L’Actualité Les soins médicaux faiblement remboursés par les assurances

Quand le malade paie de sa poche pour sa santé

  • Placeholder

Amor ZOUIKRI Publié 28 Mai 2021 à 23:16

© D. R.
© D. R.

Les malades s’acquittent des frais de leurs soins avec leurs propres moyens en l’absence d’une revalorisation des frais de remboursement des actes médicaux ou chirurgicaux par la Cnas.

De plus en plus onéreux, les tarifs des soins médicaux, remboursés par les organismes d’assurance à des taux parfois insignifiants, sont, dans une grande partie, supportés par le malade lui-même. “Cela relève de la politique de la santé du pays”, explique un responsable d’une agence de la Cnas de Jijel, interrogé sur le cas de ces malades qui se soignent dans le privé sans que ces actes de soins leur soient remboursés. Sauf que cette politique a fait que la Caisse nationale des assurances sociales (Cnas) contribue au financement des hôpitaux publics qui, selon ce responsable, “n’offrent que des soins en deçà de ce qui est recommandé”.  Dans les hôpitaux publics les frais de soins et d’hospitalisation sont facturés à blanc, ce qui n’est pas le cas dans les établissements privés où il faut payer rubis sur l’ongle. Et nombre de malades, même pauvres, n’hésitent plus à recourir aux services des cliniques privées, évitant ainsi d’aller dans les hôpitaux publics où la prise en charge laisse à désirer. 
“Nous gérons la misère sociale”, lâche le directeur d’une clinique privée pour signifier que les malades que son établissement reçoit sont de statut social modeste. 
“Chaque fois que je descends à l'entrée de la clinique, je suis assailli par des malades qui sollicitent des aides”, poursuit-il, avant de lancer : “Je sais que les gens riches ne viennent pas ici, ils ont leur entrée ailleurs”. Selon lui, une grande partie des malades de sa clinique sont d’extraction sociale modeste et demandent souvent des aides ou des remises sur les actes de soins. Il reste que cette clinique ne désemplit pas de malades. 
Au hall d’entrée, tous les actes de soins et les médecins avec lesquels cet établissement est conventionné sont affichés. Les tarifs, non. Ils relèvent du domaine de la caisse où le malade passe pour s’en acquitter avant tout acte médical ou chirurgical. Le grand nombre de malades renseigne on ne peut mieux sur le fait que les établissements privés de soins ont supplanté dans une large mesure les hôpitaux publics. En plus des cliniques privées, de longues files d’attente de malades sont aussi observées devant les centres de radiologie et d’analyses médicales. Dans les cabinets médicaux privés, notamment des spécialistes, c’est le même spectacle qui s’offre au quotidien. Et il faut se lever tôt le matin pour espérer avoir un rendez-vous de consultation par un spécialiste. 

Les établissements privés supplantent les hôpitaux publics
Alors que le secteur privé draine d’immenses sommes d’argent dus aux frais de soins, les caisses d’assurance sociale n’interviennent que pour rembourser les actes conventionnés. “À la Cnas, on ne parle pas de malades mais plutôt d’assurés à prendre en charge, les actes de soins sont remboursés en fonction de la réglementation en vigueur”, soutient-on. Et cette réglementation ne permet de rembourser un examen de scanner à 10 000 DA qu’à un très modeste niveau qui ne dépasse pas les 1200 DA et avec accord préalable du médecin conseil. “Mais sur quelle base ces tarifs sont déterminés ?”, s’interroge un médecin conseil d’une agence Cnas, qui semble douter de la rationalité de ces tarifs. “C’est en fonction des charges et des investissements pour acquérir les équipements”, explique un médecin radiologue qui nous a reçus dans sa clinique. Celui-ci s’est d’ailleurs mis à énumérer les produits payés à des tarifs soumis aux fluctuations de la valeur du dinar face à celle de la devise. Il cite, entre autres, l’ultravis et le Dotarem, des produits de contraste pour scanner, qu’il paie entre 5 000 et 6 000 DA la boîte. Ces mêmes arguments sont avancés par le chef de la clinique médicale privée visitée.
“Nos tarifs sont fixés selon nos charges. Nous ne percevons que 10 à 15% du montant global de l’acte chirurgical”, dit-il. Membre fondateur de l’association nationale des établissements hospitaliers privés, celui-ci reconnaît que les tarifs de soins sont encore loin d’être unifiés dans le secteur privé. “Nous prévoyons de tenir une réunion sous l’égide de notre association en automne prochain pour les unifier à l’échelle national”, affirme-t-il. Conventionnée avec la Cnas, sa clinique prend en charge les accouchements. À quel tarif ? “La Cnas couvre l’acte d’accouchement ou de césarienne sans plus”, rétorque-t-il, sans donner de chiffres. Tout autre acte de soins ou examen est payé par la parturiente. Ce qui revient à dire, selon lui, que la consultation par une sage-femme ou un médecin, en plus de l’échographie et des examens biologiques, sont pris en charge par la femme qui se présente à l’accouchement. “Elle paie entre 10 000 à 12 000 DA et certaines se présentent avec des maladies chroniques à prendre en charge au cours de l’accouchement”, précise-t-il. Autrement dit, même assurée, la parturiente s’acquitte de certains frais. À la Cnas, on soutient que l’acte d’accouchement est pris en charge à hauteur de 45 000 à 60 000 DA, selon la convention en vigueur. 

Un accouchement entre 45 000 et  60 000 DA
Heureusement que ces frais s’arrêtent à ce montant, car qu’en serait-il pour des assurés qui paient tout de leur poche dans le cas d’autres pathologies ou actes chirurgicaux ? C’est là que réside la grande question, quand le malade est livré à un système de santé qui le balance entre des cliniques privées qui imposent leurs tarifs et des organismes d’assurance qui disent ne rembourser que les actes de soins conventionnés. 
Un malade atteint de cancer est ainsi contraint, s’il n’est pas pris en charge dans les établissements publics de santé avec des rendez-vous éloignés, de s’acquitter des frais de tous ses examens d’IRM et de scintigraphie. La radiothérapie boucle les frais à payer à des tarifs onéreux et qui ne sont remboursés par aucun organisme d’assurance. Sauf que des organismes d’assurance privés proposent des assurances à leurs clients sur le plan santé. “Leurs assurés sont mieux pris en charge”, assure le responsable de la clinique citée plus haut, ajoutant que “certains de ces assureurs privés sont conventionnés avec des cliniques privées”. Pour espérer se faire rembourser ses frais de soins de plus en plus lourds à supporter, le malade algérien serait-il contraint de se faire assurer dans ces organismes privés d’assurance ? Au vrai, le malade n’a pas beaucoup le choix. “Où il prend son mal en patience et attend son rendez-vous avec le risque de mourir durant ce moment d’attente ou il part se soigner chez le privé qui le prend en charge dès qu’il se présente mais à des tarifs élevés qu’il doit payer de sa poche”, explique le président d’une association de cancéreux. Celui-ci, qui dit militer pour la généralisation des centres d’IRM et de radiothérapie dans les hôpitaux publics, observe, avec amertume, que c’est dans le secteur privé que les malades se soignent car, di-t-il, “dans le secteur public, les rendez-vous sont tellement éloignés que l’espoir de survivre à sa pathologie cancéreuse est minime”. Ceci pour les cas de cancer. Qu’en est-il pour les autres pathologies ? C’est le même topo si l’on se réfère au constat de ces cliniques médico-chirurgicales, ces centres de radiologie et autres laboratoires d’analyses médicales qui débordent de malades. 
Ainsi donc, les malades s’acquittent des frais de leurs soins avec leurs propres moyens en l’absence d’une revalorisation des frais de remboursement des actes médicaux ou chirurgicaux. Pour une fracture, pour ne citer que cet acte, le malade paie entre 50 000 à 100 000 DA, sans que ce montant ne lui soit remboursé. Hormis les conventions avec les cliniques spécialisées dans les maladies cardiovasculaires et les accouchements, les assurances sociales s’appliquent toujours à rembourser les tarifs des actes conventionnés qui ne s’élargissent pas à d’autres spécialités. À la Cnas, on se targue cependant de couvrir plus de 80% de la population algérienne entre assurés sociaux et ayants droit. Au cours du premier trimestre de l’année 2021, cet organisme comptabilise plus de 113 milliards de dinars de dépenses au titre de la couverture sociale des assurés et ayants droit. 
À ce montant s’ajoutent plus de 8 milliards de dinars de dépensés dans la prise en charge des accidents de travail, portant à 121 milliards de dinars la totalité des dépenses de cet organisme durant la même période. Sauf que le montant des frais des soins dépensés par les malades, même bénéficiant d’une couverture sociale, dans les établissements privés reste un secret bien gardé, sinon non évalué. 
En définitive, chaque partie s’en tient à ses arguments pour défendre son domaine. La Cnas avance ses chiffres et ses dépenses et les cliniques privées justifient leurs tarifs par leurs investissements. Le malade, lui, semble se perdre entre les deux quand il n’a plus aucun autre choix que de payer pour sa santé. D’où l’urgence, insistent certains, d’une intervention des pouvoirs publics pour assurer son rôle régulateur dans cette “jungle” médicale, pour reprendre les propos de certains autres, quitte à revoir le système de santé actuel.
 

Enquête réalisée par :  Amor ZOUIKRI

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00