L’Actualité LAKHDAR REKHROUKH, PRÉSIDENT DE L’UNION NATIONALE DES ENTREPRENEURS PUBLICS

“L’ouverture du capital d’entreprises publiques n’est pas un dogme”

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Meziane RABHI Publié 26 Septembre 2021 à 00:37

© D. R.
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Lakhdar Rekhroukh, président de  l’Union  nationale  des entrepreneurs publics (Unep), analyse dans  cet  entretien  les  enjeux qu’implique la réforme à engager pour améliorer la compétitivité du secteur économique public.

Liberté :   Le  plan  d’action   du   gouvernement   prévoit   une restructuration du secteur public marchand et l’ouverture du capital d’entreprises. Qu’en pensez-vous ?
Lakhdar Rekhroukh : Ce plan a inscrit parmi les mesures à mettre en œuvre des sujets qui ont, de tout temps, figuré parmi les centres d’intérêt de l’Unep, comme la restructuration du secteur public marchand, l’ouverture du capital des entreprises et la promotion de partenariats, tout cela sans affecter, bien évidemment, l’efficacité de la supervision. Notre union accueille favorablement les principaux axes retenus dans ce plan d’action. Toutefois, toute action de réforme du secteur public marchand doit s’inscrire dans une démarche globale élargie à l’ensemble de l’environnement de l’entreprise qui conditionne son évolution et ses rendements. L’ouverture du capital des entreprises publiques ne constitue pas, pour nous, un dogme. Toute mesure qui permettra de promouvoir et d’améliorer les performances et l’efficacité de notre économie sera soutenue par l’Unep, dans la mesure où elle s’inscrit dans l’objectif d’améliorer les performances nationales et d’aboutir à la création de plus de richesses et à l’ouverture de nombreux postes d’emploi, notamment au profit de notre jeunesse. 
À ce titre, nous nous devons de tirer les leçons des expériences précédentes en matière de privatisation et de partenariats minoritaires et majoritaires dont les résultats sont en deçà des attentes à la fois de l’État actionnaire, des travailleurs et de l’économie nationale. Il faut qu’il soit définitivement compris que l’Unep ne s’oppose pas à l’ouverture du capital dans le cadre d’opérations mûrement réfléchies et qui s’inscrivent dans l’objectif stratégique d’amélioration des performances, de la compétitivité et d’une mise à niveau aux normes internationales de l’outil de production. L’objectif premier de l’Unep est de concourir et de participer à la mise en place d’une économie moderne au service des citoyens et apte à répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations. Je dis cela pour répondre à toutes les critiques et à tous les procès qui sont faits aux entreprises publiques pour les accuser d’être réfractaires aux changements aux motifs de défendre des intérêts bassement matériels ou pour maintenir un système de gestion économique donné.

Les  différentes  opérations  de  restructuration  du  secteur  public marchand n’ont pas permis l’émergence  de  véritables entreprises économiquement viables et financièrement équilibrées. Pourquoi ?
Dans un souci de croissance, de développement de l’économie nationale et d’amélioration de la contribution des entreprises publiques, notre organisation a toujours appelé à la réforme du secteur public marchand et a soumis, à cet effet, des propositions aux pouvoirs publics. Les différentes opérations de restructuration engagées dès le début des années 1980 n’ont pas, à notre avis, obtenu les résultats escomptés. Elles ont péché par des démarches administratives bureaucratiques qui, malheureusement, n’ont pas mis l’entreprise au cœur de la démarche. Pour cerner la complexité de la situation du SPM, il est utile de faire un bref retour historique qui retrace son évolution. Ce secteur constitue dans la plupart des pays l’instrument de mise en œuvre des politiques publiques, les entreprises qui le composent évoluant généralement dans des secteurs définis comme stratégiques. Le mode d’organisation de ce secteur a connu depuis le recouvrement de notre souveraineté nationale plusieurs étapes qui peuvent être résumées ainsi : la décennie 1970 a connu un secteur public économique érigé sous la forme de sociétés nationales couvrant chacune une filière d’activité spécifique et placée sous la tutelle administrative et économique directe de départements ministériels. Les années 1980 ont vu l’introduction de la restructuration organique et financière des entreprises publiques qui a conduit à la réduction de leur taille par leur segmentation en fonction de la nature de leurs activités, de leurs fonctions et même parfois de leur implantation géographique. 
Durant les années 1990, l’organisation du secteur public marchand a connu deux principales refontes ; d’abord à travers la mise en place des fonds de participation conformément aux dispositions de la loi de 1988 portant autonomie des entreprises, puis par l’érection des holdings consécutivement à la loi de septembre 1995 relative aux capitaux marchands de l’État. La décennie 2000 a connu la promulgation de l’ordonnance d’août 2001 portant organisation, gestion et privatisation des EPE qui a abrogé la loi de 1995 et ses textes d’application. Il a ainsi été procédé à la mise en place des sociétés de gestion des participations qui ont succédé aux holdings qui étaient au nombre de six. En 2008, le Conseil des participations de l’État a voté une résolution en vertu de laquelle les SGP ont été rattachées aux ministères sectoriels dont les titulaires deviennent de fait les présidents de leur assemblée générale. En 2014, sans aucun bilan établi sur le fonctionnement des SGP, le CPE a pris une résolution qui prononce leur dissolution et la création de Groupes économiques publics qui regroupent les entreprises par filière d’activité. Je fais ce bref rappel historique pour vous donner un aperçu de la complexité de la situation. L’Unep a toujours appelé de tous ses vœux l’instauration d’une réflexion sur les objectifs stratégiques du secteur public marchand afin d’identifier une vision prospective sur son rôle et d’arrêter une organisation logique et efficace qui soit pérenne et qui tienne compte surtout des exigences liées au développement et aux rendements des entreprises publiques et à leur mise à niveau en termes d’adaptation aux évolutions enregistrées au niveau mondial. 
Il est clair que notre insertion dans l’économie mondiale porteuse de croissance et de progrès est tributaire d’un réseau d’entreprises performantes créatrices de richesse et d’emploi. Pour revenir à mon propos, les ministères chargés de la tutelle ont dépassé parfois leurs prérogatives liées à leur qualité de président de l’assemblée générale définie au sens du code de commerce et ont eu tendance à prendre des décisions liées à la gestion de l’entreprise sans tenir compte des obligations qui lui sont imparties en termes d’efficacité économique. D’où l’existence de situations extrêmement complexes qui impactent le fonctionnement de nombreuses entreprises. 

Quelles actions précises faudrait-il mettre en œuvre pour permettre l’émergence d’un secteur économique public viable ?
L’Unep a fait de nombreuses propositions pour la mise en place d’un cadre organisationnel devant encadrer les EPE qui soit fondé sur le triptyque suivant : performance-modernité-développement. 
Ce cadre tiendra compte des missions de supervision stratégique dévolues au gouvernement, tout en privilégiant l’impératif d’autonomie de gestion qui favorisera, à l’évidence, l’épanouissement de nos sociétés. L’émergence d’entreprises viables et équilibrées financièrement requiert non seulement des opérations de restructuration de ce secteur, de leur management, mais également la nécessaire réforme de l’environnement dans lequel elles évoluent. Cela renvoie à certaines politiques publiques d’encadrement et de fonctionnement de l’économie nationale. Comme toutes les entreprises, celles du secteur public ne peuvent croître et se développer en l’absence d’un contexte marqué par la transparence, la sérénité et dominé par un fonctionnement logique fondé sur les règles claires et loyales qui prévalent dans une économie de marché. Quand on passe en revue le portefeuille des entreprises publiques économiques, on y relève que certaines sont économiquement viables et financièrement équilibrées, mais elles demeurent structurellement fragiles, comme c’est le cas d’ailleurs pour leurs consœurs du secteur privé ; cela, dans la mesure où leurs résultats sont à relier avec la dépense publique. Cela concerne notamment les entreprises de réalisation. 

Comme vous devez le savoir, plusieurs entreprises nationales, notamment de réalisation, vivent des situations difficiles, voire critiques en raison des retards apportés au règlement de leurs créances. Cela, outre le fait que la raréfaction des ressources budgétaires de l’État induites par la situation du marché mondial des hydrocarbures a généré le gel de nombreux projets publics ou carrément leur annulation. 

Quelles sont vos propositions de réforme ?
Notre union a inscrit ses propositions de réforme dans un cadre plus large que celui de la simple réforme organique du secteur public marchand. Ainsi, elle a notamment préconisé une démarche visant l’épanouissement et le développement de l’entreprise en tenant compte de l’ensemble des critères et paramètres qui conditionnent son développement efficient et efficace. Cette démarche est conditionnée par la mise en œuvre de certaines réformes économiques structurelles qui ont une forte incidence sur la performance de l’entreprise. 
D’ailleurs, certaines de ces réformes sont contenues dans le deuxième chapitre du plan d’action du gouvernement. Nous pouvons citer notamment la réforme du système bancaire et financier, l’attractivité du climat d’investissement, l’intégration du système informel dans le circuit légal, le renforcement de l’économie de la connaissance, la généralisation de l’économie numérique, etc. Il s’agit, également, de la consécration de l’autonomie effective de l’entreprise publique et de l’amélioration de sa gouvernance en termes de choix de ses managers et de ses organes sociaux et de gestion. La dépénalisation des actes de gestion constitue, aussi, une revendication permanente de notre union. La pénalisation des actes de gestion et l’usage des dénonciations anonymes ont contribué à développer l’attentisme et constitué un frein à l’initiative et à la prise de risques des managers. Les annonces relatives à la dépénalisation des actes de gestion répondent aux attentes des gestionnaires publics. 

Quelle est la situation des entreprises publiques aujourd’hui ?
Les entreprises publiques opèrent dans tous les secteurs d’activité économique. En dépit de la situation économique et sanitaire que traverse le pays, elles ont pu, dans leur majorité, poursuivre leur activité et sauvegarder des emplois malgré les nombreuses contraintes qu’elles rencontrent au quotidien. N’en déplaise à ceux qui continuent de proclamer qu’elles demeurent dans leur position d’”enfants gâtés du système”, je peux vous assurer que la gestion des entreprises est souvent confrontée à des écueils nombreux que ne connaissent pas celles du secteur privé. Les entreprises publiques économiques ne constituent pas un ensemble homogène, elles sont de tailles très variables et connaissent des situations économiques et financières très diversifiées. À titre d’exemple, les entreprises activant notamment dans le secteur des transports (terrestre, aérien, ferroviaire et maritime) connaissent, en raison des décisions des pouvoirs publics relatives aux mesures de confinement dans le cadre de la lutte contre la propagation de la pandémie de Covid-19, des situations très délicates. Pour retrouver leur équilibre, elles nécessitent un soutien et un accompagnement appropriés des pouvoirs publics pour les réinsérer dans un cadre de gestion et de fonctionnement conventionnel qui réponde aux normes usitées. Permettez-moi également de vous dire que le secteur public marchand, critiqué par certains et voué aux gémonies par d’autres qui l’accusent de tous les maux du pays, ne contribue en fait qu’à raison de 25% à la production nationale. 
Selon des données, il représentait en 2019, hors secteurs de l’énergie, des banques et assurances et des télécommunications, une production de 1 183 758 millions de dinars générés par 651 entreprises réparties sur 39 groupes publics et employant environ 287 000 travailleurs. Nous pensons que l’attention pourrait aussi être portée sur les 75% restants de ce potentiel. Autre élément important, on omet souvent de constater que de nombreuses entreprises du secteur public assurent des missions de service public qui se traduisent par la mise à la disposition des usagers d’un service à un coût en deçà du coût de revient. L’opérateur en charge d’une telle mission est en droit de percevoir une subvention en contrepartie. C’est le cas notamment des entreprises de transport. Par ailleurs, il est demandé à certaines entreprises publiques de réguler le marché de certains produits où elles ne participent, tout au plus, qu’à hauteur de 10 à 20%. En outre, le marché informel continue à occasionner de très lourdes pertes à plusieurs EPE. Tout cela participe à créer un environnement contraignant qui étouffe l’activité de certaines entreprises et qui peut même conduire à leur fermeture.

Quelles sont les pistes de réflexion susceptibles de libérer le potentiel du secteur public marchand ?
À notre avis, les réflexions à engager sur le secteur public marchand doivent sortir de la vision actuelle qui fait que ce dernier doit faire l’objet d’un traitement particulier. Il faudra privilégier à l’avenir des études globales qui situent son action dans un cadre macroéconomique car il constitue l’élément d’un tout. Toute réflexion le concernant devra s’inscrire dans un cadre global portant sur le fonctionnement et l’efficacité de l’économie nationale. 
À ce titre, et pour répondre à votre question, il est clair qu’un certain nombre des réformes structurelles s’impose à l’effet d’assainir et de mettre à niveau l’ensemble des règles régissant l’environnement de l’entreprise, telles les questions liées au foncier, à l’accès au crédit, à la fiscalité et à la célérité des décisions de justice rendues par les tribunaux commerciaux, administratifs ou autres, notamment. 
Les mesures à envisager pour libérer le potentiel du secteur public marchand et l’extraire de la complexité de la situation dans laquelle il se trouve sont de plusieurs natures. D’abord, au plan stratégique, il s’agit d’identifier avec précision l’objectif attendu du secteur public marchand dans une perspective d’identification des missions qui lui sont dévolues. Il s’agit de faire preuve de plus de visibilité sur son rôle et son intervention dans le cadre du plan de réforme et de relance économiques élaboré par le gouvernement. Il faut préciser clairement le rôle et les axes d’intervention de l’État actionnaire et de préciser les conditions de la corrélation de “l’autonomie effective de la décision de l’entreprise publique et l’efficacité de la supervision”. 
Si l’État propriétaire ne doit plus intervenir pour accompagner l’entreprise (soutien), il s’agira en conséquence de consacrer dans les faits une autonomie réelle de sa gestion et de son fonctionnement. Ensuite, l’Unep continue de faire sienne sa demande pour la mise en place d’un cadre juridique organisant le secteur public marchand qui soit adapté aux nouvelles exigences dictées par les objectifs de relance et de renouveau économique. Ce nouveau cadre privilégiera une autonomie plus accrue de la gestion et du fonctionnement de l’entreprise et se consacrera à la définition d’une vision stratégique et prospective du rôle et des missions du secteur public marchand. Bien évidemment, il s’agira de procéder au recensement de l’ensemble des textes législatifs et réglementaires qui régit les règles d’organisation et de fonctionnement et, éventuellement, d’ouverture du capital dans un souci de promouvoir l’économie nationale dans la perspective de son assainissement et de sa mise à niveau par rapport aux exigences induites par les objectifs de relance et de renouveau. 
Dans ce cadre, la mise en place d’un cadre juridique du partenariat public-privé est plus que jamais d’actualité. Il permettra d’apporter des solutions palliatives à la faiblesse des ressources du Trésor public pour financer des projets d’équipements. L’Unep a fait de nombreuses propositions résultant de réflexions engagées dans le cadre de l’amélioration du fonctionnement et des rendements du secteur public marchand pour promouvoir et renforcer son rôle dans la mise en œuvre des politiques de développement. Notre organisation a toujours montré sa disponibilité à participer et à contribuer activement à tout atelier qui sera mis en place pour élaborer les programmes, actions et mesures à mettre en œuvre dans ce cadre. Notre ambition est d’inscrire notre action au service de notre pays, et nous ne ménagerons aucun effort pour contribuer à concrétiser les programmes de développement au service de l’avènement d’une société et d’une économie modernes au service des citoyens et de leur bien-être. 
Je voudrais enfin souligner que le secteur public marchand peut jouer un rôle fondamental dans la démarche économique de modernité et de relance entreprise dans le pays, pour peu qu’on procède à l’amélioration et à l’assainissement de l’environnement global dans lequel il évolue. Il peut jouer le rôle de locomotive du développement ; il en a les compétences et les moyens. Son souci principal est une organisation fiable, sereine et pérenne qui mette en avant les principes d’autonomie de gestion, de modernité de son management et de confiance et de protection de ses cadres.
 

Propos recueillis par : MEZIANE RABHI

 

 

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