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Lutter contre le MAK une méthode à grands risques

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Kamel DAOUD Publié 16 Septembre 2021 à 09:21

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Par : Kamel DAOUD
Écrivain

On ne fait pas partie du MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie, séparatiste) parce qu’on est Kabyle. On en fait partie à cause d’une histoire personnelle, d’échecs de croyance, d’une névrose, d’une haine, d’une passion, d’une idéologie suprématiste, par calcul, par ambition malsaine, par détestation ou par sublimation, par erreur ou par enthousiasme, par conviction ou par erreur. Par faiblesse, car sans projet de vie réelle transcendant le particularisme, ou par illusion de force en se croyant supérieur aux autres, spolié d’un héritage exclusif. Cette “appartenance” est un effet, pas une “cause”. 

Aujourd’hui, le “Régime”, comme on aime le désigner, a déclaré la guerre à ce mouvement. Un Régime le fait par calcul, un État le fait par devoir et selon sa logique. Surtout dans un pays, l’Algérie, où le culte de l’Union sacrée, née d’une guerre de Libération radicale, voit très mal les décentralisations, les régionalismes et régionalisations, les séparatismes et les fédéralismes. Le séparatiste est alors la figure du traître par excellence. Et à ce passif des imaginaires s’ajoute l’histoire d’une région victime d’un agressif unanimisme national, d’un déni des différences, mais aussi des courtiers des malheurs de cette région et ses solitudes, de “militants” aux vues courtes et désastreuses. 
Des recruteurs d’amertume qui aujourd’hui veulent en faire leur Royaume exclusif. Passons, car le débat est vaste, dangereux, tant il attire les affects et les extrémismes, provoque les radicalités que l’on sait. Le procès de toute voix “off” qui dénonce le fascisme ambiant est habituel et bien rodé chez les preneurs d’otages d’une question posée pourtant à tous et partout dans ce pays.

De quoi s’agit-il alors comme sujet de chronique ? Des possibles dérives dans la lutte contre ce séparatisme redécouvert ennemi numéro un de la nation depuis quelques semaines. Au chroniqueur, certains confessent depuis des jours la peur des jeunes en Kabylie qui aujourd’hui, alors que les séparatistes sont pourchassés, ont peur, craignent la confusion, le malentendu, l’erreur et sa facture en années de prison. Parce que prise en otage par les radicalités, l’amazighité a souvent mal distingué, dans son ambition ou discours, entre la survie aux malheurs et aux morts et l’affirmation d’une irréductibilité et la réflexion sur les moyens de lutter contre l’effacement. Dans le choix du verbe et des théories, dans un pays en proie à une longue déliquescence, c’est alors l’expression du MAK qui a eu l’avantage et a pu séduire des opinions, sinon des militants et, peu à peu, contaminer les discours. 

Ces jeunes qui aujourd’hui craignent l’arrestation y ont peut-être cédé, un moment, par bravade, par excès de langues à l’époque des réseaux sociaux, par ennui ou par passion, ou peut-être même pas. Alors que les arrestations d’aujourd’hui, si elles démantèlent des réseaux nocifs, luttent contre un cheval de Troie comme il est dit, elles peuvent trop facilement céder au dépassement et à la dangereuse dérive. Algériens des années 1990, nous connaissons notre histoire en Algérie, ses blessures et ses stigmates et avons l’expérience tragique de la lutte contre les djihadistes et le terrorisme islamiste. On a encore en mémoire les erreurs commises : arrestations abusives, sans enquêtes sérieuses, “regroupement” dans les fameux camps qui, au final, ont été la grande école des terroristes du milieu des années 1990, logique des seigneurs de guerre locaux, règlements de comptes, peurs et terreurs, abus et chantages. Cela précipita, à cause de la peur de l’injustice, la radicalité chez certains et offrit une armée à cette cause morbide de la dernière décennie du siècle.

Aujourd’hui, il s’agit de ne pas “criminaliser” une région, une identité algérienne pour les uns, ni d’en sublimer le martyre au point de réinventer un suprématisme illusoire et bête. Personne ne veut voir ces jeunes, aujourd’hui terrorisés, être offerts à ces identitaires que l’exil confortable rend audacieux, ni offrir des arguments aux anti-Kabyles pour asseoir une théorie nationale de la traîtrise collective d’une région. Sans communication, clarté, rationalité et extrême prudence, la campagne “sécuritaire” contre le MAK va aggraver les confusions et ouvrir droit aux dérives et aux surenchères des interprétations. Chez les identitaires comme chez les juges en certificats de nationalisme dit “authentique”.

Ce pays n’a pas besoin de rejouer la guerre entre ses enfants encore une fois. Le MAK, autrefois une secte minoritaire, n’a pu si facilement recruter les âmes et les convictions que par défaut, et ce défaut, il ne s’agit pas de l’aggraver par l’erreur ou le choix “sécuritaire” pour traiter de cette menace. Les islamistes, on s’en souvient, avaient habilement joué sur le martyre, la persécution, le monopole sur le corpus religieux ; aujourd’hui, ces séparatistes réels ou fantasmés peuvent faire de même et prétendre au monopole définitif sur l’héritage amazigh de l’Algérie, jouer au victimaire et au martyr qui “internationalise” sous le couvert des minorités et faire commerce sur le détournement des douleurs vécues par cette région ou sur la fable de la généalogie exclusive.

Chronique crue, sans gants ni nuances, née d’une peur de voir ce qui n’est qu’une étincelle devenir un cratère national, de voir se répéter les erreurs du passé et de voir renaître des monstres mal enterrés. À un séparatisme possible, il est peu productif d’opposer l’unanimisme, mais seulement la pluralité et la prudence. Et à la lutte contre un terrorisme que certains affirment affronter, il n’est pas heureux de rejouer un drame encore mal cicatrisé, de déléguer au “sécuritaire” exclusif une question nationale et de permettre à ce qui n’est encore qu’une secte médiatique de devenir une armée et une “cause”. Voilà une chose dite et qui va faire hurler ceux qui croient que l’amazighité ou la situation en Kabylie est leur monopole, comme d’autres croyaient qu’Allah et une religion étaient leur propriété.

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