L’Actualité Grande réticence des migrants à Oran

Les oubliés de la campagne de vaccination

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Said OUSSAD Publié 13 Septembre 2021 à 10:01

Alors que la vaccination contre la Covid-19 peine à trouver sa vitesse de croisière à Oran, la communauté migrante installée au cœur de la ville semble être complètement désintéressée par cette opération. Pourtant, on ne peut évoquer cette actualité sans s’attarder sur la situation plus que préoccupante de cette population vulnérable, véritable angle mort de la société oranaise. 

Un constat établi en premier lieu par les leaders et relais communautaires de cette population et confirmé par les associations algériennes et leurs partenaires étrangers qui leur viennent en aide. Mustapaha Lahici, vice-président de l’association Aprosch Chougrani, est le plus à même d’évoquer cette question, puisqu’il a été à la tête d’une tentative malheureuse d’amener les migrants à se faire vacciner. 

“L’association et ses partenaires ont constaté que très peu de migrants se sont fait vacciner. Pour nous, l’une des raisons résidait dans la peur de se faire arrêter et expulser par les services de sécurité”, explique-t-il. 
Un argumentaire validé par Lydia et Sidonie, respectivement leader et relais communautaire auprès des migrants. “Le fait qu’ils ne soient pas régularisés est un sérieux frein à la vaccination”, affirment-elles. “Ils s’inquiètent, en outre, à cause de leur statut administratif, d’éventuels effets secondaires du vaccin et appréhendent leur prise en charge en cas de problèmes”, précise Sidonie, qui estime qu’au sein même de la communauté migrante, on fait la distinction entre le traitement réservé aux étudiants africains qui sont régularisés et les sans-papiers.

L’autre hypothèse soulevée par Mustapha Lahici concerne la crainte de ces migrants de se voir stigmatisés dans ces centres en se voyant refuser l’accès aux sites de vaccination comme Lydia qui est catégorique à ce propos, puisqu’elle révèle que certaines personnes appellent tout bonnement les migrants “Covid” en dénonçant une certaine forme de racisme. Elle témoigne que des migrants sont “tous les jours” victimes de stigmatisation en racontant que “quand on rentre dans une salle de soins dans un quelconque dispensaire, on a l’impression d’être la maladie elle-même, les gens se tiennent à l’écart de nous, même si nous portons des masques”.

Se rendant compte que la meilleure solution est de leur dédier un centre de vaccination, de surcroît installé à proximité de leur lieu de vie, “je me suis rendue à la Direction de la santé et de la population, laquelle a pris conscience du risque de voir toute une communauté non vaccinée”, ajoute Mustapha Lahici, qui assure que sa démarche a été couronnée de succès. “Après avoir obtenu l’accord pour l’approvisionnement en vaccins, j’ai sollicité les services de la wilaya pour l’octroi d’un espace et nous nous sommes entendus pour réserver une école sise à la place Hoche, au quartier populaire Saint-Pierre”. Dans son planning initial, l’opération devait durer trois jours et ne concerner que la communauté établie au centre-ville, estimée par notre interlocuteur à un millier de personnes. 

“Dans un premier temps, nous avions ciblé l’ensemble de la communauté, mais nous avons décidé de rationaliser l’utilisation des ressources en ne prenant que 300 vaccins par jour sur trois jours destinés aux seuls migrants qui habitent le centre-ville et ses alentours”, précise-t-il. Dans l’esprit des organisateurs, la réussite de cette première expérience allait ouvrir la porte à des opérations similaires à Aïn El-Beïda, à Hassi et à Coca où est établie une importante communauté subsaharienne.

Expulsion et stigmatisation
Pour aller au bout de cette initiative, l’association sollicite d’autres partenaires, à l’image de Médecins du Monde (MdM), du collectif de citoyens qui avait déjà collaboré avec Chougrani dans le cadre de la collecte d’argent pour l’achat de concentrateurs d’oxygène et de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM). Pourtant, et contrairement à la logistique et les ressources humaines déjà mobilisées, les migrants ne répondent pas à l’appel. “La vaccination devait commencer début juillet, mais à la deuxième semaine du même mois, il y avait peu ou prou d’échos de la communauté”, continue Mustapha Lahici lequel, après concertation avec les relais communautaires, a décidé de différer l’opération au 22 juillet. 

En parallèle, une campagne d’information et de sensibilisation a été lancée “en sollicitant l’église d’Oran, puisqu’il existe une grande communauté chrétienne issue de l’immigration qui fréquente le Centre Pierre-Claverie (CPC), et en ouvrant un registre d’inscriptions pour gérer les flux en cas de grande affluence”. Néanmoins, ce report n’arrange rien puisque la campagne a dû être finalement annulée. “Nous avons peut-être mal communiqué, mais en procédant à un sondage auprès des migrants, nous nous sommes rendu compte qu’ils avaient pris connaissance de l’opération sans y répondre de peur de se faire arrêter”, indique le vice-président d’Aprosch Chougrani. Ce dernier se rappelle que le 22 juillet, jour choisi pour le début de l’opération de vaccination, une opération de refoulement des migrants avait été organisée par les services de sécurité à Oran. 

Lydia tient à rappeler les conditions difficiles vécues par la communauté migrante lors de la Covid et les restrictions sanitaires qui s’en sont suivies. “Pendant cette pandémie, la police procédait au refoulement des migrants”, regrette-t-elle. Parmi les raisons invoquées par cette communauté, il y a la nationalité et l’efficacité des vaccins. À ce sujet, Mustapha Lahici rapporte que le vaccin chinois est refusé par les migrants parce qu’il n’est pas reconnu en Europe. “On attend de voir s’il y a d’autres vaccins qui seront administrés à Oran pour inciter les migrants à se faire vacciner”, espère-t-il. 

L’avis de nos deux interlocutrices est plus tranché sur cette question puisque Sidonie pense que “la Covid n’est pas le fait de Subsahariens, c’est le fait des blancs”, alors que Lydia rappelle, pour sa part, la mort de certains leaders de leur communauté, décédés après avoir été vaccinés en Europe. Plus suspicieuse, elle remet en cause la qualité des vaccins, en affirmant que “ce que le vaccin qu’on nous injecte (les migrants, ndlr) n’est pas le même que celui des autres”.

Néanmoins, certains migrants se sont fait vacciner “sans problèmes”, particulièrement à M’dina J’dida, de l’aveu de nos interlocuteurs, et la sensibilisation de la communauté se poursuit toujours pour les inciter à se présenter dans les différents centres de vaccination qui existent dans la wilaya d’Oran. Si pour le moment, aucune évaluation réelle ne peut être faite sur le nombre des migrants vaccinés, on estime entre 5 000 et 7 000 personnes issues de 13 nationalités qui composent cette communauté.

 


SAïD OUSSAD

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