L’Actualité DOUZE JOURS APRÈS LE SÉISME DE BÉJAÏA

“ON NE DORT PLUS DANS NOS MAISONS”

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Kamal OUHNIA Publié 31 Mars 2021 à 00:44

© D. R.
© D. R.

Sérieusement affecté par la secousse du 18 mars dernier, le  vieux bâti de  la  Haute  Ville, véritable  patrimoine  de  la  capitale  des  Hammadites, risque de disparaître. Les familles qui l’occupaient sont dans la détresse.

Une virée nocturne dans les vieux quartiers de la Haute ville de Béjaïa, nous a permis de ressentir un tant soit peu le calvaire que vivent ces nombreuses familles sinistrées, victimes du tremblement de terre de magnitude 5,9 degrés sur l’échelle de Richter, qui a secoué la wilaya de Béjaïa, le 18 mars dernier. Il était déjà 22h, les ruelles et autres places publiques de l’ancienne ville grouillaient de monde.

Des jeunes et moins jeunes passent leur temps à palabrer de tout et de rien, façon de tuer le temps, dès lors que les nuits sont longues et se ressemblent. Au froid glacial qui caractérise ces veillées nocturnes, s’ajoute l’angoisse qui s’empare des habitants de ces vieilles bâtisses menacées d’effondrement.

Visiblement traumatisés par les nombreuses répliques sismiques enregistrées depuis la puissante secousse du 18 mars, la plupart des habitants sinistrés continuent à passer leurs nuits à la belle étoile. “La plupart de nos familles refusent de dormir dans leurs maisons qui sont complètement endommagées par les dernières secousses.

Plafonds délabrés, murs fissurés, des cages d’escaliers effondrées… Venez voir de vos propres yeux dans quel état se trouvent nos habitations qui datent de l’ère coloniale”, se lamente le jeune président de l’association sociale du Plateau Amimoune, Abdelhak Guerrout, que nous avons rencontré dans les dédales de ces vieux quartiers surplombant la baie béjaouie. Selon notre interlocuteur, certaines familles sinistrées ont fui les lieux pour se refugier chez des proches habitant dans d’autres localités, tandis que d’autres, n’ayant pas cette chance, sont contraintes de rester sur les lieux.

Situé à quelques encablures de l’hôpital Frantz-Fanon, le Plateau Amimoune compte des immeubles construits en 1956 par l’armée coloniale pour y recaser en 1958 des familles algériennes. Près de 60 ans après l’indépendance, quelque 790 familles bougiotes s’entassent dans ces appartements de 36 m² chacun.“On a recensé 220 habitations à la rue des Remparts et 570 à la rue Mohamed-Medjahed, soit un total de 790 maisons dans le périmètre du Plateau Amimoune.

Les démarches administratives après les séismes de novembre 2012 et de l’été 2018 se sont soldées par le classement  rouge de ces vieilles bâtisses par les services du CTC. Malheureusement, toutes les promesses des pouvoirs publics n’ont pas été tenues”, relate M. Guerrout. Avant d’enchaîner : “Il y a beaucoup de promoteurs immobiliers et de bureaux d’études de notre région qui se sont engagés à raser ces immeubles menaçant ruine pour y implanter de nouvelles bâtisses de haut standing, à condition que leurs habitants soient relogés ailleurs.

Ce que les autorités n’ont pas pu faire à ce jour.” Et à son camarade Farid Bachi, vice-président de la même association, de préciser : “Il faut savoir que toute cette zone est classée patrimoine historique. D’où la nécessité d’engager d’abord une procédure de son déclassement pour pouvoir y construire de nouveaux édifices quand bien même d’utilité publique.”

Se rappelant les deux nuits cauchemardesques des 18 et 25 mars, où de nombreuses familles de l’ancienne ville ont été réveillées par de fortes secousses telluriques, les deux jeunes animateurs associatifs tiennent à dénoncer “l’inertie, voire la démission de la majorité des responsables et des élus locaux”. “Nous devons dénoncer le laxisme et l’indifférence des autorités de wilaya. Nous n’avons pas cessé d’alerter et d’interpeller tous les représentants de l’État sur la gravité de la situation, bien avant ce séisme. En vain !

Le wali refuse toujours de nous recevoir, en tant que responsables de l’association de quartier. Ce que j’ai moi-même rapporté au ministre de l’Intérieur et des Collectivités locales, lors de sa visite à Béjaïa, jeudi 25 mars”, s’insurge M. Guerrout qui ne cache pas sa colère face à l’inertie et au manque de réactivité des autorités locales. Évoquant le cas de sa famille, il nous dira sans aucune gêne qu’“il fut un temps, où nous vivions à 16 dans cet appartement de 36 m2², où ma famille habite encore aujourd’hui. C’est pour vous dire que la promiscuité est toujours de mise dans ces vieux quartiers de la Haute nille. D’innombrables familles en pâtissent encore !”

Stigmates des secousses antérieures 
Bien que désabusé par les promesses non tenues des autorités locales, ce jeune militant associatif ne perd pas espoir. “Les engagements pris par le ministre de l’Habitat, lors de notre rencontre sur le site d’Ighzer Ouzarif, nous ont vraiment rassurés.

Autrement dit, nous sommes optimistes quant à la prise en charge de notre demande de relogement dans des habitats RHP construits dans ce nouveau pôle urbain situé sur les hauteurs d’Oued Ghir. La dernière visite de la délégation ministérielle sur les lieux a permis de booster la cadence des travaux des VRD engagés ces derniers mois”, soutient M. Guerrout. Afin d’étayer ses propos, il nous fera savoir que les décisions de préaffectation ne tarderont d’ailleurs pas à être remises aux familles bénéficiaires de ces logements RHP d’Ighzer Ouzarif.

Selon lui, même les familles relogées “provisoirement” dans des F2 à Sidi-Ali Labher seront ensuite transférées à ce site d’Oued Ghir. À noter que plusieurs quartiers de la Haute Ville de Béjaïa sont constitués de vieilles bâtisses dont la menace d’effondrement fait craindre le pire à la population locale. Le cas de la maison qui s’est écroulée à la rue Fatima, après la forte secousse du 18 mars, laisse plus d’un perplexe.

Fort heureusement que cette habitation en ruine était inoccupée. Le comble est que ces décombres jonchent toujours le trottoir. Un constat qui en dit long sur l’immobilisme des pouvoirs publics qui tardent à intervenir pour procéder au ramassage des débris. Les stigmates des secousses sont légion un peu partout. Aux quartiers populaires de Bab Ellouz, Houma Oucherchour, Oued Ouchaâlal, Houma Keramane, Houma Ouvazine, Sidi Ouali, cité Saïd Bellil (ex-La Cifa), cité Soumari…, les habitants se plaignent de la précarité de leurs habitations.

Les réclamations des citoyens impactés par cette catastrophe naturelle pleuvent aux services de la commune de Béjaïa. Plus d’une centaine d’ingénieurs et de techniciens du CTC, venus de 17 wilayas, s’attellent à répondre aux sollicitations des administrations et des citoyens qui demandent l’expertise de leurs bâtisses.

Le directeur du CTC (Contrôle technique de construction) de Béjaïa, Moulai Allaoua, affirme que tous les quartiers de la ville des Hammadites sont couverts par ses services.

Selon lui, le nombre d’habitations individuelles expertisées jusqu’à dimanche 28 mars, s’élève à 1 821 bâtisses, alors que ses services ont déjà recensé 57 habitations classées rouge. Il déplore, néanmoins, le phénomène de fermeture des routes qui constitue une contrainte majeure pour les équipes du CTC qui ont été obligées d’ajourner leur déplacement dans les communes de Kherrata et de Draâ El-Gaïd, à cause du blocage de la RN9 par les manifestants.

La maire par intérim de Béjaïa, Abdenour Tafoukt, lance un appel à tous les propriétaires ou locataires de bâtisses touchées par le dernier tremblement de terre de se rapprocher des services de l’APC pour déposer leurs dossiers de demande d’une aide financière pour la réhabilitation des constructions endommagées suite au séisme du 18 mars dernier.

Les membres de la commission de daïra chargée d’évaluer les dommages occasionnés indiquent que chaque propriétaire d’une habitation classée vert niveau 2 va recevoir une aide financière de l’ordre de 200 000 DA, ceux des habitations classées orange niveau 3 vont percevoir 400 000 DA chacun et à ceux qui ont des maisons classées orange niveau 4, l’État va octroyer à chacun d’eux, 700 000 DA.

Par ailleurs, il y a lieu de signaler  que  les  autorités  de la wilaya ont procédé, lundi 29 mars, au relogement de huit familles sinistrées au quartier de Sidi-Ali Labher. Une opération qui intervient 48 heures après celle qui a permis à douze autres familles, qui vivaient dans les écoles primaires de Tamendjout et Larbi-Tebessi, de se reloger dans des appartements décents de type F2.

Enfin, les membres de l’Assemblée populaire de la wilaya de Béjaïa qui ont tenu une session extraordinaire consacrée à la situation post-sismique, réclament, entre autres, le statut de “zone sinistrée” pour les localités impactées par le séisme du 18 mars. Une résolution qui, pour l’heure, est restée sans écho.
 

Par : KAMAL OUHNIA

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