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Soufiane DJILALI Publié 27 Juin 2021 à 09:16

© Archives/Liberté
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Par : Soufiane Djilali 
Président de Jil Jadid 

L’Algérie vient de vivre des élections qui marqueront profondément la configuration de sa classe gouvernante et les événements politiques à venir.
Contrairement aux précédentes élections, il n’y a pas eu de quotas. Le terrain a été laissé libre. Libre à chacun d’utiliser son discours, sa base, ses réseaux, ses clientèles, son argent ou ses magouilles. Le plus fort sur le terrain, au sens physique et non plus au sens politique, s’est imposé ; le plus faible étant impitoyablement éliminé. 

Il y aurait eu beaucoup à dire et à redire sur la gestion de l’ensemble du processus électoral, sur la faiblesse de l’Anie, dépassée par les événements et souvent infiltrée par les barons locaux mettant même en place des formes primaires de milices. L’emprise de la société politique sur le terrain par l’argent commence à s’incarner dans différents groupes, parfois affiliés à des partis, parfois autonomes, souvent en complicité avec des représentants locaux de l’État. Cette dérive, progressive mais réelle, posera dans le futur de très lourds obstacles à l’instauration de l’État de droit et même à la sécurité de la République.  

Mais au bout du compte, et en attendant ce que nous réservera l’avenir, il reste qu’en ce 12 juin, il y a eu des gagnants et des perdants parmi ceux qui ont voulu participer à la compétition électorale. Ceux qui ont réussi leur pari feront la loi, ceux qui n’ont pu obtenir de sièges réfléchiront à leur devenir. 
Quant à ceux qui n’étaient pas présents au rendez-vous, chacun pour ses raisons, ils devront faire également leur bilan.
De fait, dans ce dernier groupe, il y a une grande partie du peuple qui, désabusée par la politique en général, s’est maintenue à l’écart de tous les enjeux électoraux. Ces Algériens sont abstentionnistes de nature. Ils ne portent aucun regard sur ce qu’ils pensent être hors de leur portée. Le sentiment d’indifférence ou d’impuissance a neutralisé leur citoyenneté.

Mais il y a également une autre frange de la population, plus active, plus ambitieuse pour le pays, qui recherche le changement et voudrait le réaliser. Seulement, sans organisation effective, elle suit, en ordre dispersé, des mots d’ordre émis par une noria d’activistes et de politiques composant une “élite” de l’opposition. Malheureusement pour cette dernière, n’ayant pu trouver ou inventer l’outil nécessaire à la réalisation de son dessein, elle a fini par se réfugier dans des automatismes stéréotypés, tant dans la rhétorique du discours que dans les actes, le boycott relevant désormais du fétichisme. 
Bien entendu, sur le principe, ce dernier peut faire partie d’un éventail d’outils politiques pour alerter, alarmer ou faire prendre conscience d’une anomalie peu évidente ou enfin, acter une position éthique.

Toutefois, cet instrument ne peut devenir la panacée et encore moins un levier suffisamment puissant pour inverser des rapports de force institutionnels. En 2017, Jil Jadid avait, certes, boycotté les élections législatives et locales. Il n’avait, cependant, pas imaginé un instant faire la révolution, faire tomber le pouvoir ou même changer la donne. C’était une position de pur principe, de dimension morale : ne pas entrer dans un jeu politique clos où les quotas étaient la règle. Toutefois, un excès de la pratique du boycott peut se retourner contre ses auteurs car devenue une simple bouderie. Cette pratique aura favorisé une forme d’abandon et même de nihilisme face aux défis, remplaçant les valeurs de l’engagement, du courage et de l’effort, par celles de l’abandon, de la facilité et du bavardage. Pour ceux qui veulent se donner la peine de réfléchir, l’Histoire nous en offre un exemple édifiant.

En 1924, les Italiens avaient expérimenté ce phénomène, permettant à Mussolini et à son gouvernement de profiter de la “sécession avantiniana” des députés de l’opposition démocratique au grand dam des élus communistes. Cette opposition pensait que par son boycott, elle ferait tomber un gouvernement effectivement fragile à ce moment, et pourrait ensuite rétablir la légalité et l’autorité des lois niées par les milices fascistes. Or, c’est l’inverse qui s’était produit. Au bout de quelques mois, Mussolini consolida son pouvoir et instaura la dictature.
Depuis cet épisode dramatique et jusqu’à aujourd’hui, confiait un ami de ce pays, les Italiens en ont tiré la bonne leçon : “Ne plus jamais faire l’aventino !” L’expression prenant même un sens plus général pour affirmer que le citoyen ne doit pas se désintéresser des affaires publiques.
L’Algérie vient de vivre une expérience de même nature, bien que moins tragique dans ses conséquences, à Dieu ne plaise.
Avec le dialogue et le retour au processus électoral, Jil Jadid avait défendu une solution pour l’Algérie et non pas pour lui-même. Pour amorcer le changement, il fallait que les Algériens soient responsables de leur destin, qu’ils affrontent le terrain de la bataille électorale en s’impliquant, en s’organisant, en votant et en défendant leur voix. 

Par rapport à 2017, la donne avait changé. Le Hirak était passé par là. Le régime en partie effondré, l’État déstabilisé, les appareils politiques affaiblis, une brèche s’était ouverte. Une conscience citoyenne plus active aurait pu imposer une mobilisation du corps électoral. Avec un effort populaire, le 12 juin aurait pu être une chance pour le changement. Cette chance n’a pas été saisie ! La bavarde “élite” a préféré faire croire au peuple qu’en baissant les bras, en abandonnant le terrain et en occupant les réseaux virtuels tout en prenant des postures de l’héroïsme narcissique et stérile, la victoire allait être assurée ! Oui, leur victoire a été totale : ils ont offert sans coup férir ni résistance le pouvoir législatif à leurs adversaires honnis.

De fait, au moment de l’affrontement politique, lorsqu’il fallait se battre sur le terrain, cette “élite” a préféré faire revivre aux Algériens la parabole coranique sur le courage des hommes : Ainsi, le texte sacré raconte que Moïse s’adressa à ses disciples en ces termes : “Ô mon peuple, entrez en Terre Sainte que Dieu vous a destinée ! Ne revenez plus sur vos pas, vous seriez perdants !” Ils lui dirent : “Ô Moïse, il y a dans ce pays un peuple de colosses. Jamais nous ne nous y risquerons tant qu’ils ne l’auront pas quitté. S’ils en sortent, nous y entrerons certainement.” Deux hommes craignant et favorisés de sa grâce dirent : “Surprenez-les par la porte ! Lorsque vous l’aurez franchie,  vous serez vainqueurs…”  “Moïse, dirent-ils, jamais nous n’y entrerons, tant qu’ils y seront.” S. 5, V 21-24. “Tant que ce pouvoir est là, nous ne ferons pas un pas. Nous exigeons d’abord la reddition et le départ de tous, ensuite, nous gouvernerons à notre guise”, reprennent en chœur et en écho à la légende nos révolutionnaires du jour. Le cas échéant, nous bouderons les urnes !
Pourtant, l’expérience récente des années 90 aurait dû inspirer à plus d’humilité.
Face à un système politique qui tourmente la Nation depuis des décennies, les Algériens avaient tenté différents moyens de le changer, ou à tout le moins de le réformer et de le faire adapter aux besoins nouveaux d’un peuple qui aspire à la justice, aux libertés et à la dignité. Chacun a recouru à sa méthode, à son intuition ou à sa doctrine.

Les islamistes, toutes obédiences et tendances confondues, ont été les premiers à tenter de sortir du paternalisme socialiste au nom duquel les libertés politiques, économiques et individuelles étaient contrôlées par le parti unique. La déflagration d’Octobre 88, résultant des contradictions internes au régime d’alors, leur avait permis d’occuper l’espace public. Après des élections avortées, l’une des factions islamistes a pris les armes, et a, de ce fait, été combattue jusqu’à sa quasi-élimination.

Une autre faction, en revanche, s’inspirant de la parabole du Prophète Moïse, se faufila dans la République et s’y acclimata peu à peu, jusqu’à constituer aujourd’hui l’un des piliers du système politique. Ce courant, aussi critiquable soit-il sur sa nature ou son éthique, influence dès lors profondément l’idéologie des Algériens et compte, aujourd’hui, 25 à 30% de la composante de la nouvelle APN.

Le courant démocrate, lui, est né d’un syncrétisme entre la revendication identitaire et les luttes pour les libertés. Très en retard par rapport au travail doctrinaire et idéologique des islamistes, cantonné au centre du pays et dans quelques grandes villes, il n’a pu se donner les moyens de son développement populaire.

Voulant fonctionner sur des valeurs individualistes, progressistes et parfois libertaires, et surtout s’estimant légitime de facto pour diriger le pays, il a été incapable d’un minimum de discernement et de sérieux. À l’inverse de la discipline de groupe qui anime le courant islamiste institutionnel, c’est l’explosion des ego qui le caractérise. Il a fini par perdre l’estime de ses compatriotes à cause de sa suffisance et de son mépris pour tous ceux qui ne s’alignaient pas sur ses humeurs, se comportant en contradiction avec les valeurs démocratiques censées en être le fondement. 

Bien qu’ayant milité depuis des décennies et qu’il soit soutenu très largement par la presse et les élites intellectuelles, le courant démocrate a fini par se couper peu à peu des ambitions et des espoirs du peuple de l’Algérie profonde.
Aujourd’hui, il ne pèse rien politiquement, sinon comme se faire valoir par les adversaires de la démocratie. Pourtant, le Hirak lui avait donné une occasion exceptionnelle de s’affirmer et tenter de jouer un rôle politique. Il y avait là une inestimable opportunité pour s’impliquer et participer aux futures institutions, et y ancrer un courant de pensée qui devrait avoir toute sa place dans la société. L’enjeu était d’entraîner le système de gouvernance de manière plus équilibrée vers une évolution apaisée et plus utile pour l’avenir du pays.
Mais prisonnière de ses fantasmes, cette “élite” n’a pas trouvé mieux que la bouderie en réaction au refus de l’institution militaire de lui remettre les clés de la République !
Cela fait des mois que Jil Jadid essayait de convaincre les potentiels électeurs que le boycott, lors de ces législatives, quelle que soit sa motivation, allait permettre le retour des appareils de l’ancien régime. En vain !
Au lieu d’être responsable dans ses propos, d’organiser et d’animer des structures partisanes, de gagner du terrain politique, de faire le travail au quotidien, notre “élite” a pensé que les palabres sans fin, les postures rebelles et les logorrhées médiatiques pourraient faire l’affaire tout en refusant tout combat électoral.

Monopolisant la parole au nom du peuple, ses animateurs ont décidé d’interdire toute réflexion à quiconque osait sortir des cordes, immédiatement diabolisé. Comme stratégie ultime pour imposer le changement, ils ont adopté émotionnellement un slogan lancé à l’aveuglette par un quidam dans la rue. Le naïf “Yetnahaou gaâ” est ainsi devenu la pierre angulaire de tout discours, faisant croire au peuple que la victoire était au bout d’un vendredi, au bout de la rue, au bout d’un slogan. Bardée de certitudes, cette élite enfermée dans ses algorithmes a fini par rejoindre la stratégie de ceux d’en face : ceux qui affûtaient leurs armes pour mieux revenir sur le devant de la scène. Le boycott était leur point de rencontre.

Tous les événements de ces trois derniers mois démontrent qu’une puissante propagande s’était mise en place pour manipuler les sentiments et les émotions des Algériens, et les empêcher d’aller aux urnes, avec l’aide patentée des “radicaux” d’ici et d’outre-Méditerranée. Les attaques répétées contre le statut du député (40 millions de salaire !) par les bénéficiaires de la rente, les troubles sociaux avec des grèves perlées touchant la poste, les impôts, l’éducation..., la pénurie de produits de première nécessité en plein ramadhan et le manque de liquidité pour payer les retraités… ont instauré une atmosphère délétère. Le quasi-mutisme de la presse sur la campagne, la passivité du gouvernement, son absence sur le terrain et autres erreurs de gestion des affaires touchant l’opinion publique… ont fini par persuader le citoyen qu’il valait mieux rester chez soi que d’aller exercer son droit de choisir les futurs députés. 
Après un magnifique Hirak et un engagement exceptionnel pour le changement, “l’élite”, en alliance objective avec les caciques du système, a réussi à convaincre le peuple qu’il fallait baisser les bras au moment où il aurait pu cueillir les fruits de ses efforts.  
Le résultat est qu’au lieu de faire dégager le système, c’est la voie royale et légale au retour du régime qui a été dégagée !
Il y a eu une inversion de la logique politique, lourde de conséquences. On se retire sous la tente, on laisse la partie adverse prendre la totalité du pouvoir, puis on se congratule pour cette prouesse, tout en fustigeant ceux qui, isolés et livrés à eux-mêmes, ont tenté d’offrir une issue au Hirak, même minime, mais vitale pour la poursuite du combat démocratique.
Le boycott a été massif, “l’élite” a obtenu ce qu’elle voulait.

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