L’Actualité IL VEILLE AVEC PASSION À LA PRÉSERVATION DE LA FORÊT D’AKFADOU

RACHID SAÏ LE COPAIN DES BOIS

  • Placeholder

Kamal OUHNIA Publié 05 Juillet 2021 à 22:46

© D. R.
© D. R.

Il mène un combat permanent contre les feux de forêt. Rachid Saï est un garde forestier exerçant dans le massif d’Akfadou. Depuis une vingtaine d’années, il s’attache à protéger des flammes cette réserve naturelle... 

Dans sa tenue qui épouse les couleurs de la végétation, Rachid Saï est comme un “léopard dans la fôret” d’Akfadou, devenue au fil des années son espace vital qu’il doit préserver. Il y veille jalousement depuis une vingtaine d’années contre un “ennemi” qui peut surgir à tout moment. Il le fait avec passion et amour pour la faune et la flore. Il est le copain des bois qui ne baisse pas la garde.

Les feux de fôret, c’est sa hantise, qui devient plus pesante à l’arrivée de l’été. La saison des incendies et des flammes qui, en quelques instants, peuvent réduire en cendres des arbres centenaires, d’autant que la région d’Akfadou ne connaît pas d’étés paisibles. 

Chaque année, des dizaines d’hectares sont avalés par les flammes. Brigadier principal, Rachid Saï chapeaute les opérations de surveillance, de nettoyage et de sensibilisation sur un périmètre de 1 500 ha qui contient en son sein l’arboretum d’Agoulmine Aberkane (Lac noir). Un site paradisiaque situé au cœur d’une végétation foisonnante, non loin d’un haut lieu historique que fut le PC du Colonel Amirouche, colonel de la Wilaya III historique.

En ce début de la saison estivale, qui attire plus de visiteurs dans cette zone forestière, sa priorité est d’empêcher des départs de feu. Une mission aussi immense que le massif forestier dont il a la charge de protéger. Avec son équipe, il organise de patrouilles de surveillance quotidiennement, afin de détecter tout éventuel départ de feu, donner l’alerte, enter d’étouffer dans l’œuf le foyer d’incendie dès son déclenchement, orienter les secours, multiplier les campagnes d'information et de sensibilisation auprès du public. 

“Dans certains endroits, afin de prévenir et lutter contre les risques d'incendie, on s’attèle à ouvrir des percées pour ralentir l’avancée des flammes. Pour ce faire, on fait appel à des engins en vue de défricher le sol”, nous explique-t-il. L’essentiel de son action, celle en amont, est déjà assuré. Tout au long de notre parcours, M. Saï n’a pas cessé de nous montrer tous ces travaux préparatoires réalisés par son équipe.

Aménagement et entretien des pistes forestières, nettoyage et débroussaillage de certains secteurs parmi les sites fréquentés par les visiteurs et les riverains, mise en place des points d'eau et des balisages, élimination de la biomasse combustible à proximité des habitations et des voiries dans les zones particulièrement exposées au risque incendie.

Des opérations menées par les gardes forestiers d’Adekar dans les dédales de cette réserve de biosphère. En compagnie de ses éléments, Rachid se targue aussi d’avoir mené à bien les campagnes de plantation d’arbres, caravanes de sensibilisation sur les risques de feux de forêt, des sorties pédagogiques organisées en collaboration avec les services communaux, les pompiers, les services de sécurité, les membres de l’association des chasseurs d’Adekar et autres citoyens bénévoles. Il faut dire qu’en période estivale, les services des forêts sont sur deux fronts : la lutte contre les feux de forêt et la récolte du liège qui se déroule généralement de la fin juin à la mi-août. Néanmoins, cette campagne de subériculture ne dure pas longtemps.

Origines des feux 
En s’enfonçant dans le massif forestier où l’on peut facilement se perdre sans la compagnie de notre garde qui connaît les moindres recoins de la fôret, Rachid énumère les principales causes qui peuvent provoquer des feux. Outre les jets de mégots de cigarette, les incinérations de déchets végétaux sont les principales causes des départs de feu enregistrés ces dernières années dans la région.

D’ailleurs, affirme-t-il, on a réussi à appréhender certains pyromanes ayant provoqué des feux de forêt dans la région d’Adekar. Notre interlocuteur citera l’exemple d’un octogénaire souffrant de troubles psychiques qui était, l’année dernière, à l’origine d’un départ de feu dans cette circonscription administrative.

“Il y a un manque de civisme et de prise de conscience chez certains citoyens qui ne s’impliquent pas dans la mise en œuvre de notre stratégie de lutte contre les feux de forêt.” Revenant aux risques d’incendies qui guettent ce vaste massif forestier d’Akfadou, M. Saï soutiendra que la nature de sa végétation fait que les dégâts que pourraient causer les flammes sont vraiment limités aux pertes de broussailles et quelques plantes herbacées.

“On enregistre quelques feux de litière (sol), sans, toutefois, causer de dégâts importants en termes de végétation. Néanmoins, on déplore la perte de certaines espèces animales. En revanche, ce genre de feux de surface constitue un facteur de fertilisation des terres, dont le phénomène est connu sous l’appellation d’écobuage.”

Menaces et contraintes
La forêt d’Akfadou qui couvre une superficie de 10 000 hectares — 5 400 ha sur le territoire de la wilaya de Béjaïa et 4 600 sur celui de Tizi Ouzou) —, fait face à une multitude de menaces qui pèsent lourdement sur sa biodiversité. Alors que d’autres contraintes liées notamment à l’absence d’un statut juridique et de moyens de protection, freinent son développement et l’exploitation à bon escient aussi bien ses richesses naturelles que ses atouts touristiques.

D’un côté, elle subit de plein fouet les conséquences désastreuses de certains phénomènes anthropiques, tels que les incendies de forêt, l’abattage sauvage et massif d’arbres, le défrichement de terrain, le braconnage, la pollution de l’environnement…

Selon M. Saï, les dégâts occasionnés par l’être humain demeurent incommensurables, citant à titre d’exemple, la pollution induite par le comportement déplorable de certains visiteurs qui jettent leurs déchets en pleine nature.

Ce constat est remarquable aux abords du Lac noir, lors de notre passage sur site. Si certains habitués des lieux laissent leurs sachets poubelles au bord de la route, d’autres visiteurs abandonnent leurs déchets à même le sol. Une situation qui indigne les gardes forestiers. Rachid Saï le premier. Il n’a pas manqué à l’occasion de sensibiliser de nombreux citoyens ayant installé leurs bivouacs aux abords de cette zone humide (Lac noir).

“Évitez de jeter vos cigarettes ou d’allumer du feu sur des aires couvertes de broussailles. Avant de quitter les lieux, veuillez mettre vos déchets dans des sacs poubelles fermés pour préserver ce site”, leur lance-t-il. “Il faut sensibiliser sans cesse les gens, leur rappeler qu’un banal geste de leur part peut détruire un trésor écologique”, nous dit-il. 

Les éléments de la brigade forestière d’Adekar qui sillonnent à longueur de journée cette zone touristique, collectent quotidiennement des dizaines de sacs poubelles sur ce site. Néanmoins, les efforts consentis par ces équipes d’intervention demeurent insuffisants. “On souffre d’un déficit de moyens humains et matériels.

Tenez-vous bien, nous avons un effectif de 14 forestiers, dont certains s’occupent des tâches administratives, et deux véhicules utilitaires, dont un à l’état d’épave, pour une réserve forestière de 8 000 ha, s’étendant sur trois communes : Adekar, Béni Ksila et Taourirt Ighil. Sachant que nous avons affaire à une zone au relief accidenté parfois inaccessible, avec une végétation très sensible au feu”, se lamente notre interlocuteur.

Selon lui, certaines zones forestières étaient classées “rouges” durant la décennie noire, où le terrorisme islamiste écumait ces massifs forestiers situés à la lisière des deux wilayas de Béjaïa et de Tizi Ouzou. Les lieudits Tamakra, dans la commune d’Adekar, Mezala et Attrouche (Béni Ksila), étaient les fiefs des Groupes islamiques armés (GIA). Le terrain demeure, d’ailleurs, miné dans ces zones, où on a enregistré des explosions de bombes artisanales ayant causé la mort de plusieurs têtes de bétail en transhumance.

L’ange gardien des forêts déplore la lenteur constatée dans l’intervention des véhicules stationnés à la direction de wilaya qui mettent beaucoup de temps pour arriver sur les lieux des sinistres. “Il faudrait penser à décentraliser la gestion de ces moyens de lutte et renforcer les équipes d’intervention au niveau des inscriptions des forêts”, a-t-il estimé.

Sur sa lancée, il soutiendra que même la loi n°84-12 du 23 juin 1984 portant régime générale des forêts est “obsolète”. Sa révision reste une urgence pour redynamiser le secteur. “Nous réclamons un texte juridique qui protègera le forestier au même titre que les autres corporations, car nous subissons des pressions, voire des actes de violence dans l’exercice de notre métier”, a-t-il insisté.  

L’Akfadou, un écosystème en attente de classement
Le projet de classement de l’Akfadou en parc naturel régional, qui a pourtant fait l’objet de plusieurs études socio-économiques et forestières, tarde à voir le jour. Une option qui demeure nécessaire, selon M. Saï, pour sauvegarder son patrimoine forestier, floristique et faunistique, valoriser ses potentialités touristiques et ses ressources sylvestres. “Il faut impérativement hisser ce site au rang d’aire protégée, ne serait-ce que pour protéger sa biodiversité et assurer son équilibre biologique”, préconise-t-il.

Pour rappel, un dossier de classement a déjà été introduit par la subdivision des forêts de Chemini, en collaboration avec la commune d’Akfadou. Toutefois, cette démarche reste sans suite à ce jour. Sachant que la forêt de l’Akfadou avait été classée parc national, en 1925, par l’administration française.

Considéré comme étant le poumon écologique de toute une région, cet immense massif forestier culminant à plus de 1 200 mètres d’altitude, est réputé pour sa densité de boisement, ses ressources sylvestres, mais aussi pour sa diversité faunistique et floristique.

Le chêne zen, le chêne afarès et le chêne-liège demeurent les plus présents parmi les végétations existantes. Certaines espèces végétales introduites par les colons au début des années 1940, telles que le pin à gros cônes dit aussi pin de Coulter, le cèdre de l’Atlas, le sapin de Numidie, le pin noir et l’aulne glutineux, font partie également de ses richesses inouïes.

Bon nombre d’études scientifiques font état également d’une foison de plantes herbacées, d’herbes aromatiques et de plantes médicinales. La présence du cerf de Berbérie en son sein, dont l’opération de réintroduction de six sujets a eu lieu en 2005, fait partie des espèces animales en voie de disparition. 

Avant de se quitter en fin de journée, le brigadier chef formule le vœu de voir la réserve naturelle d’Akfadou bénéficier d’une attention toute particulière des autorités concernées, mais aussi de celle des visiteurs qui doivent être les premiers à préserver ce don de la nature.
 

Par : KAMAL OUHNIA

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00