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“L’État n’a pas vocation à être actionnaire majoritaire d’entreprises”

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Ali TITOUCHE Publié 23 Novembre 2021 à 22:45

© D. R.
© D. R.

Liberté : Après  avoir  récupéré  le  groupe  ETRHB  et  l’usine Nutris, l’État vient de mettre également la main sur Cogral. Ces entreprises sont-elles viables économiquement ?
Ali Harbi : On ne peut pas juger de la viabilité des entreprises passées sous contrôle de l’État à la suite de leur saisie de manière générale et sans analyse au cas par cas. Cependant, au regard des profils des entreprises et des secteurs d’activité cités, il s’agit d’entreprises potentiellement viables et positionnées sur des secteurs porteurs, comme l’agro-alimentaire, le bâtiment et l’industrie des matériaux de construction. La question qui se pose est celle de connaître le niveau de leur endettement bancaire et fiscal, par rapport à l’actif réellement constitué en investissements ou en stocks et créances. De toute manière et en dernière analyse, la prise de contrôle par l’État était la meilleure mesure à prendre pour préserver l’activité et l’emploi. Les autres mesures comme la saisie des actifs par la banque ou par l’administration fiscale aurait peut-être amené à une liquidation à terme des entreprises et, ensuite, à une perte d’activité industrielle et d’emplois, étant donné que ni les banques ni l’administration fiscale ne peuvent garantir une continuité de l’activité après une saisie d’actifs d’une entreprise. Il faudrait pour cela faire appel à toute une ingénierie financière et technique. En revanche, le rattachement à des groupes industriels publics permet d’affecter des ressources de direction et d’intégrer ces entreprises dans des stratégies préexistantes de groupes.

Vous avez évoqué le niveau d’endettement de ces entreprises qui semblent traîner un lourd passif au niveau des banques. L’État devrait-il procéder à l’apurement de ce passif ?
Plusieurs formules sont possibles. La première formule à examiner serait celle d’une restructuration et d’un reprofilage de la dette sur le long terme, plutôt qu’une intervention du Trésor public avec l’argent du contribuable. Ce retraitement de la dette sur un horizon compatible avec le business plan actualisé et mis à jour des entreprises concernées permettra d’assurer les meilleures conditions de pérennisation de l’activité et de l’emploi. 
Une solution par le truchement du Trésor public serait une solution de facilité sur le plan technique et, sur le plan moral, ce serait une prime à la fraude. Car, au final, ce serait le contribuable qui effacerait l’ardoise de pratiques douteuses et prédatrices qui ont eu lieu. Une autre formule serait possible dans le cadre d’un arrangement avec les opérateurs concernés et actuellement condamnés ;  pour que la part de surendettement leur soit ainsi transférée à titre personnel et extraite du bilan des entreprises reprises par l’État. Cette formule nécessite un montage juridique qui devra être examiné par des experts en droit des affaires.

Pourquoi les options d’une cession des actifs au profit d’un privé ou une privatisation via la Bourse ne sont-elles pas retenues ?
La situation de ces entreprises n’est pas claire et ni les pouvoirs publics ni la justice n’ont communiqué clairement sur la situation financière, juridique, fiscale, organisationnelle et patrimoniale de ces entreprises. La manière dont ces opérateurs sont devenus de véritables oligarques n’est pas transparente. Comment voulez-vous que des opérateurs privés mettent le doigt dans un engrenage aux mécanismes flous. A fortiori en Bourse, on s’adresserait aux petits épargnants. Comment voulez-vous qu’un petit épargnant ou même un investisseur institutionnel mette de l’argent dans une affaire dont le montage initial n’est pas clair. De toute façon dans leur état actuel, elles ne sont pas éligibles au listing en Bourse. C’est pour cela que le passage par la case nationalisation est préférable, quitte à passer dans un second temps à une reprivatisation totale ou partielle, y compris en Bourse si les entreprises concernées redeviennent éligibles. 

Au plan managérial, quelle est la meilleure perspective à donner à ces entreprises ?
Une fois que l’entreprise est sous le contrôle de l’État, en tant qu’actif marchand, sa situation de gouvernance et de management est la même que pour toutes les autres. En ce sens les réformes nécessaires de gouvernance d’entreprises publiques ne concernent pas que les entreprises récemment nationalisées mais aussi toutes les entreprises publiques. Dans ce cadre, il serait utile de rappeler ce que nous avions déjà dit à Liberté dans une interview précédente : d’abord l’État n’a pas vocation à détenir à 100% ni même à être majoritaire dans le capital des entreprises publiques. 
Ensuite, les conseils d’administration doivent être profondément remodelés pour y faire entrer bien sûr les nouveaux actionnaires après ouverture de capital, mais aussi l’expertise nationale et internationale. Si on veut donner du gabarit international aux entreprises algériennes, il faut aussi ramener des administrateurs de niveau international, et je ne dis pas forcément étrangers. Enfin, le redressement du management se fera largement par des partenariats nationaux et internationaux, que ce soit au niveau de contrats de management, de processing, technologiques, financiers, commerciaux et de sous-traitance. 
Au moment ou on constate avec effarement les montants de financements dont ont bénéficié les EPE et les groupes publics, très peu d’entre eux ont progressé sur les partenariats ou sur les performances intrinsèques. Ce n’est pas seulement une question de management mais c’est aussi et peut-être surtout une question de gouvernance d’entreprise. Et, enfin, une question de gouvernance publique du secteur économique marchand de l’État. 
 

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE

 

 

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