
Vingt-huit longues années plus tard, il y avait encore foule, hier, à Tala Amara. Comme chaque année, en cette même journée d’octobre, des centaines de personnes, y compris la famille de Djamel Bensmaïl, ont convergé vers le cimetière de ce village de Tizi Rached pour rendre hommage à Smaïl Yefsah, ce journaliste, qui a visiblement marqué à jamais les esprits par son professionnalisme, ses qualités humaines et par la manière abjecte avec laquelle il a été exécuté à l’arme blanche par une horde sauvage une certaine matinée du 18 octobre 1993, alors qu’il quittait son domicile pour se rendre au travail. Hier encore, le cimetière de Tala Amara, qui a rassemblé des hommes et des organisations de différents horizons, n’était pas sans évoquer la dure loi de l’Histoire qui consiste à rappeler aux vivants les victimes, mais jamais leurs bourreaux ou leurs assassins.
Bien qu’ils soient peut-être encore vivants, tapis dans l’ombre, ses assassins, sans nom et sans visage, n’étaient plus que d’anonymes morts de l’Histoire, mais l’enfant de Tala Amara, lui, s’est révélé plus que jamais vivant. Au musée portant son nom comme à l’école du village qui a abrité l’essentiel des activités de cette commémoration baptisée “Smaïl et Bensmaïl : deux faces d’une même pièce”, et encore davantage autour de sa tombe, l’émotion et les discussions et surtout les témoignages laissaient clairement révéler que l’assassinat de Smaïl Yefsah est une plaie encore ouverte. “Votre présence massive ici est une preuve que Smaïl n’est pas mort”, a, d’emblée, lancé Kamel Kermas, le président du Comité de village de Tala Amara. Lui succédant, Mehdi Yefsah, le frère du défunt, a tenu à souligner que Smaïl n’est pas l’enfant de sa seule famille biologique, mais celui de toute l’Algérie.
“Il est mort pour la démocratie, la liberté de la presse et l’honnêteté. Cette commémoration vise à faire échec à la culture de l’oubli. C’est aussi un message d’espoir et de fraternité. Aujourd’hui, nous sommes honorés de recevoir la famille Bensmaïl, car ceux qui ont tué Smaïl Yefsah sont ceux qui ont tué Djamel Bensmaïl, à savoir l’ignorance et la haine”, a-t-il déclaré. Le député Ouahab Aït Menguellet, qui a eu à apporter son témoignage sur ce talentueux journaliste, a rappelé avec fierté le rôle joué par Smaïl Yefsah lors du gala “Pas comme les autres” de 1991 à la salle Atlas, à Alger. “Le gala de l’Atlas en 91, où les forces qui ont tué Smaïl voulaient empêcher Lounis Aït Menguellet de se produire, était un gala de combat où Smaïl s’était grandement impliqué durant une semaine”, a-t-il témoigné. “Le souci de Smaïl et le nôtre aujourd’hui sont les mêmes : quelle Algérie laisserons-nous à nos enfants ? C’est pour cela qu’il demeure toujours un symbole pour nos luttes”, dira Hacène Helouane, alors que Nouredine Bensmaïl a souligné que “Smaïl et Bensmaïl ont au moins en commun l’amour et le rêve d’une Algérie de liberté et de prospérité”.
Samir LESLOUS