L’Actualité ARCATURES SOCIOLOGIQUES

LA RÉGION, CE RICTUS DU DÉMON

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Rabeh SEBAA Publié 17 Juillet 2021 à 00:46

© D. R.
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CHRONIQUE De : RABEH SEBAA

Foyers  de  tensions.   Pâle  euphémisme  pour  contourner  une  réalité sociétale en distorsion. Une contexture sociologique en nette disjonction. Prenant l’allure heurtée d’un chapelet de régions en convulsions. En émoi révulsé et en saisissante ébullition. En inquiétude, en effroi et en perpétuelles appréhensions. Des régions en attente d'écoute, d’attention et de considération. Brandissant, à présent, l’étendard de la désolation. De l’accablement et de la consternation. Exprimées sous forme de contestation, de protestation et de violentes manifestations. Dénudant, de nouveau, un faisceau de symptômes, au sens clinique du terme. Une constellation de douleurs, de souffrances et d’afflictions. 
Des mortifications communes à ces régions qui en sont devenues le criant chancre de fixation. Une marque de fabrique et un label amer d’identification. Un syndrome en partage, qui se trouve en état de latence, dans l’ensemble des autres régions du pays. Et qui ne saurait se réduire aux désastreux dégâts économiques, matériels, voire humains. Encore moins au trivial problème de déficit d’emploi. Soigneusement empaqueté sous l’emballage euphémistique de chômage. Un stéréotype à la peau tenace. Cette tragédie “régionalisée” et cycliquement réitérée repose urgemment la question du rapport de la région à la nation. Le rapport de toutes les régions algériennes dans leur intrinsèque pluralité à la nation dans toute l’étendue de son intime globalité. 
Elle repose la question de leur fondamentale et irrévocable diversité. Et donc leur articulation clairvoyante sous forme de rapport dialectique du régional au national. Loin de la frilosité entêtée, pour ne pas dire de la glacialité étêtée, qui a durablement habité leurs rapports. En dichotomisant exagérément les mots région et nation. En les antithétisant. Et en sursautant chaque fois que le mot région est prononcé même furtivement. L'occasion de vociférer sur toutes sortes de conspirations. Ourdies on ne sait par quelle main invisible contre l’intégrité de la nation. Occultant par là toute possibilité de saisir les articulations contradictoires du régional au national. Et c'est ainsi que la question de la régionalité, et partant celle de la régionalisation, a de tout temps été, décriée, rejetée, niée. Exilée en permanence du spectre d’un champ politique sacrément exigu. Une vision du politique qui confond verrouillage et cécité. Un aveuglement au cœur duquel l'ignorance à fini par élire durablement domicile. L'ignorance tenace de la réalité régionale dans toutes ses différences et toutes ses dissemblances. 
Ces dissimilitudes régionales qui fondent précisément leur multiplicité sociologique, anthropologique et culturelle. Une mosaïque chamarrée qui fait l’Algérie. Une entité plurielle qui passe inéluctablement par la moulinette des institutions de l'État, supposé en garantir l'unité dans le foisonnement. Et c'est à l’État algérien centralisé d'assurer et d'assumer les modes et les formes d’articulation du régional au national. Pour pouvoir saisir les mécanismes vitaux de la société dans son intégralité. Pour comprendre le sens des mutations sociétales. Et pouvoir ainsi articuler les impérativités de la quotidienneté locale à la gouvernance fédérative dite nationale. Et où les particularités régionales se fendent structurellement dans cette même globalité nationale tout en conservant leurs spécificités fondatrices. Il s’agit, en clair, de reconnaître et réhabiliter les exigences propres à chaque région en rapport avec les nécessités de refondation symbolique et culturelle de la réalité sociétale. Dans ses multiples formes de manifestations régionales. 
Qui seules permettent de saisir les systèmes de représentations et de significations implicites ou explicites qui participent à la perception et donc à la construction des quotidientés locales dans une vision d’intégration nationale. Car la consolidation de l'État algérien dans une perspective dialectique de l'articulation du régional au national passe incontournablement par la reconnaissance de la réalité régionale. Dans toute la quintescence de sa multiplicité. Ce qui se passe depuis plusieurs régions, depuis plusieurs décennies est dramatique. Un drame qui ne saurait se réduire à l’une ou l’autre des dimensions souvent avancées. 
Ni les dérèglements économiques, ni les dérapages politiques, ni même le recours aux notions d’ethnicité, de tribalité, ou de religiosité, ne sont en mesure de contenir la multicomplexité de la régionalité. Préférer le recours à la tribalisation au détriment de la citoyennisation est la preuve cinglante d’une inaptitude et d’une impuissance de lire et de comprendre des pans sociétaux entiers. Elle dénote une incompétence criante dans le mode de gouvernance étatique. 
Y recourir est un raccourci commode qui n’est que la manifestation d’une paresse de l’esprit réitérée face à une situation inextricable et sacrément embrouillée. Et pour laquelle on est prompt à convoquer immanquablement la notion de chaos. Tellement galvaudée. Brandie machinalement, sans connaître sa véritable signification. Étymologiquement, le chaos signifie une grande béance. Et dans son contenu sémantique, cette notion de chaos signifie un état physique dans lequel on ne perçoit aucun ordre. Ou encore la manifestation violente d’un désordre. Or, le désordre est l’inexistence de l’ordre, fût-il réduit à l’ordre public dont le premier garant est incontestablement l’Etat. Et donc en toute logique, c’est l’État le générateur matriciel de chaos sous forme de déséquilibres économiques et de dysfonctionnements politiques. La crise économique et le problème du chômage qui n’en est qu’un épiphénomène sont les choses les mieux partagées par l’ensemble des régions algériennes. Il existe, bien évidemment, des dimensions caractéristiques à chacune d'entre elles, comme, en l’occurrence, une culturalité prononcée, qui vient se surajouter, en les aggravant, à des situations de déséquilibres sociétaux habituellement mal lus ou intentionnellement bien tus. 
Des déséquilibres sociétaux qu’on ne s’est jamais donné les moyens d’étudier, en profondeur. En vue de saisir les textures anthropologiques enchevêtrées des différentes aspirations des populations dans les différentes régions du pays. Une compréhension permettant de répondre, de façon appropriée, aux attentes diversifiées de ces populations des différentes régions, qui ne s’expriment, d’ailleurs, pas de la même manière, nonobstant le caractère violent commun aux différentes émeutes qui habitent le réel régional. Se donner les moyens d’étudier ce dernier, de le connaître et de le comprendre peut permettre de contourner nombre de malentendus. 
La connaissance de la texture sociologique et anthropologique de chaque région est un atout et un antidote extraordinaire contre toutes sortes de dérives. À condition de ne pas l’enserrer, voire l'enterrer, comme cela a été le cas, depuis l’indépendance, dans une gangue idéologique vêtue d'un carcan bureaucratique qui n’est ni plus ni moins qu’un musellement, déguisé en découpage administratif, générateur de privations, de frustrations et, par conséquent de violentes réactions. 
Les disparités régionales et les inégalités institutionnelles, tant décriées dans ces réactions, ne sauraient se limiter à telle ou telle dimension d’une région. Elle doit s’appréhender comme une lecture “symptomale” générale de pans entiers de la société algérienne. 
Le syndrome de régionalité, dans toute sa complexité, doit être soigneusement lu et décrypté. Et surtout cerné par un État présent. La présence de l’État n’a de sens qu’à l’épreuve du réel sociétal. L’État ne saurait donc être une entité homogène ou uniforme, mais une constellation d’actes institutionnels évolutifs et adaptables à des situations mouvantes ou contingentes. La région, comme lieu syndromique, ouvertement problématique, en est l’illustration incandescente.

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