Pour Me Abdelhak Mellah, ancien procureur, avant de faire sa conversion à la défense, “l’autonomie du parquet est en train d’être appliquée partout dans le monde”.
Liberté : Demain auront lieu les élections des membres du Conseil supérieur de la magistrature, alors que la loi organique réglementant ces élections selon la nouvelle Constitution n’est pas encore fixée. Quel impact cela aura-t-il sur la crédibilité du Conseil supérieur de la magistrature ?
Abdelhak Mellah : Il est évident que ces élections auront lieu sous l’égide de l’ancienne loi, étant donné que le processus d’élaboration de la loi de conformité avec la nouvelle Constitution n’est pas au point. Mais il s’agit d’un problème de timing qui concerne uniquement l’aspect lié aux modalités d’élection, en revanche l’essentiel, la composition du Conseil est déjà tranchée par la nouvelle Constitution.
Élever la composition du Conseil supérieur de la magistrature et son élection au rang constitutionnel est considéré par la corporation des magistrats comme le progrès le plus important réalisé par la nouvelle Constitution. Mais cette évolution se heurte à des pratiques qui restent ce qu'elles étaient par le passé, selon des magistrats et juristes. Qu’en pensez-vous ?
La nouvelle Constitution est allée dans le détail concernant la composition du Conseil supérieur de la magistrature. On peut dire également qu’elle est allée dans le détail quant aux attributions de ce Conseil, notamment la nomination et les mutations et bien d’autres questions.
La nouvelle Constitution a élargi certains pouvoirs du Conseil même en ce qui concerne la soumission des nominations dans les fonctions dites spécifiques comme celles de procureur de la République, de président du tribunal, de procureur général, de président de cour, de procureur général près de la Cour suprême, de 1er président de la Cour suprême, de commissaire d’État près du tribunal administratif, de président du tribunal administratif, de commissaire d’État près du Conseil d’État, de président du Conseil d’État sont soumis à un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Concernant les décisions disciplinaires, cette Constitution stipule, noir sur blanc, qu’elles doivent être motivées. Quant au mode d’élection des membres du Conseil supérieur de la magistrature, j’aurais aimé qu’il y ait un seul collège électoral. Mais ce qui est le plus critiquable, c’est le compartimentage qui n’assure pas une saine représentation des magistrats.
Qu'attendez-vous de la loi organique qui doit réglementer l’élection des membres du CSM, ainsi que toutes les lois que le législateur doit adapter à la nouvelle Constitution ?
Nous devons nous inspirer des normes universelles relatives à l’indépendance de la justice, ou les prendre tout simplement telles quelles.
Le Syndicat des magistrats a récemment organisé un forum qui a appelé dans ses recommandations à séparer le parquet du ministère de la Justice. Cela est-il possible, selon vous, en tant qu'ancien procureur général ?
En réalité, cela fait partie des normes universelles, l’autonomie du parquet est en train d’être appliquée partout dans le monde. Soit les procureurs sont des magistrats, et dans ce cas, on doit couper le lien ombilical les rattachant au ministère de la Justice, soit ils doivent renoncer au statut de magistrat. Nous avons hérité d’un mauvais système qui est le système français, alors qu’eux sont en train de le réformer pendant que chez nous, nous sommes encore viscéralement attachés à ce système qui ne correspond plus aux exigences de l’heure.
Pour répondre à votre question, je vous dis que j’adhère pleinement à la proposition du Syndicat des magistrats portant création d’un parquet national qui aura la charge de définir la politique pénale et de veiller à sa bonne exécution, loin de toute tutelle ou ingérence politique. Les procureurs vont devenir dans ce cas de véritables magistrats qui ne doivent obéissance qu’à la loi. En revanche, le mal de la justice dans notre pays, c’est cette dépendance à la chancellerie.
Le Syndicat des magistrats demande également que le système judiciaire soit adapté à l'identité nationale. Que veut-on dire par là ?
C’est un souci légitime. Il faut évidemment adapter les textes de loi à notre contexte national. Être ouvert sur l’universel n’implique pas forcément une importation intégrale des normes et des règles, particulièrement l’accessibilité du droit et de la justice. Il faut, par exemple, l’utilisation des parlers locaux, notamment tamazight. Les domaines d’adaptation restent très nombreux, ils concernent les règles de procédure et les règles de fond. Mais cela demande un effort de juristes sur le plan de la doctrine et de la jurisprudence.
Propos recueillis par : M. IOUANOUGHEN