Il aurait eu 65 ans hier, n’étaient les chasseurs de lumières qui en ont décidé autrement. Il a été lâchement assassiné par un groupe armé alors qu’il n’avait que 42 ans et qu’il avait, sûrement, encore beaucoup à donner.
Mais ce qu’il a donné jusqu’alors a déjà fait de lui une espèce de force qui, 23 ans après sa mort, continue à mobiliser et à éveiller les consciences. Lui, c’est évidemment Matoub Lounès, l’homme dont l’aura, le combat et l’engagement ont fait de lui un guide vivant pour son peuple en quête perpétuelle de liberté confisquée.
L’enfant qui naquit le 24 janvier 1956 à Taourirt Moussa, dans la région d’Ath Douala, se révéla très tôt au grand public qui distingua vite en lui un nouvel astre brillant dans l’univers artistique kabyle. Dans ses premières chansons, l’auditeur lambda décèle non seulement un nouveau style, mais aussi une voix propre à exciter l’intérêt et à soulever l’enthousiasme.
Il rend hommage aux ténors qui l’ont précédé, il décomplexe l’amour, il glorifie l’amitié et la fraternité, il sèche les larmes des veuves encore meurtries par le souvenir de la guerre... Il chante la mort, mais aussi l’espoir.
L’enfant terrible de Taourirt, dont les anecdotes se sont transformées, au fil du temps, en contes du terroir, ne tarde pas à révéler d’autres facettes, d’autres dimensions et d’autres forces de sa personnalité.
Outre son talent artistique, il révèle un sens inouï de l’engagement et du courage. Il fait de son identité amazighe une cause, du pouvoir un adversaire et de l’islamisme un ennemi.
Ce qui n’était pas pour déplaire aux siens qui reconnaissent vite en lui l’homme qui dit tout haut ce que tout le monde pense tout bas, et aussi celui qui agit pendant que certains se contentent de théoriser.
Engagé jusqu’à se déplacer dans les villages pour distribuer des tracts en 1988, Matoub Lounès, criblé de balles par des gendarmes, est laissé pour mort. Mais Lounès renaît de ses cendres et revient auprès de son peuple. Un épisode qui achève de démontrer le contraire à ceux qui ne voyaient en lui qu’un “petit agitateur”.
Depuis, Matoub prend une autre dimension et c’est en même temps son combat qui prend de l’ampleur. Sans répit, sans jeu de mots et sans aucune retenue, mais avec beaucoup de vérité et d’authenticité, il ne cesse de tailler des croupières à tous ceux qui ramaient à contresens de la démocratie, de la liberté, de la vérité et de l’identité millénaire.
Il a fait de son mandole une arme et de sa langue une épée qu’il plante dans chaque plaie de l’histoire non guérie du pays. Il n’épargnait même plus les siens lorsqu’ils versaient dans les chamailleries qui ne faisaient pas avancer la cause.
Bref, Matoub se dressait en Rebelle contre tout ce qui n’était pas dans l’intérêt du peuple. Monsieur le président, Kenza, Ironie du sort, Regard sur un pays damné, Hymne à Boudiaf, Lettre ouverte aux… autant d’albums où il dissèque le mal du pays et porte un regard critique sur le pouvoir et les islamistes tout en déterrant à chaque fois les vérités qui font mal à ses adversaires et, en même temps, mettent du baume au cœur d’un peuple assoiffé de justice et de réparation. Ce peuple qui a fait de lui, une fois mort, un homme encore plus vivant que jamais.
Matoub Lounès qui faisait ainsi partie du quotidien des citoyens, notamment en Kabylie, où l’on ne peut toujours pas circuler dans la rue sans entendre ses chansons et où l’on continue à chaque anniversaire de sa naissance et de sa mort de se recueillir à sa mémoire.
Plus encore, c’est durant le mouvement populaire du 22 Février que le peuple a démontré son attachement à l’esprit de Matoub Lounès tant il n’y avait pas une seule manifestation où ses chansons, ses portraits, ses mythiques expressions n’étaient pas présents dans la foule qui en a fait ainsi son guide. Pas plus tard qu’hier, nombreux sont ceux qui se sont rendus à Taourirt Moussa pour se recueillir à sa mémoire.
Samir LESLOUS