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Mon pays, cette parcelle d’éternité

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Rabeh SEBAA Publié 14 Août 2021 à 10:12

© D.R
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De : Rabeh Sebaa

Il faut que notre sang s’allume et que nous prenions feu pour que s’émeuvent les spectateurs. “Et pour que le monde ouvre enfin les yeux, non pas sur les dépouilles, mais sur les plaies des survivants.” (Kateb Yacine)

Même Vulcain le sait à présent. Et tous les dieux de l’Olympe. Ils savent que c’est l’Algérie qui a inventé le légendaire phœnix. Et donné leurs lettres de noblesse aux cendres. Toutes sortes de cendres. Sur lesquelles elle a toujours su verser des gouttes de lumière. Et fait pousser des germes d’avenir. Pour un envol renouvelé. Pour une retrouvaille nouvelle avec soi. 

Encore plus étonnante. Encore plus surprenante. Chaque fois. Sans état d’âme. Sans fard et sans fanfare. Avec seulement son proverbial florilège de promesses et d’espoir. Et ses sempiternels rêves hardis en bandoulière. Mon pays qui a toujours su feuilleter passionnément l’Histoire. Il a tourné allégrement la page, encore sanguinolente, de la nuit coloniale délétère. Avant de froisser vaillamment le livre des décennies meurtrières. Noire, rouge, grise ou d’autres couleurs. Comme il a réussi à déchirer les pages du mensonge, de la fraude, des traîtrises, de l’humiliation, des injures et de tous les parjures. Il tournera lestement la page de tous les feux lâchement croisés. 

Ces flammes déchaînées qui ne font qu’attiser la flamme inextinguible. Qui danse frénétiquement sur les seins altiers de l’Algérie de tous les possibles. Comme une amulette sur une poitrine fière. Qui a enfanté des femmes et des hommes magnifiques. Des patriotes sincères. Des martyrs vivants. Des hommes de savoir. Des artistes. Des journalistes. Des éboueurs. Des enseignantes. Des infirmières. Des chômeurs. Des déçus. Des emprisonnés par effraction. Des détenus pour opinion. Des résilients. Des conciliants. Des miraculés. Et des exilés. Toutes ces femmes et ces hommes humbles et sincères, qui ont donné une leçon au monde. Une leçon de courage, de détermination, de patience, d’endurance et de résolution.

Avec un mouvement citoyen pacifique, porteur de valeurs et semeur d’honneur. Un mouvement citoyen érigé en école de dignité. En promesse de vérité. Et qui continue de couler inexorablement dans les veines pétillantes de toute la société. Même après avoir subi les affres funestes d’une calamité sanitaire singulière. Et face à laquelle ses institutions se sont révélées irrévocablement grossières. Des élans de solidarité spontanés, mais forcément désordonnés, ont tenté de parer au plus pressé. Ici comme à l’étranger. Ce qui poussa le centralisme bureaucratique effarouché à exhiber promptement les crocs. Pour tout régenter. Pour tout administrer. Pour tout flouter. 

Car rien n’est plus insupportable à ce bureaucratisme centralisé que de croiser la velléité de formation d’un embryon d’une société civile digne de ce nom. Une société civile qui incarne, depuis Hegel, l’expression d’un contre-pouvoir. Mais également le segment fondamental et le vecteur principal de la consolidation du tissu social. “La société civile est la différence qui vient se placer entre la famille et l’État. Du reste, la création de la société civile appartient au monde moderne qui, seul, a reconnu leur droit à toutes les déterminations de l’Idée.” Ce qui est loin d’être le cas du centralisme bureaucratique effaré. 

Ce dernier s’est toujours accommodé du magma associatif difforme et prémoderne, qui s’autoproclame, parfois, société civile. Alors que la vocation naturelle de tout mouvement associatif authentique est de contribuer activement au raffermissement du lien sociétal, au creux des striures tortueuses du mal-être social. Des pulsations et des vibrations qui habitent et qui agitent le corps de la société algérienne. Dans ce lit de contradictions mouvantes, qui prennent parfois l’apparence de conflits sociaux récurrents, s’inscrivant dans une spatio-temporalité paradoxale. L’usage itératif et par moments excessif de termes comme désespérance, exclusion, précarité, hogra ou marginalisation ne suffit pas à expliquer la crise du rapport sociétal fondamental.

Les processus ségrégatifs qui l’engendrent et le maintiennent naissent dans les effondrements successifs des équilibres de l’échange tant sociétal que symbolique. Le tissage ou le retissage du rapport sociétal fondamental passe par la construction d’un entendement commun qui débusque et expulse la violence. La violence sous tous ses visages. Comme le lynchage ahurissant de ce jeune, brûlé vif par une horde déchaînée, décérébrée et suragitée. Un tel supplice est infailliblement une faillite du sens. Un effondrement de la raison. Et un écroulement de la valeur humaine. Ce sinistre épisode n’a rien à voir avec les feux de forêt ou une quelconque colère de masse non contrôlée. Il y a bien eu des féminicides par le feu sur lesquels on a trop vite détourné le regard. Tout en gardant les yeux largement ouverts.

Dans un pays familier des calvaires. Un pays qui a toujours su apprivoiser les tourments ressassés. Caresser les utopies pressées. Et panser les rêves blessés. Ce pays saura regarder, de loin, les miasmes évanouis de tous les prédateurs, de tous les dévastateurs et de tous les ravageurs. Qui cultivent voracement l’illusion fatale que l’Algérie pouvait sombrer dans la trappe hypnotique d’un recroquevillement mortifère. Et que les murmures et les bruissements de sa liberté légendaire pouvaient s’estomper ou se taire. Dans les plis obscurs d’un silence glaciaire. Enserrant dans sa toile putride les parois embrumées de ténébreux ossuaires. 

Mais mon pays a toujours su rire copieusement au nez de toutes les félonies, de toutes les forfaitures, de toutes les conspirations, de toutes les agressions, de toutes les infamies, de toutes les ignominies. Et de tout ce qui ne peut même ne pas se prononcer. Mon pays est résolu à porter sa dignité haut et fort. S’émerveillant devant les floraisons les plus colorées. S’extasiant devant les nouaisons les plus éthérées. Il continuera à cracher des étoiles qui valsent aux visages hideux des ténèbres. Toutes les ténèbres qui rampent. Mon pays saura réinventer des forêts luxuriantes, des arbres fruitiers mirifiques, des oliviers prodigieux à perte de vue, des marcassins frétillants, des lièvres sautillants, des papillons et des oiseaux multicolores. 

Toutes les faunes et toutes les flores se donneront rendez-vous pour magnifier la fête de la vie. Mon pays redonnera souffle aux maquis, aux vaux, au prés et aux plaines aux chevelures généreuses. Mon pays continuera à se blottir voluptueusement dans les bras de mare nostrum. Ad vitam æternam. Avec la même délectation et la même satisfaction. Avec le ravissement enthousiaste que lui procure sa fougue renouvelée de l’aimance. Cette aimance au goût de miel. Mon pays continuera à apprivoiser les horizons qui avancent. À chevaucher les arcs-en-ciel qui s’annoncent. À caresser la lune qui danse. À allumer tous les soleils. Qui brilleront de tous leurs feux étincelants. Dans le regard lumineux de mon pays. Comme une salve effrénée de futurs émerveillés. Pour toutes les éternités à venir.

 

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