser les déficits avec les excédents des autres risques sociaux pris en charge. Cette solidarité est mise en œuvre par des mécanismes juridiques mis à la disposition du département ministériel de tutelle. Il suffit au ministre concerné de prendre un instrument réglementaire pour répartir les recettes en faveur du risque déficitaire. À ma connaissance, il n’y a eu qu’une seule période où on s’est opposé à ces transferts ; c’était durant le programme d’ajustement structurel imposé par les institutions de Bretton Woods qui avait imposé à l’Algérie l’adoption d’une loi pour autoriser, le cas échéant, les excédents de la caisse de chômage aux autres risques déficitaires. Cette contrainte légale ayant au demeurant été levée dès la fin du programme d’ajustement structurel. Ce qui a malheureusement été utilisé pour financer des activités qui relèvent des obligations de l’État, comme la création d’entreprises par les chômeurs ou l’encouragement du recrutement (réduction des coûts sociaux pris en charge par la Cnac). Je crains, malheureusement, que cette solidarité intercaisses ne suffise pas, pour la simple raison que le déficit des retraites n’est pas le seul risque à connaître un déséquilibre important. Par ailleurs, le recours au FNI est désormais une option caduque.

Le déficit chronique du système des retraites est dû, en partie, à la hausse du nombre des bénéficiaires, alors que le nombre de cotisants se contractait ces dernières années. Faut-il craindre un creusement du déficit sous l’effet de l’aggravation du coût social de la crise ?

Effectivement, le système par répartition a atteint ses limites et les perspectives de reprise ne sont pas très prometteuses. Surtout qu’aucun programme public n’est engagé pour préserver le tissu productif. Malgré les différents rappels du think tank Care dont je fais partie, aucun programme de sauvegarde des entreprises malmenées par la crise et la pandémie n’est mis en place pour garder à flots les entreprises. La disparition de nombreuses entreprises va continuer avec son lot de destruction d’emplois. Or, la dégradation des mécanismes de protection sociale risque d’être fatale à notre pays. Sa préservation, à commencer par celle du régime de retraite, devient fondamentale. Nous l’avons vu, l’ampleur de la crise ne saurait se suffire de réformettes. Il est temps qu’un débat inclusif et sincère soit proposé à l’ensemble des parties concernées. Il faut l’admettre, les régimes publics de retraite n’ont pas été conçus pour offrir le niveau actuel de prestations lorsqu’ils sont confrontés aux changements économiques majeurs que nous connaissons aujourd’hui. Il est plus que temps de panacher les régimes publics en y introduisant la part que peut y jouer le secteur privé. Je le disais plus haut, l’Algérie n’est pas seule à vivre cette crise du système par répartition ; de nombreux pays sont confrontés aux limites d’un système qui ne peut plus constituer, à lui seul, une réponse globale. C’est la raison pour laquelle la formule dite “à plusieurs piliers”, avancée par la Banque mondiale depuis de nombreuses années, reprend du sens. En effet, selon la Banque mondiale, la solution aux difficultés résiderait dans l’adoption d’un système comportant trois piliers consistant à privatiser une partie du système en ouvrant la voie au rôle joué par la capitalisation. Encore faut-il que les marchés financiers soient en mesure de proposer des produits à même de faire fructifier l’épargne qui chercherait à s’y placer. Et force est de constater que c’est loin d’être le cas. Si on réussit à engager un débat sur la sortie de crise, il faudrait bien engager une stratégie de passage d’un système à un autre. Il va sans dire que le choix de la stratégie dépend essentiellement de la légitimité des autorités publiques en charge de la réforme et de leur capacité à emporter l’adhésion des populations concernées.

Ne pensez-vous pas que l’équilibre de la CNR dépend en partie d’une lutte sans merci contre les activités informelles ?

C’est une évidence que l’ampleur que prend l’économie informelle n’est pas de nature à favoriser la résolution du déficit des caisses de sécurité sociale. Mais il faut, à mon sens, avoir une perception plus nuancée du secteur informel. Car, de quoi parlons-nous ? Que recouvre ce concept trop générique pour avoir une signification univoque ? Le secteur informel regroupe toutes les activités économiques que la comptabilité publique ne prend pas en compte. Cela va du petit camelot, vendeur à la sauvette, au dealer de stupéfiants, en passant par toutes les unités économiques qui échappent au fisc et aux prélèvements sociaux. On y trouve donc des activités utiles à l’économie nationale (déversoir de toute la main-d’œuvre qui ne trouve pas à s’employer dans l’économie formelle, pour une raison ou une autre), mais aussi des activités nuisibles à la société. Il faudra se poser la question de savoir pourquoi les activités utiles ne s’engagent pas dans un processus de formalisation et qu’on ne prend pas toutes les mesures pour encourager et faciliter cette formalisation.

 

Propos recueillis par : Ali Titouche

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