L’Actualité Nime, dessinateur, créateur de bandes dessinées et ex-détenu d’opinion

“LE HIRAK PACIFIQUE EST UN DEVOIR DE CITOYENNETÉ”

  • Placeholder

Akli REZOUALI Publié 24 Février 2021 à 01:03

Benabdelhamid Amine dit Nime. © D. R.
Benabdelhamid Amine dit Nime. © D. R.

Le sursaut révolutionnaire du 22 février reste intact, comme en attestent sans ambiguïté les marches pacifiques de ce lundi dans plusieurs régions du pays. Depuis son enclenchement, un certain 22 février 2019, bon nombre de militants, de simples citoyens, de journalistes et d’artistes ont été emprisonnés et privés de leur liberté pour de simples faits d’opinion, d’écrits ou de dessins artistiques. Parmi eux, Nime, de son vrai nom Benabdelhamid Amine, est un jeune dessinateur et créateur de bandes dessinées à grand succès, originaire d’Oran, âgé d’à peine 36 ans. “L’Élu”, une simple toile rendue célèbre sur les réseaux sociaux, représentant les candidats à l’élection contestée du 12 décembre 2019 et s’inspirant du conte de Cendrillon, lui a valu d’être arrêté et emprisonné pendant un mois à la prison d’Oran pour “offense au président de la République”. Une sanction sévère et injustifiée pour un artistique exprimant une simple opinion. L’épreuve humainement très douloureuse de la prison n’aura cependant rien fait perdre à l’artiste de sa créativité, ni de son engagement et de ses convictions. “Je sais avec certitude que si c’était à refaire je referais exactement la même chose”, nous confie-t-il, en évoquant son expérience de détenu d’opinion, sa démarche artistique et son engagement citoyen. 

Liberté :  Quels  sentiments  et  quelle  attitude  profonde  peuvent susciter le fait de se voir emprisonné et privé de liberté pour avoir esquissé  et  publié  de  simples  dessins  exprimant  une  opinion politique ?
Nime : Depuis toujours, l’inspiration pour mes  bandes dessinées émane de mon entourage proche et  de  mes  expériences  en  tant  qu’Algérien vivant en Algérie.  J’ai toujours aimé retranscrire à ma manière les choses dont j’ai pu être témoin, de façon plus ou moins caricaturale et humoristique.Lorsque le Hirak est né, j’ai donc, tout naturellement, éprouvé le besoin de dessiner mon ressenti et de l’illustrer sous forme de bandes dessinées, comme je l’ai toujours fait avec bon nombre de sujets auparavant.

Or, étant donné que le Hirak était un mouvement national, mes illustrations concernant la politique à ce moment donné ont suscité l’intérêt de beaucoup d’Algériens qui s’y sont reconnus et qui se les sont appropriées en les brandissant pendant les manifestations pacifiques et en les repostant en exprimant leurs propres opinions sur les réseaux sociaux.

Si par la suite j’ai été la cible des autorités, c’est parce que j’ai été considéré comme un meneur de foules, alors que mon seul et unique but était de retranscrire mon ressenti et le ressenti général des Algériens à cette période précise, au travers de mes dessins. De dessinateur j’étais donc devenu, aux yeux des autorités, un agitateur, et cela m’a valu de m’attirer les foudres de certaines personnalités au pouvoir.

Comment appréhendez-vous désormais votre qualité d’artiste engagé après une expérience douloureuse d’emprisonnement injustifié ?
J’y ai vu une grande  injustice  et  surtout une volonté de faire taire ceux qui pouvaient inspirer non pas seulement par les mots mais encore par l’art et l’action.

Lorsque les gens ont commencé à se reconnaître dans mes dessins, sans que j’ai besoin de les expliquer, mais juste avec une illustration frappante et porteuse de sens, la limite était considérée comme franchie et j’ai dû, dès lors, être écarté et sanctionné.Autant avant je dessinais pour m’exprimer, autant après mon arrestation j’ai compris que, pour eux, mes dessins étaient une arme qui me rendait dangereux à leurs yeux. 

Donc, bien que j’aie été attristé et choqué de ce que j’ai dû endurer pour quelques dessins, s’il y a bien quelque chose qu’ils m’ont fait comprendre, c’est que des dessins peuvent être tout aussi puissants et efficaces pour faire passer un message que les grands discours, surtout lorsqu’ils véhiculent un message juste et clairvoyant qui parle au peuple.

Que vous inspirent  aujourd’hui  le  mouvement  du Hirak et, au-delà, les revendications et les aspirations de libertés, de justice et d’État de droit ?
Pour moi, le mouvement du Hirak pacifique est un devoir de citoyenneté, une porte d’espoir qui s’ouvre sur l’un des chemins les plus sûrs à parcourir pour le changement… Le mouvement a officiellement été reconnu par les autorités et a même eu ironiquement sa place dans la  Constitution  qui  a  été révisée récemment. 

Mais  officieusement,   si  vous  faites  partie  des   personnes   actives  qui encouragent ce mouvement et qui continuent de demander le changement, vous risquez d’être la cible de menaces et d’intimidations. Le Hirak est, oui, toléré, mais les actes d’engagement jugés très influents sur les citoyens par le gouvernement ne sont pas permis et sont donc sévèrement punis.

L’art   doit-il,  selon  vous,  être  engagé   par   essence ;   surtout  en situation de  révolte  populaire  et  de  luttes  collectives  contre  des  dérives autoritaires de gouvernants ?
De mon point de vue, l’art est avant tout un moyen d’expression qui reflète les principes et les positions de chaque individu ou  artiste.  Qu’il  soit  engagé ou pas, cela dépend plus des personnes que de l’art lui-même. 

Personnellement, même  si  l’expérience  que j’ai  vécue  a  été douloureuse moralement et que le sentiment d’injustice est encore bien présent dans mon esprit, je sais avec certitude que si c’était à refaire, je referais exactement la même chose. Je n’y changerai absolument rien !

Il est vrai qu’avoir été  emprisonné pour des idées  et  pour avoir défendu les valeurs de son pays est  une épreuve des plus douloureuses. Mais si c’est le prix à payer pour espérer voir naître une Algérie jeune, neuve, saine, pleine d’espoir et de potentiel, c’est sans la moindre hésitation que je continuerai à y contribuer.

 

Entretien réalisé par : AKLI REZOUALI

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00