L’Actualité Chronique

Pour une méditerranéité réappropriée

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Rabeh SEBAA Publié 28 Août 2021 à 10:39

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De : Rabeh Sebaa
ARCATURES SOCIOLOGIQUES

“L’impossible, nous ne l’atteignons pas, mais il nous sert de lanterne.” René Char.

L’Algérie est le plus grand pays d’Afrique. Le plus grand du monde arabe. Et du pourtour méditerranéen. Oui du pourtour méditerranéen. Et cela nous avons souvent tendance à l’oublier. Ou plus précisément on s’est toujours attelé à nous le faire oublier. Depuis le sinistre enlisement dans les marécages bourbeux d’une idéologie prétendument unitaire. Mais qui s’est révélé des plus insidieusement fractionnaires.

Des plus pernicieuses. Des plus vicieuses. Une idéologie prodigieusement inégalitaire. Néfaste et mortifère. La prétendue unité arabe. Enfantant, par la suite, l’avatar     blafard d’unité maghrébine. Un avorton inerte qui n’a jamais balbutié le moindre murmure de salut pour une région en quête de repères. Bien au contraire. Il a vite rejoint le cercle malfaisant des faussaires. Les contrefacteurs de l’unité où les membres ont pour vocation première de tirer furieusement dans les pattes du voisin. Quand ce n’est pas un poignard bien aiguisé planté dans le dos du frère. Tout en claironnant la sublimation d’une destinée jalousement partagée. Et une solidarité irréversiblement engagée. Contre tous les ennemis de la nation arabe. En trichant. En mentant. Et en trahissant. Assidûment. 

Les relations en dents de scie entre l’Algérie et cette monarchie du nord de l’Afrique en sont l’éloquente illustration. Et la dernière séquence de ces relations, congénitalement biaisées, par la déloyauté, la traîtrise, l’hypocrisie et les croche-pieds tragiques, n’en est que le couronnement logique. L’adage nous dit bien : à quelque chose malheur est bon. Dont acte. Le cours impétueux du temps offre, ainsi, une excellente opportunité à l’Algérie de se rendre à l’évidence. Pour ouvrir grandement les yeux. Pour endosser fièrement l’habit de sa grandeur. Et renouer avec les miroitements et les chatoiements de sa splendeur. En quittant, sans regrets, les rets de l'exiguïté, de la promiscuité et de la fausse proximité. Qui se sustentent copieusement d’animosité et de rancœur. Au nom de la brumeuse fraternité. 

Car dans le triptyque Monde arabe-Maghreb-Méditerranée, l’Algérie a toujours occupé une posture singulière. Qui lui a valu d’être désignée, par les uns et les autres, comme cible particulière. Lacérée de toutes parts. Par beaucoup de ces pays affublés trivialement du qualificatif de frères. Comme si la consanguinité ou le lignage pouvait s’ériger en valeur politique, morale, éthique ou géostratégique. Comme si la race était un gage d’assemblage magique. Une caution de rapprochement entre des contrées fort éloignées. Entre l’Algérie à la fois africaine et méditerranéenne et le désert d’Arabie parsemé de monarchies maléfiques à la nocivité mirifique. Aux desseins foncièrement toxiques. Contrairement à l’Algérie qui a connu l'influence phénicienne d'abord, puis latine, durant plus de cinq siècles.

La faisant entrer de plain-pied dans la spatio-temporalité méditerranéenne. Il n’existe aucun pan méditerranéen ancré dans l’imaginaire désarticulé de ces pays exaltés. Se considérant d’abord comme arabes et musulmans.  Avant toute chose. Hormis ce vague sentiment de contiguïté ou de mitoyenneté ayant pour socle friable la vaporeuse fraternité. La fibre méditerranéenne leur est totalement étrangère. Demeurée, de tout temps, absente de la symbolique d’identification et d’appartenance à l’aire musulmane. Qui a plutôt priorisé l’unité arabe, par la race et la consolidation des liens dans la fumeuse Umma par la religion. Des liens fondés principalement sur la foi supposée commune et d’autres considérants sans réel fondement.

De ce fait, la Méditerranée comme espace d’identification n’a jamais été pensée et encore moins célébrée par tous ces pays. Il n’existe pas de référence à la Méditerranéité dans le monde dit arabe. Ou alors seulement comme une mare lointaine qui a vu naître des légendes et des mythologies. Il existe, en revanche, des adeptes de l’exhumation cyclique et ritualisée de certaines valeurs puisées dans le fonds culturel diffus et sustentant bien des ressentiments, parfois exacerbés, contre l’Occident mais également contre ces pays qui ont hérité une part de son cartésianisme, de sa rationalité, de ses principes républicains et de sa modernité. Comme l’Algérie précisément. Ces ressentiments amassés et ressassés, qui sont l’expression actualisée d’un legs civilisationnel fortement embrouillé. Revêtant tour à tour des caractères idéologiques, politiques, culturels ou cultuels. 

Mais au-delà des bornages multiples qui existent entre ces deux flancs, la plus importante est, sans conteste, d’ordre mental. Et l’Algérie, qui s’est trouvée au milieu du gué, en a pâti durablement. Des deux côtés. Du côté de la rive nord, où prévaut une vision d’éloignement délibéré, voire d’exclusion déclarée, qui confine les rivages du Sud et, partant, l’Algérie, dans une altérisation durable. Une altérisation conçue comme intrinsèquement incompatible avec les cultures de la rive Nord. Funeste dialectique confortée par le verrouillage forcené des frontières, conjugué à des débats intérieurs récurrents sur les démons de l’Intrusion (émigration, voile, minarets, polygamie…) et qui sont autant de signes, du malaise épouvanté, d’une citadelle, prétendument, cernée de toutes parts. Une citadelle qui assure se prémunir autant des référents culturels envahissants et menaçants, que des appétits aiguisés, par son aisance matérielle. 

Ce miroir aux allouettes qui excite, depuis des lustres, les rêves désincarnés des populations de la rive Sud. Cette Méditerranée des pauvres, dans laquelle on veut confiner l’Algérie, apparaît comme une palissade hissée sur les vagues agitées du déni. Car quand ce n’est pas une vaste nécropole liquide pour des milliers de harraga transis, c’est une bissectrice bétonnée entre les deux rives. Même la binarité géographique référentielle, Rive Nord-Rive Sud, a transmuté en dualité culturelle de confrontation, voire d’affrontement, annihilant tout projet de partage de l’être-là méditerranéen. Allant même jusqu’à dénier à l’Algérie sa méditerranéité nourrie et enrichie par son africanité. Le corps immergé dans le continent et la tête délicatement posée sur la chevelure nacrée de mare nostrum. Et c’est pour cela qu’il ne faut pas s’étonner, à présent, de voir l’Algérie réagir vigoureusement à cette volonté entêtée d’obstruer les pores de respiration de sa Méditerranée.

De résister à la forclusion obstinée de ses horizons. Et au rétrécissement de ses rivages, qui confine à l'exiguïté et à l’étouffement. Une obstination portée également par l'ancienne puissance coloniale, qui tout en prônant la démocratie et les droits de l’homme, affiche ostentatoirement sa préférence monarchique. Sur tous les plans. Se mirant, ainsi royalement, dans son nombril latin tout en chaussant des roitelets en guise de babouches. Figée dans ses stéréotypes décharnés et succombant à ses propres truismes, cette ancienne puissance coloniale s'éloigne largement du rivage du partage. Contre ses propres intérêts. Un exemple fort illustratif est bien celui du traité de libre échange signé entre les États-Unis et la monarchie du nord de l’Afrique, dit à statut avancé. Les États-Unis, déjà fortement présents dans toute la Méditerranée avec la VIe flotte, à laquelle s’ajoute à présent l’Africom, enfoncent un autre clou géostratégique, grâce à ce traité de libre-échange avec la monarchie, qui est pourtant un europhile patenté.

Mais qu’on continue à choyer, malgré tout, juste pour vulnérabiliser l'Algérie. Cette attitude anéantit toute possibilité d’une méditerranéité en partage. Une méditerranéité retrouvée pour les uns et confortée pour les autres. Elle tend à ruiner les fondements des attaches complexes et diversifiées qui se sont tissées à travers l’histoire de la région. Des attaches qui se trouvent, fortement embrouillées, mais qui refusent de s’estomper. Il est naturel que des différenciations et des diversifications, de toute nature, habitent et agitent les rivages chamarrés de la Méditerranée. Mais on ne se lassera jamais de répéter qu’elle demeure le lieu d’un entrelacs enchevêtré où s’imbriquent des nuances et des dissemblances. Mais c’est aussi et surtout un nœud d’interstices où s’accomplit rituellement, mais séparément, un même amarrage. 

Il est, par conséquent, toujours possible de concevoir, au-delà des invocations du rite et des évocations du mythe, un dessein méditerranéen en partage pour l’Algérie. Il est, surtout, souhaitable de se donner, hic et nunc, les moyens sincères et loyaux de le réfléchir avec l’ensemble des pays du pourtour méditerranén. Comme un nouveau souffle de son histoire. Fernand Braudel, chantre de la Méditerranée, le souligne à juste titre : “Le but secret de l’histoire, sa motivation profonde, n’est-ce pas l’explication de la contemporanéité.” Et l’explication de la contemporanéité pour le cas de l’Algérie n’est autre que sa réinsertion pleine et entière dans sa méditerranéité. Loin des cénacles mortels des frères et des voisins. 

L’Algérie contemporaine, l’Algérie de maintenant, recouvrant et exerçant librement sa méditerranéité retrouvée. Faussant définitivement compagnie à ces coquilles lugubres, effroyablement nuisibles. Nocives à souhait. Au nom de l’apocryphe fraternité. Faussaires patentés de la proximité mais sentinelles authentiques de l’inimitié. Profusément irriguée de pusillanimité et d’indignité.

 

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