L’Actualité Dr Saïd Chemakh, chercheur en tamazight et militant politique

Tamazight avance doucement, mais sûrement

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Mohamed MOULOUDJ Publié 20 Avril 2021 à 00:40

© D.R.
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Universitaire, auteur et militant de longue date du Mouvement culturel berbère et de la démocratie, le Dr Saïd Chemakh revient, dans cet entretien, sur les derniers développements qu’a connus la question amazighe.

Liberté : Tamazight est seconde langue nationale et officielle dans la Constitution depuis quelques années, cela a-t-il réellement amélioré le statut de cette langue ?
Dr Saïd Chemakh :
Relisons l’article 3 de la Constitution : “L’arabe est la langue nationale et officielle. L’arabe demeure la langue officielle de l’État. (…)”, puis l’article 4 : “Tamazight est également langue nationale et officielle”. Que constatons-nous après une simple analyse du discours ? En sociolinguistique cela s’appelle un “ bilinguisme diglossique” puisque tamazight est reléguée à un statut inférieur par rapport à l’arabe classique.  L’usage de l’adverbe de manière “également” révèle une volonté de masquer le rapport supériorité/infériorité dans lequel l’arabe classique et le tamazight sont insérées. Dès lors que l’inégalité y est induite sauf à accepter de prendre des vessies pour des lanternes, nous ne pourrons parler d’amélioration. 

Les thuriféraires des régimes qui se succèdent au sommet de l’Etat peuvent toujours taxer ceux qui critiquent ces élucubrations de “traîtres, d’éternels éléments antinationaux…”, et j’en passe. Mais puisque l’on nous parle d’égalité, qu’on nous dise où est le décret d’application de “Tamazight langue officielle” ? La loi d’orientation scolaire a-t-elle été changée pour y introduire tamazight ? Non. Le code communal a-t-il été modifié pour introduire tamazight dans les délibérations ? Non. Pour ce qui est de la justice, l’article 8 du code des procédures civiles modifié en 2008 a-t-il été amendé pour introduire tamazight ? Non. L’enseignement de tamazight est-il assuré dès le préscolaire et pour les trois premières années du primaire ? Non. Est-il généralisé sur l’ensemble du territoire national comme l’est l’enseignement de l’arabe classique ? Non. Et dans d’autres domaines encore.  A défaut d’être niée, la langue tamazight est encore minorée, dépourvue de moyens pour son développement réel et effectif. Les idéologues arabistes misent sur le temps pour aboutir à sa disparition imminente par assimilation linguistique à l’arabe dialectal, et pour ce faire, ils se sont donné tous les moyens à travers le Haut conseil de la langue arabe, l’Académie de la langue arabe et les différentes institutions algériennes sans compter les relais internationaux : Ligue des Etats arabes, Alesco, Institut du monde arabe, lobbies des monarchies du Golfe… L’introduction de “langue d’Etat” soigneusement copiée sur l’amendement de la Constitution française en 1994 après la loi Toubon est porteuse d’une interrogation importante : l’Etat peut-il être en dehors de la société ? Si oui, quelles seront les conséquences ? L’Histoire nous a beaucoup appris sur le devenir de l’Etat colonial français qui était en dehors de la société algérienne. En lisant l’article 3 de la Constitution, je me suis remémoré un passage de “La ferme des animaux” de Georges
Orwell : le principe adopté est “Tous les animaux sont égaux”, mais les nouveaux maîtres ont rajouté une phrase en catimini : “Certains animaux sont plus égaux que d’autres” !  En dernier lieu, il faut signaler que même au XXIe siècle , les langages totalitaires ont de beaux jours devant eux. 
Mais Mammeri ne disait-il pas qu’“il est sûr que le jour inévitablement viendra où l’on distinguera la vérité de ses faux-semblants” ?

Sur le plan de la promotion, rien n'a été fait pour assurer le développement de tamazight. Quelles en sont les raisons, selon vous ?
Si “rien n’a été fait” comme vous dites, c’est parce qu’il y a un manque de volonté.  “Tamazight langue officielle” n’est inscrite dans la Constitution de 2016 que parce que deux facteurs ont joué pour ça. 
Le premier est d’ordre géopolitique : la création d’une armée touarègue et la proclamation de l’indépendance de l’Azawad au Nord du Mali comme la création d’une armée amazighe avec ses divisions blindées et son drapeau dans l’Adrar Inefussen en Libye ont changé la donne en Afrique du Nord. 
La reconnaissance de tamazight langue officielle par le royaume du Maroc a bouleversé les calculs des dirigeants algériens. Le second est d’ordre interne : la proclamation de sécession de Kabylie par le MAK dirigé par Ferhat Mehenni est venue parachever le tout. Il fallait “désamorcer la bombe kabyle” comme l’a si bien écrit une collègue sociolinguiste. Il fallait donc parer au plus vite à cette situation inédite et reconnaître “tamazight langue officielle”. 

La reconnaissance de Yennayer et d’autres initiatives ne constituent-elles tout de même pas une avancée pour la cause ?
Certes, pour ce qui est du développement concret de tamazight, il y a des initiatives qui sont prises par les pouvoirs publics (reconnaissance officielle de Yennayer, création du Prix du Président pour la langue tamazight…) mais cela demeure de loin insuffisant. Pire que ça, certaines activités que l’on croyait pérennes (festival du film amazigh, Prix Mohya du théâtre, Salon du livre amazigh…) ont fait long feu. 

L’élément le plus important après la reconnaissance officielle est la décrispation psychologique qui a touché de nombreux responsables et surtout certaines personnalités des élites algériennes. Pendant des années, de nombreux Algériens de tous bords étaient convaincus de la justesse de la cause identitaire et linguistique amazighe. Nombre d’entre eux ne manquent pas de l’affirmer en privé mais de là à l’assumer en public, non. 
Car ils risqueraient de décevoir et/ou choquer leurs relais au sein des institutions étatiques. Ou alors par peur de perdre leurs “postes”, d’être blâmés par des supérieurs hiérarchiques. 
Il faut le dire haut et fort : l’instrumentalisation de la crise anti-berbériste de 1949, tout comme l’instrumentalisation de la guerre du FFS contre la dictature de Ben Bella, la propagande de Boumediene et du parti-Etat FLN contre tout ce qui est amazigh : langue, culture, civilisation, histoire… a profondément marqué et même créé des phobies de l’amazighité chez de nombreuses franges du peuple algérien. 
Le traumatisme collectif est plus profond qu’on le croit. Et ce n’est pas du jour au lendemain que ses séquelles disparaîtront. Beaucoup de travail reste à faire pour réconcilier les Algériens avec eux-mêmes.

L'académie a été annoncée, mais elle n'est pas mise sur pied pour pouvoir donner les moyens pour la promotion de tamazight. Est-il nécessaire de mettre sur pied cette institution ?
Les décideurs du sérail ont, dès 2017, biaisé les objectifs de ladite “Académie de tamazight”. Tout a été fait pour montrer une intégration de l’amazighité dans les institutions de l’Etat. 
Après l’exclusion et la marginalisation de l’amazighité, nous voilà en phase de pseudo-intégration. 
Selon les rapports de l’Unesco et des experts tels que C. Hagège, plus de la moitié des 6 000 langues vont disparaître d’ici à 2100. Plusieurs facteurs concourent à ce fait : faiblesse démographique, dénatalité, mariages mixtes, émigration, domination économique et/ou impérialisme culturel d’un groupe au pouvoir… 

Pour certains groupes berbérophones, tamazight est classée comme “langue moribonde”…
Si les Imazighen veulent sauver réellement leur langue d’une mort certaine, ils doivent se donner les moyens de leur politique : créer, par exemple, une “Académie transnationale de tamazight” et d’autres institutions loin du contrôle des Etats-Nations qui se réclament de l’arabisme.

Indépendamment des décisions officielles, on peut retenir la contribution qu’apportent les domaines culturel et de la recherche…
Indépendamment de certaines institutions étatiques, tamazight avance doucement mais sûrement. Outre la tamusni ou sapience amazighe, la diffusion de l’instruction, l’ouverture sur le monde et la diffusion des idées nouvelles, la prise de conscience politique des Imazighen de  l’état de marginalisation/exclusion de l’amazighité induit par la politique linguistique assumée par la France coloniale puis par les Etats-Nations en Afrique du Nord, la “peur” de ce qu’appelle L. J. Calvet la glottophagie par l’arabe a poussé les militants, universitaires, praticiens… à tenter d’y remédier à la situation. 

Un hommage doit être rendu aux précurseurs politiques : Imache Amar, Laimeche Ali, Amar At Hammouda, Mbarek At Manguellat, Belaid Ait Medri… qui ont parfois payé de leur vie pour l’éveil qu’ils ont suscité dans la société. Et aussi, aux intellectuels tels que Boulifa, Belaid At Ali… jusqu’à Mouloud Mammeri, S. Chaker, entre autres, qui ont su conscientiser des générations entières et surtout à ceux qui ont pu tracer un programme de planification et standardisation linguistiques à suivre et à appliquer (Cf leurs divers écrits). 
L’introduction de tamazight dans les institutions universitaire puis éducative (après le boycott scolaire de 1994) a indéniablement contribué à son essor. Dès le début des années 1980, les premiers travaux de traduction et vulgarisation des sciences : mathématiques, informatique, géologie… en tamazight. L’arrivée des NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) ont contribué au développement de tamazight dans de nombreux domaines : internet, électrotechnique… L’accès de tamazight à l’édition livresque, au théâtre, au cinéma… sont d’excellents exemples de réussite à savoir gagner la place qui revient à la langue dans les secteurs d’où elle a été sciemment exclue. Certes, beaucoup reste à faire, par exemple dans le domaine de la traduction/adaptation de/et vers tamazight. La voie tracée par Mohya mènera vers de nouveaux horizons. 
Le développement du roman comme nouveau genre dans la littérature amazighe, que ce soit en kabyle, tachelhit, tarifit, tamazight et tachawit est un indicateur du progrès de la langue.

Le chemin reste donc long pour une véritable émancipation de la langue amazighe…
Pour tamazight, beaucoup reste à faire pour ne pas dire tout. La résilience doit être de mise. Mais l’espoir demeure. 
Déjà Lounes Matoub nous conseillait : “Tamazight ad d-tban (la langue berbère renaît), Isserreh’-as-d zzman (les méandres du temps l’ont relâchée), Ghas h’ercet, ghurwat (faites attention), A widak yeghran (vous les intellectuels), Ifassen i imeghban (tendez vos mains aux démunis), Sizdget taswiât (et assainissez la situation). 
Et la formule expressive kabyle suivante vient à bon escient : Tura, asalu yerrez’, i yagh-d-yegran d tiddin. 
U Mazal lxir ar sdat (Maintenant que la voie est tracée, il ne nous reste qu’aller de l’avant. Et le Bien nous attend).

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