L’Actualité L’Autre Algérie

Liste (non exhaustive) des sujets interdits

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Kamel DAOUD Publié 21 Octobre 2021 à 10:07

© D.R
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Par : Kamel daoud
Écrivain

Sur quoi peut-on écrire sans risques, ni prison, ni insultes ? Commençons par ce qui est interdit. D’abord l’Islam. Il appartient aux islamistes, chouyoukh, apparatchiks au nom d’Allah, imams asséchés et surtout prêcheurs dangereux. Le sujet vous disqualifie même aux yeux des progressistes urbains qui sont dans le malaise entre l’universalité et l’identité et qui, dans la religion, voient une identité, justement. L’amazighité ? Autant pas. 

La noble cause à de curieux effets sur les esprits faibles : ils en deviennent haineux, exclusifs, reproduisant ce qu’ils avaient subi. La souffrance de vivre un pays qui ne reconnaît pas l’amazighité se conjugue curieusement à la sentence que l’amazighité ne peut être que kabyle et ne peut être discutée, pensée ou imaginée qu’en étant telle. Le Hirak alors ? Que non ! Dès son sixième mois le Grand Mouvement fut pris en otage par l’activisme, l’hyperalgéroinisme, le martyre rénové et les figurants numériques. Il fut (et l’auteur ne le sait que trop bien) interdit à la réflexion digressive, à l’autocritique ou même à la remise en question de son fond d’enthousiasme. On le coupa en deux comme un mouton : d’un côté, les super-opposants, de l’autre, le Régime. Pour ce dernier, il s’appellera le Hirak béni, pour les premiers, c’est la bénédiction du Hirak. Alors, l’arabité comme sujet et objet ? Aucunement. Surtout pour un écrivain francophone. L’arabité est insécable du ciel. Lieu de douleur et de colère, de vanité et d’éternité. 

La langue arabe, si belle quand elle est nue, est piégée par la mémoire, sommée à l’identité, autorisée aux morts pas au vifs et surtout parasitée par le religieux. Les tamponnés du front en ont fait une seconde épouse, malgré elle, et on ne peut alors ni la toucher, ni l’embrasser, ni l’aimer sauf dans la clandestinité, ni s’isoler avec elle pour regarder la lune ensemble, ni lui prendre la main pour traverser la mer vers l’universel. Dès qu’on ose ouvrir la bouche pour demander son émancipation, on est attaqué par tout un désert venu d’ailleurs. 

Que reste-il comme sujet ou cause ? La femme ? Celle de qui ? Car la femme comme être humain libre et indépendant n’existe presque pas chez nous. Défendre son humanité, c’est s’occidentaliser, donc trahir, donc détester les siens, Allah et son prophète. C’est un raccourci coupe-gorge qui, depuis longtemps, est là pour discréditer le combat pour la liberté de la femme. D’ailleurs, les anti-femmes comme êtres humains usent même d’autres femmes pour leur combat. Et puis, il faut être honnête : avoir grandi comme Algérien mâle vous laisse à peine deviner le quart de ce qu’est être une femme algérienne. 

Donc autant rester modeste, tête baissée, mains tendues. Que reste-il comme sujet ? La mémoire de la décolonisation passée ? Surtout pas ! Le sujet est sous le monopole d’une génération, d’une éditocratie qui a le même âge que les tombes, du Régime, des vétérans, des exilés qui vivent en France, dans le coton de la France, mais qui rejouent la guerre de Libération pour croire donner du sens à leur vie, de spécialistes, de monuments, etc. Peu de place pour les nouveau-nés sauf s’ils se griment de vieillissements et se font le larbin de l’immortalité. 

Peu d’air pour la question, l’art sans visa, la liberté au nom de la libération. Alors le passé comme sujet ? Dangereux sables figés. Paradoxe du temps mort et tué. Gare centrale de millions d’ancêtres convoqués tous en même temps. L’Algérie a-t-elle existé avant les Français ? Macron pense que non. Nous, on crie “oui”. Mais alors moi ? Je suis l’enfant d’une génération qui est née dans une école algérienne qui enseigna, sans interruption, que l’Algérie est née le 1er Novembre. Date de la première balle, numéro de la première page du manuscrit, big bang à six. Et qu’avant, il y a eu l’Émir, un cheval, un dromadaire, du flou, deux paragraphes sur deux royaumes et un Général arabe qui apporta un sourire lors qu’il s’agissait d’un étui de sabre. 

Parlons donc du sexe ? Non. Interdit. La sexologie est une science pour après la mort, l’érotisme un art du Paradis, l’orgasme est au bout de la tombe. Le Régime ? Oui. On peut. Je l’ai fait, puis je compris que le Régime n’est pas seulement un palais. C’est aussi la mentalité, la tête, les mains de chacun, nos habitudes. C’est chacun, c’est tout. L’opposition comme sujet ? C’est un autre parti unique. Avec les mêmes commissaires politiques. Le Maroc ? Voici la réponse faite à un ami : “C’est une Algérie avec un seul Roi et l’Algérie, c’est le Maroc avec 44 millions de rois.” Des monarchies inversées qui se font face dans la misère et le déni. Et dont les deux plus grandes inventions furent deux mosquées hautes et une frontière. Trêve d’humour. 

Tout cela pour rappeler que nous sommes un pays d’interdits, de rages et de sujets tabous. Barbelées de l’intérieur vers l’extérieur. Et que c’est ce manque de liberté dont nous sommes tous coupables, cette tendance à être des dictateurs chacun dans son coin, qui font fuir les enfants, les talents, les dons. Et le pire ? C’est que souvent, ailleurs, on ne fait que, peu à peu, reconstruire la même Algérie : élites exilées ou quartiers d’exilés. Gommant une terrible vérité : il ne sert à rien de changer de pays si on ne change pas de mentalité et si nous avons encore et toujours peur de ce que nous avons si chèrement payé : la liberté. Écrire sur quoi alors ? Assise à l’ombre de deux vignes croisées, il y a plus quarante ans, une vieille femme se penchait silencieusement sur le crâne de son époux pour le raser. 

Le temps était encore si lent qu’il ralentissait le ciel. C’était un été algérien. À un moment, un vent doux vint dire quelque chose à une oreille et repartit, la cour de la maison au village était éclairée de lumières fortes, et j’étais là, un enfant. Muet et attentif. Le couple ne disait rien, mais mes deux grands-parents avaient, à cause de la tendresse, les gestes d’un seul être à peine séparés. Ils s’aimaient sans mots et la délicatesse muette le prouvait comme un grand cri. J’aimerais écrire sur cet amour avant d’en perdre le souvenir. Sujet autorisé ?

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