Chroniques

Escalade autoritaire, escalade belliciste

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Mustapha HAMMOUCHE Publié 05 Mars 2022 à 22:10

La  chute  du  mur, le 9  novembre 1989, portait  en  elle  la  promesse de mettre fin  à  un  monde  bipolaire  en  veille  militaire  permanente  et  en opposition  doctrinale  constante  pour  consacrer  un  monde  de  nations indépendantes et de peuples libres où régneraient la paix, la démocratie et le marché. 
Mais le même monde a vite déchanté : “la fin de l’Histoire” n’est pas survenue. Infectée de nationalisme sectaire, la démocratie tend à se confiner dans son espace “culturel” ;  en face, les idéologies de l’intolérance s’acharnent à la conjurer et le centralisme d’État, qu’on voyait mourir avec la perestroïka, s’efforce d’adapter le multipartisme formel à son désir de résilience.  
Encouragé en cela par la défaite économique et politique du soviétisme, l’Occident euraméricain  donne libre cours à son obsession défensive. L’Europe, sans renoncer à son ancrage atlantique, hésite à tracer la limite d’une “frontière” — au sens western du terme — orientale devenue extensible. Ce double mouvement irrite le maître d’un empire disloqué et suscite en lui le bellicisme nostalgique d’une puissance passée.  Justement, de cette puissance perdue, il ne reste presque plus que la manifestation militaire ! Et Poutine veut la faire valoir pour contenir la pression occidentale, réhabiliter son statut de puissance faisant pièce à la suprématie américaine et européenne et, justifier, à l’intérieur, la violence répressive qui fonde la pérennité de son règne contesté. Pas besoin d’être le plus fort pour pouvoir le faire, la logique particulière de la dissuasion le lui permet : entre puissances nucléaires, le rapport de force ne se mesure pas de la même manière qu’entre armées conventionnelles.
De plus, l’état de belligérance a l’utilité, pour les dictatures, d’être propice à un déplacement de légitimité : en temps de guerre, ou même de simple tension, l’impératif de défense de la nation invalide la question de conformité démocratique d’un pouvoir. Poutine vient de promulguer une loi qui prévoit une peine allant jusqu’à quinze ans de prison pour tout auteur d’une… “information mensongère”, celle-ci pouvant consister en un simple usage des termes “guerre” ou “invasion” à propos de l’Ukraine !   La chute du mur n’a pas aboli la géopolitique des systèmes ; et celle-ci n’a même pas évolué, ni dans son aspect bipolaire ni dans la nature politique de chacun des deux pôles. Deux nouveautés seulement : d’une part, la Chine conteste de fait le leadership russe sur leur sphère commune et elle en a les  arguments ; d’autre part, là où les circonstances ont poussé les régimes du camp autoritariste à adopter la pratique “démocratique”, ceux-ci l’ont adaptée à leur essence oppressive. 
Il n’est pas certain que l’envahissement de l’Ukraine ait renforcé la position de la Russie et la sécurité politique de Poutine. Mais l’Occident en a profité pour asseoir un niveau de cohésion jamais rêvé : des pays qui ont intégré l’Union européenne, mais ne se sont jamais vraiment déterminés dans leur rapport à la Russie, comme la Hongrie, et par rapport à la démocratie, comme la Pologne, se voient contraints d’affirmer leur entière intégration à une entité stratégique où se mêlent, dans une solidarité sans faille, Otan, UE, G7... Et plus largement, la condamnation de son agression de l’Ukraine par l’Assemblée générale des Nations unies n’a suscité que l’opposition de quatre régimes improbables. 
Au plan interne, les démocraties européennes ont dû recentrer leur nationalisme en “continentalisme”, par endroits empreint de racisme, comme on l’a constaté chez les Ukrainiens et chez certains de leurs bienfaiteurs. La démocratie et la solidarité souffrent aussi des limites du communautarisme, si élargi soit-il. En France, par exemple, où ce recentrage politique survient en pleine campagne pour l’élection présidentielle, l’épreuve a mis les sympathisants du nationalisme viril à la Poutine, parmi les candidats, devant leurs contradictions, leur révélant les implications géopolitiques de leurs conceptions “national-démocratiques” et les forçant à leur immédiate révision. 
Mais Poutine aura surtout mesuré, à travers sa guerre, l’avantage stratégique que la démocratie a sur la dictature. Si les Ukrainiens ont opposé la résistance que l’on observe à l’armada russe, c’est parce que l’engagement consenti peut, jusqu’à un certain point, compenser la faiblesse militaire. C’est parce que, côté ukrainien, la patrie rime avec liberté, qu’elle suscite une telle combativité, mettant à l’épreuve la force surarmée au service d’une cause désincarnée.
 

M. H.
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