L’Actualité Report de la visite de Jean Castex en Algérie

Les non-dits d’un malentendu

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Karim KEBIR Publié 11 Avril 2021 à 09:09

© D.R
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Plombées par le contentieux mémoriel, les relations algéro-françaises alternent les périodes d’apaisement et les coups de froid. L’annulation de la visite de Jean Castex traduit de façon éclatante leur complexité et les enjeux politiques qui rythment leur difficile normalisation.

Elle était présentée par ses proches comme un “geste d’amitié vis-à-vis de l’Algérie” et s’inscrit dans “le réengagement de la relation voulue par les deux présidents dans un nouveau climat de confiance”. 

Mais contre toute attente, la visite que devait effectuer le Premier ministre français, Jean Castex, en Algérie, la première depuis son arrivée à Matignon, a été reportée à une date ultérieure. Et rien ne dit, au regard du contexte politique, autant en Algérie qu’en France, qu’elle aura lieu de sitôt. Officiellement, l’argument avancé par la partie française est lié à la crise sanitaire.

Du côté algérien, aucune voix officielle ne s’est exprimée pour l’heure sur cette annulation, mais les relais médiatiques du pouvoir l’attribuent à la taille de la délégation réduite à seulement quatre membres. Il y a aussi la durée du séjour, réduite à une seule journée. Mais faut-il prendre pour argent comptant ces arguments ? Pour Hasni Abidi, directeur du Centre d'études et de recherches sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), ni la version française ni la version algérienne ne sont crédibles dans la mesure où la crise sanitaire est connue et la délégation comprend le ministre des Affaires étrangères et celui de l’Économie et des Finances, soit deux poids lourds du gouvernement français.

Selon lui, ce qui a poussé à l’annulation de la visite, c’est la décision du parti d’Emmanuel Macron, LREM, d’ouvrir une représentation à Dakhla, dans les territoires sahraouis occupés, perçue comme une “provocation” par Alger et dont l’annonce de l’ouverture est intervenue curieusement la veille de cette visite. “Il y a un courant anti-algérien (au sein du parti présidentiel) qui veut maintenir la tension entre les deux pays”, dit-il.

Si a priori, cet argument — ajouté aux déclarations de Le Drian favorable au plan d’autonomie proposé par le Maroc pour la résolution de la question sahraouie — peut paraître plausible, de nombreux non-dits semblent entourer cette annulation brutale. À bien des égards, ni Alger ni Paris ne semblent convaincus de tirer de substantiels dividendes politiques, dans les contextes propres à chacun, de cette visite, encore moins de relancer une coopération économique plombée depuis trois ans.

En dépit de nombreux accords, peu de contrats, en effet, ont été signés entre les deux pays ces trois dernières années. Sévèrement critiqué pour sa gestion de la crise sanitaire, Emmanuel Macron, qui va briguer un nouveau mandat dans une année, doit compter avec ceux qui ne voient pas d’un bon œil sa politique d’apaisement avec l’Algérie, éternel enjeu électoral interne.

Macron qui sait qu’il marche sur des œufs, lorsqu’il s’agit de l’Algérie, a eu sans doute toute la latitude d’apprécier les réactions d’une partie de la “bien-pensance” française au récent rapport de l’historien Benjamin Stora, pourtant le prélude important à un renforcement de la relation entre la France et son ancienne colonie. Aussi, on a dû redouter que cette visite galvanise le mouvement populaire, lequel continue à considérer Paris comme le principal soutien au régime d’Alger, comme on a pu le voir lors des manifestations de vendredi.

En octobre dernier, Macron avait affiché ouvertement son soutien à Abdelmadjid Tebboune qu’il a qualifié de “courageux”. Il avait affirmé qu’il “fera tout son possible pour l’aider dans cette période de transition”. Ce qui, en décodé, signifie que Paris est favorable à la tenue des élections.

Du côté d’Alger, paradoxalement, les autorités, confrontées à une grave crise de légitimité et ébranlées par la persistance du Hirak, ne veulent visiblement pas s’encombrer de cette visite, au risque, d’une part, de risquer de booster le mouvement et, d’autre part, d’être interprétée comme un soutien franc, même si, par ailleurs, c’est souhaité. C’est ce qui explique probablement les tirs de sommation du ministre du Travail envoyé au charbon, qualifiant la France “d’éternel ennemi” et que l’armée remette sur la table la question des victimes des essais nucléaires. 

Cette annulation aux relents de nouvelle brouille vient confirmer la nature si passionnée et complexe de la relation algéro-française. Mais ni Tebboune ni Macron ne risquent de sortir indemnes de cette déconvenue, qui charrie de nombreuses considérations politiques dans des contextes incertains.  

 


Karim Kebir

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