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Quelle place l’intellectuel occupe-t-il dans le débat politique en Algérie ?

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Yazid HADDAR Publié 26 Octobre 2021 à 22:03

© D. R.
© D. R.

Par : Yazid HADDAR
NEUROPSYCHOLOGUE ET FORMATEUR

L’arrivée d’une nouvelle génération monolingue, sans esprit critique scientifique, rend le débat intellectuel usant, redondant et faible au niveau du continu. Certains titres de presse reflètent l’image de cette détérioration tragique de notre vie intellectuelle. 

Dans un édito, Ali Bahman(*) interroge le silence des intellectuels algériens. Cette absence du débat se ressent de plus en plus dans la société algérienne. En effet, la question devrait également en interroger plus d’un, car qu’avions-nous fait pour assurer le bon déroulement des débats dans notre société ? La balle n’est pas uniquement entre les mains du pouvoir, mais également entre celles de la société civile, et chacun a une part de responsabilité dans ce blogage. 

Quel impact le débat intellectuel peut-il avoir dans cette période de notre histoire ? Est-ce de ressasser le discours déjà usé, par son contenu et dans sa communication, ou de reproduire les mêmes critiques et analyses, incarnées par l’opposition, depuis l’indépendance ? Cette usure n’est pas le signe d’une absence de stratégie de communication ou d’absence d’un projet de société, mais elle pourrait être l’indicateur de l’absence de réflexion. Car toute réflexion est l’émanation du débat entre deux pensées distinctes.

L’usure des idées pourrait-elle être un moyen de le fossoyer et d’étouffer toutes nouvelles idées ? Cependant, les promoteurs de la vie politique algérienne imposent un projet de société en Algérie, qui est d’incarner la société arabe, sans l’interroger ni la débattre. Les pouvoirs successifs ont tout mis en œuvre pour renforcer ce projet, en commençant par l’école, le modèle économique et juridique et les choix stratégiques au niveau politique.

Désormais, tous les ingrédients sont propices pour que ce projet soit une réalité. En effet, l’école a réduit la pensée critique à caractère religieux (licite et illicite), le législateur a introduit des lois qui sanctionnent tout débat critique sur la religion, sur les hommes politiques, etc. En effet, comment voulez-vous un débat sans esprit critique ? Est-ce le débat, comme le présentent quelques médias publics à sens unique, c’est-à-dire pas de critique, pas de commentaire, seulement “justifier” le choix du pouvoir en place ? Le rôle de l’intellectuel est-il de justifier ou de critiquer ? 

Cette année était riche par ces contradictions, en premier le débat sur l’histoire. Ainsi, le fils du colonel Amirouche, dans une émission télévisée, a suscité un débat sur l’Émir Abdelkader, ce qui lui a coûté quelques mois de prison. Or, il s’agit bel et bien d’un débat sur l’histoire nationale, qui devrait être mené dans un esprit critique. L’intellectuel pourrait enrichir le débat en s’appuyant sur les historiens (leurs livres, articles, etc.). En outre, leur rôle est d’introduire une démarche scientifique dans le débat pour enrichir la réflexion du citoyen. 

En effet, l’intellectuel se caractérise à la fois par un statut sociologique et, sur le plan éthique, par une transcendance qui le porte à défendre une forme d’intérêt général. Néanmoins, en Algérie, l’intellectuel doit trouver lui-même les espaces de débat pour exprimer sa pensée et enrichir le débat public. Cependant, lorsqu’il est ignoré par les médias publics et privés ou lorsqu’il est sanctionné (officieusement) pour ses opinions, cela réduit le débat public. Désormais, certains intellectuels se détachent de la réalité sociale non pas par désintéressement, mais par épuisement et découragement.

Le deuxième événement est celui de l’islamologue Saïd Djabelkhir, chercheur en islamologie, qui a écopé de trois ans de prison ferme, poursuivi par sept avocats et un autre universitaire pour “offense aux préceptes de l’islam et aux rites musulmans”. Or, l’intervention de l’islamologue Saïd Djabelkhir était dans un cadre académique, de plus sa démarche est intellectuelle et va dans le sens d’enrichir le débat sur la religion et de sortir du “moule idéologique dominant”.

Cependant, la loi n’assure pas le débat mais le censure. Dans le cas de l’islamologue Saïd Djabelkhir, en effet, l’article 144 du code pénal algérien stipule que “quiconque offense le prophète (que la paix soit sur lui) et les autres prophètes et messagers de Dieu ou les préceptes de l’islam (que ce soit par écrit, dessin, déclaration ou de tout autre manière) est condamné à 3-5 ans d’emprisonnement et une amende de 50 000 DZD à 100 000 DZD”, soit l’une de ces deux peines. Les poursuites pénales sont engagées par les autorités publiques. Question : à quel moment peut-on être offensant ou débattant ? Qui peut le décider ? 

Les deux exemples mentionnés plus haut montrent les limites d’un débat intellectuel serein. Il y a 40 ans, ce genre de débat se faisait publiquement dans nos universités et nos espaces culturels sans que personne soit offensé ! L’arrivée d’une nouvelle génération monolingue, sans esprit critique scientifique, rend le débat intellectuel usant, redondant et faible au niveau du continu. Certains titres de presse reflètent l’image de cette détérioration tragique de notre vie intellectuelle. Que faire ?

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