L’Actualité L’AUTRE Algérie

ON A LE PAYS DE NOS ACTES QUOTIDIENS

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Kamel DAOUD Publié 28 Juillet 2021 à 23:32

© D. R.
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Par : Kamel DAOUD
         ÉCRIVAIN

P. -S. : Éspérons pour Rabeh Karèche sa libération imminente. Le pays réel, lui, il y a vécu jusqu’à le payer et y a travaillé jusqu’à s’y confondre, loin du Nord et ses estrades, loin des vitrines et des expositions et loin du “e-martyr”. Ce journaliste, réel et pas virtuel, n’est pas le symbole facile du “tout va mal” dont se nourrissent certains, et il n’est pas la preuve que “tout va bien” que d’autres veulent faire croire dans ce pays. C’est juste un homme privé de sa liberté. Et lui, comme le pays réel, n’a besoin ni de ceux qui lui volent sa liberté ni de ceux qui lui volent son image. On espère, avec ceux qui espèrent loin de la radicalité et de la futilité, le croiser libre ces jours-ci.  

Chronique : “Il y a la propagande de l'ENTV qui montre une Algérie parallèle ultrapositive. Il y a la propagande des réseaux sociaux qui montre une Algérie parallèle ultranégative. Et il y a la réalité. Elle est bien loin des deux propagandes”, a résumé une Algérienne lucide sur son fil d’actualité. Deux mondes. Deux visions, un œil de chaque côté de la terre commune, une oreille posée sur son propre avis exclusif. En fait, il s’agit de deux pays. Le premier, on n’y a pas totalement tort : le pays mange, se soigne comme il peut, paye ses salaires, aide ses affamés et déshérités, “fonctionne” avec les routes qu’il a et le personnel qu’il a, se protège et ne crève pas en masse. Une voix un peu coupable de mystification, mais pas entièrement mensongère quand on compare l’Algérie à des pays tiers, juste à côté, juste en dessous selon les cartes de l’Occident. Et le second “univers” ? Celui du numérique et du virtuel et des réseaux sociaux et ses nouveaux moudjahidine. On n’y a pas tort aussi totalement : il y a la mort qui a des listes à la main, les contrebandiers de l’oxygène, la flibusterie politique, la répression et l’abus de pouvoir et d’obéissance, le mensonge et les fausses statistiques. Mais encore ? Le pays ENTV ment. Il le fait pour croire et faire croire. Croire que si on dit que tout va bien, c’est alors que tout va aller bien et que c’est bien de l’affirmer. C’est un univers qui voit dans l’exactitude de l’adversité et dans la vérité un complot. Le pays ENTV, c’est le pays moudjahid fondateur, celui de la guerre, de la nécessité de contrôler l’information pour éviter la débandade, de la vérité inutile au triomphe, du cynisme comme acte d’héroïsme. Le pays où il faut montrer ce que le pouvoir, père protecteur et nourricier, héros libérateur et époux macho, assure, malgré les médisances et les attaques d’opposants, l’ingratitude et les exagérations des enfants gâtés de l’indépendance, malgré le prix du pain et les hôpitaux gratuits. On y fonctionne avec l’idée primée que l’État doit tout à un peuple qui ne lui doit que le remerciement et l’obéissance, la gratitude parfois, à défaut de l’amour. C’est un pays de tuteurs en chef, où l’on croit que la véritable fonction du pouvoir est de protéger, nourrir, couvrir, vérifier les ongles et les toits, soigner et laisser médire.
Et le pays des réseaux sociaux ? C’est un pays où l’on croit qu’il faut montrer que tout va mal pour être un homme bien, que tout est pernicieux, malsain, mauvais, raté, minable et falsifié. Que cela a commencé avant la naissance et se poursuit au nom des morts. C’est un pays où l’oxygène manque, même si on montre qu’il est collecté bénévolement par de belles âmes pour les covidés. C’est un territoire d’écrans qui agace car c’est un pays sinistré par la médisance, une envie de mourir sublimée en une envie de dénoncer, atteint par l’étroitesse car on n’y sent pas le courage, mais seulement un désespoir intime que l’on veut vendre comme une cause noble. Parce qu’on y croit que pour permettre le bien, il faut nécessairement dire que tout va mal. C’est un pays où éclosent des libertés multicolores, des rires, des solidarités, mais aussi des facilités, des ego, des narcissismes des révolutionnaires assis et des “leaderships” délirants et pauvres. C’est un pays qui malmène l’envie de vivre malgré tout. On y sent une menace intime, un refus systématique de reconnaître ce qui va bien, un endroit où lon croit que tweeter, c’est agir, un escamotage de la paresse. Un endroit où l’on croit qu’on peut changer le “pouvoir” avec un teeshirt et un slogan et où, ridiculement, “on exige” la libération de détenus, “sans condition”, avant de revenir à sa télécommande pour choisir son menu sur Netflix et faire le procès (en trahison) de ceux qui n’ont pas retweeté ou “liké”. Un pays qui trompe le réel, mais surtout sur soi, son propre poids, son avatar, sa capacité à arracher des libertés par la maturité et pas seulement par le spectacle. C’est une sorte de géographie du 19 Mars 62, un espace d’arméees des frontières du 22 Février. On peut s’y balader et y faire de belles rencontres, mais aussi se faire intoxiquer, contaminer, chasser, insulter, si on n’est pas unanime, et bloquer, arrêter, lapider ou croire déplacer les montagnes en déplaçant sa souris.
Le souci est que les deux pays, celui de l’ENTV et celui des réseaux virtuels, sont habités par les mêmes gens. Les mêmes corps, les mêmes vies. Quand on éteint son smartphone ou la télé algérienne, on retombe, debout, hébété, bien nourri, mais mal orienté, libre, mais oisif, indépendant, mais sans but, avec un toit, mais sans étoiles, avec de la nourriture, mais sans sel, protégé, mais un peu trop, guerrier, mais contre les siens, militant pour la démocratie, mais avec les tons d’une future dictature. On comprend que l’Algérie réelle, c’est un pays juché, balançant, mais pas en ruine, qui respire, mais ne chante pas. Un pays médian. À refaire, à faire, mais ni avec les réseaux sociaux ni avec l’ENTV. Un pays ambigu, mal calibré, mais pas obscur. Un pays dense, poreux, matériel et symbolique, amarré, mais dépendant des marées. À construire avec ces mêmes pierres qui servent à lapider. Un pays qui, en vérité, est entre lui et lui-même, et croit qu’il s’agit de la France, d’Israël, de la mer, du voisin qui a un œil, du “pouvoir” ou des autres en général. Une terre de sueurs, de chair, de matières et de poussières qui n’est ni un clavier ni un JT. Un pays qui n’est pas un échec, mais pas une réussite. Où il y a des gens en prison, mais aussi des gens qui ne savent pas faire autre chose de leur liberté que d’insulter celle d’autrui. Certains se prennent pour Allah, d’autres pour Larbi Ben M’hidi et les derniers pour les nouveaux libérateurs numériques. Où étrangement, les plus vieux évoquent la mort comme une preuve de vie et où les plus jeunes évoquent la mer comme un préalable à la naissance. Un pays où on vole l’oxygène, mais aussi où on partage son salaire pour en acheter pour des malades qu’on connaît même pas. Un pays d’arbres et de stèles, de chansons et de prisons, de fierté et de propagande, de radicalité et de générosité. D’ailleurs, on y parle de libérer la Palestine en ramant vers l’Espagne, mais aussi on brandit un photo d’un boulevard d’Alger-Centre en affirmant que c’est toute l’Algérie, où on commence à médire dès qu’on y atterrit et à magnifier le terre dès qu’on la quitte. Un pays entre la peau et l’ongle, l’os et la chair, le drapeau et les rames, la vanité et l’éternité. 
Que faire quand on est piégé entre les amateurs du sinistre opposant et ceux des propagandes béates ? Y habiter, réellement, s’y ancrer malgré la houle et prendre ce pays pour ce qu’il est : inachevé, soupçonneux, méfiant, fier et mauvais perdant, perdu et éperdu, capable d’élan et de débandade, maffieux et orgueilleux. Le construire ou le quitter. Au lieu de le détruire par le mensonge et la culture du sinistre. Arrêter de raconter que tout va bien et arrêter de raconter que tout va mal. Y participer. Dans le cercle le plus immédiat de sa vie. Et laisser les gratte-ciel imaginaires, les castings des amateurs de selfies révolutionnaires à ceux qui ont du temps à perdre et des mensonges à vivre. En fait, ce pays dépend de chacun. Réellement.  Le “tout va mal” systématique chaque matin, sur chaque mur virtuel, au nom de la démocratie agace, donne envie de vomir, il est mensonger et exprime parfois la démission, la rancune et l’impuissance que l’on essaye de masquer par de l’opposition. Mais le “tout va bien” a déjà montré qu’il tue, abîme et écrase, dilapide et humilie. Il ne sert qu’à s’isoler, dépérir, puis devenir violent au nom de ses mortes certitudes.

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