L’Actualité SERGIO MATTARELLA, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE ITALIENNE

“L’Algérie, un acteur crucial Dans la Méditerranée”

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HASSANE OUALI /AKLI REZOUALI Publié 06 Novembre 2021 à 00:57

© D. R.
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C’est la première visite d’État qu’effectue un président italien en Algérie depuis dix-huit ans. Sergio Mattarella arrive aujourd’hui à Alger dans un contexte de “crise” entre l’Algérie et l’Union européenne. À ce propos, le chef d’État italien considère l’Algérie comme “un acteur crucial dans la Méditerranée et en Afrique”. Et “c’est pour cela que, en tant que pays fondateur de l’Union européenne,  nous  sommes  convaincus  de  l’opportunité d’un rapprochement entre l’Union européenne et l’Algérie, basé sur l’intérêt réciproque et sur un plan d’égalité et de parité”, soutient le président italien dans une interview accordée à “Liberté”. 

Liberté : Vous effectuez une visite d’État en Algérie, une première après la crise sanitaire. Quel sens donnez-vous à ce voyage ?
Sergio Mattarella : L’Italie et l’Algérie sont deux pays liés par l’amitié et l’histoire. La visite d’État que j’entame aujourd’hui, accompagné par le ministre italien des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, est une visite très attendue, dix-huit ans après la mission en Algérie de mon prédécesseur Carlo Azeglio Ciampi, en 2003. Nous nous rappelons que, quatre ans avant, le président Bouteflika, à l’issue d’une décennie tragique pour l’histoire de l’Algérie et peu après son élection, avait décidé de se rendre en visite d’État en Italie comme premier pays à l’étranger.  
La pandémie a durement touché l’Italie et l’Algérie. Aujourd’hui que l’urgence sanitaire s’atténue et que de bonnes conditions se créent, j’ai accepté avec grand plaisir l’invitation du président de la République Tebboune. Le moment était donc venu de témoigner davantage et d’une façon solennelle la profondeur et l’excellence des relations entre nos deux pays. 
Je suis convaincu que cette visite d’État, qui couronne un parcours d’importantes visites ministérielles dans les deux dernières années, constituera aussi le point de départ de la relance de nos relations. En tant qu’Italien et en tant qu’Européen, je considère la Méditerranée comme une composante qui a défini l’identité de mon pays et de l’Europe dans son ensemble. Être aujourd’hui en Algérie, pays méditerranéen et africain, est un symbole de notre identité commune et de nos valeurs partagées. 

L’Algérie  et  l’Italie  sont  liées  par  une  vieille  histoire  d’amitié. Les relations entre les deux pays sont-elles à la hauteur de cette amitié ?
Il faut d’abord souligner que les liens historiques entre nos deux pays ont des racines très profondes. Les échanges entre nos peuples ont été très intenses au cours des siècles et ont mutuellement enrichi nos identités. Pensez à ce que signifie et a signifié un personnage comme Aurelio Agostino d’Ippona, né à Thagaste. Au cours des siècles, notre proximité géographique a indubitablement favorisé le développement de flux commerciaux entre les deux rives de la Méditerranée, mer commune et patrimoine partagé de civilisations. Pour ce qui est de l’histoire récente, l’Italie a toujours été aux côtés de l’Algérie, de l’indépendance — et même avant — jusqu’à aujourd’hui. Nous avons accompagné l’Algérie au cours de son développement, d’une façon toujours mutuellement avantageuse et sur un plan de parité et, dans les moments les plus difficiles, telle que la décennie noire, nous n’avons jamais quitté ni laissé seule l’Algérie. Aujourd’hui, nous constatons une convergence de vues sur les principaux thèmes de l’agenda régional et international et une volonté commune de travailler ensemble pour la stabilité et le développement du continent africain et de la région méditerranéenne. 

Comment  appréciez-vous  l’état  de  la  coopération  économique entre l’Algérie et l’Italie ?
Le partenariat économique avec l’Algérie est solide et ancré dans le temps. Le commerce, après un déclin physiologique dû à la pandémie, est en train de se redresser. L’Italie est le troisième partenaire commercial mondial de l’Algérie (premier client et troisième fournisseur), tandis que l’Algérie est le premier partenaire commercial de l’Italie sur le continent africain. Le gaz représente la quasi-totalité de nos importations, tandis que l’Italie exporte principalement des machines qui sont utilisées dans différents secteurs de l’industrie algérienne. Nous nous réjouissons de contribuer d’une façon indirecte à la diversification économique de l’Algérie et du fait que les entrepreneurs algériens apprécient la qualité des machines industrielles italiennes ainsi que de l’échange d’expérience et d’expertise avec les techniciens italiens qui est toujours lié à l’achat de machines et des technologies italiennes.  Au-delà de la relation énergétique, le facteur qui caractérise nos relations économiques bilatérales est la présence constante et stable d’entreprises italiennes en Algérie — environ 200 entreprises — opérant principalement dans les secteurs des grandes infrastructures et de l’industrie de la défense. Beaucoup de ces entreprises, présentes depuis les années soixante-dix, ont contribué à la construction de certains travaux d’infrastructure les plus importants du pays et ont intérêt à continuer et même à relancer leurs activités en Algérie, en considération aussi de défis majeurs et de réformes envisagées dans le plan d’action du gouvernement algérien, surtout en faveur des nouvelles générations.

La flambée des prix et  le  resserrement de l’offre  sur  le marché gazier risquent-ils d’impacter  la  relation économique bilatérale, sachant  que l’Algérie est un fournisseur essentiel de gaz pour l’Italie ?
L’Algérie est le deuxième fournisseur de gaz de l’Italie et s’est toujours révélée un partenaire fiable sur lequel l’Italie va continuer à compter. Cela dit, du côté italien, il y a l’intérêt à diversifier le partenariat en explorant de nouvelles collaborations avec des entreprises algériennes dans des secteurs de nouvelles opportunités, tels les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les infrastructures de réseau et l’extraction et le traitement du marbre. Je suis d’accord avec ce qu’a récemment dit le président Tebboune : il existe en Algérie une grande complémentarité avec la structure économique italienne et le rôle des PME. Afin de renforcer notre coopération économique, nous suivons avec beaucoup d’attention la mise en œuvre du plan d’action du Premier ministre Benabderrahmane, qui vise à améliorer le climat des affaires dans le pays.

Votre  pays  est   un   des  fondateurs  historiques  de l’Union européenne. L’Algérie juge déséquilibrées ses relations avec Bruxelles.  Dans quelle mesure l’Union européenne pourrait-elle  contribuer  au développement économique de l’Algérie ?
L’Italie considère l’Algérie comme un acteur crucial dans la Méditerranée et en Afrique. C’est pour cela que, en tant que pays fondateur de l’Union européenne, nous sommes convaincus de l’opportunité d’un rapprochement entre l’UE et l’Algérie, basé sur l’intérêt réciproque et sur un plan d’égalité et de parité. Le nouvel agenda pour la Méditerranée, approuvé ces derniers mois par l’UE grâce à l’appui italien, indique clairement la prise de conscience d’aller dans cette direction. Nous pensons également que le plan économique et d’investissement pour la région proposé par les institutions européennes pourra jouer un rôle important dans le soutien du développement économique de l’Algérie.

La  Méditerranée  vit, depuis  quelques années, un  drame humain qui est celui de la migration. Les États de la région semblent impuissants face à cette tragédie. Pourquoi, selon-vous ? 
Malheureusement, l’Italie connaît très bien le drame que vit la Méditerranée depuis déjà quelques années. Notre pays, fort de sa culture d’accueil et d’ouverture vers le reste du monde et le Bassin méditerranéen, a été et reste toujours fortement engagé pour sauvegarder la vie des migrants en mer, qui est mise en danger par des réseaux de criminalité organisée qui exploitent les drames des individus et des familles, y compris des enfants. L’Europe et l’Afrique sont appelées à faire plus, sous le signe d’une collaboration ouverte, efficace, sincère, où les positions sont parfois distantes, mais toujours respectueuses et constructives.

Que faut-il faire pour venir à bout de ce drame ? 
Le phénomène migratoire doit être géré pour le bien de tous. Sinon, aussi bien nos organisations humanitaires que nos systèmes étatiques seront débordés. Pour cela, il faut s’attaquer aux causes profondes des migrations, notamment l’instabilité et l’insécurité de certaines zones en Afrique, qui demandent des solutions politiques et durables et le développement économique et social, une précondition pour assurer des opportunités aux nouvelles générations. Un modèle de croissance endogène et intégré, respectueux de l’environnement et des personnes, représente la meilleure réponse à des phénomènes migratoires incontrôlés. Les défis d’aujourd’hui offrent l’occasion, peut-être unique dans l’histoire, de travailler sur une vision élaborée ensemble.

Le Bassin méditerranéen est vécu plus comme une zone de tensions qu’un territoire de paix et de coopération. Vingt-cinq  ans  après son lancement,  le  Processus   de  Barcelone   a   fait  naufrage.   Quelle politique faut-il mettre en place pour faire de  cet  espace  un  lieu de paix et de coopération ? 
Il est certainement nécessaire que l’Union européenne s’engage davantage vis-à-vis du Bassin méditerranéen. Nous pensons que le nouvel agenda pour la Méditerranée, que je viens de mentionner, va dans le bon sens et qu’il peut réellement contribuer à la création de nouvelles formes de coopération entre les pays riverains. 

L’Italie est certainement favorable à l’établissement d’un partenariat renforcé entre l’UE et les pays de la rive sud pour mieux répondre aux défis de notre temps, en misant sur la promotion de l’État de droit, sur le soutien à un développement économique inclusif et durable, sur la transition verte et digitale, ainsi que sur l’avancement de la coopération en matière de sécurité, de résolution des conflits et de migration. 

L’Italie comme l’Algérie sont fortement impliquées dans la résolution de la crise libyenne. Là aussi, la communauté internationale peine à stabiliser la situation en Libye. Quels sont les facteurs et les acteurs de ce blocage ? 
Nos deux pays partagent des positions tout à fait comparables sur le dossier libyen. Tout comme l’Algérie, nous pensons que la condition essentielle pour parvenir à une paix durable en Libye est le respect de la feuille de route établie dans le cadre onusien, le processus de Berlin et le respect de la souveraineté libyenne.
Certes, la situation sur le terrain est actuellement complexe et caractérisée par des oppositions qui doivent être surmontées pour le bien du peuple libyen. Et la communauté internationale peut jouer un rôle dans cette perspective. Mais la solution à la crise ne pourra être que le résultat d’une volonté commune de tous les acteurs libyens impliqués, sans ingérence extérieure, conduisant à la mise en sécurité de tout le territoire libyen, à la tenue d’élections libres et au départ des mercenaires et des formations armées irrégulières.

À  l’occasion  de  votre  visite, vous  inaugurez  à  Alger  un  jardin qui portera le nom  d’Enrico  Mattei.  Quelle  portée  symbolique  donnez-vous  à  ce geste ?  
Nous attachons une grande importance au fait de donner le nom d’Enrico Mattei à un jardin d’Alger. Enrico Mattei était l’une des personnalités italiennes les plus marquantes de l’après-guerre et qui fait pleinement partie des bâtisseurs de la République italienne.
Défenseur tenace et convaincu des valeurs démocratiques, il a su, d’abord par sa participation active à la Résistance italienne et, plus tard, en tant qu’homme politique et protagoniste de la reprise économique, contribuer à la croissance civile et sociale de notre communauté nationale. Dans un pays fortement affaibli par la guerre, il a consacré son ingéniosité et ses extraordinaires capacités d’organisation à fournir à l’Italie les ressources énergétiques nécessaires à son développement.
À l’échelle internationale, sa vision du monde et le désir de surmonter les déséquilibres ont été précieux pour la relance de l’Italie et pour la construction de relations équitables avec les pays nouvellement indépendants. Son expérience est plus pertinente que jamais.
Enrico Mattei, qui a reçu à titre posthume la médaille des amis de la Révolution algérienne par le président Abdelmadjid Tebboune, a été un vrai ami de l’Algérie et nous espérons que, grâce aussi à ce jardin, les nouvelles générations pourront mieux connaître et apprécier son parcours.  
 

Interview réalisée par : HASSANE OUALI ET AKLI REZOUALI

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