Contribution

À propos de la thèse de “l’holocauste” de Ali Sohbi (Suite et fin)

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Rédaction Nationale Publié 28 Novembre 2021 à 08:56

Par : Lazhari Labter
Ecrivain
Et Amar Belkhodja
Auteur et chercheur en histoire

Suite et fin 

En avançant cette thèse sans aucune preuve tangible, Ali Sobhi ne fait en vérité que déprécier l’héroïque et exemplaire résistance des habitants de Laghouat, sous la conduite des valeureux Benacer Ben Chohra, Mohamed Ben Abdallah, Telli Ben Lakehal et Yahia Ben Maâmar. 

Citant le général Du Barail, au lieu du général Pélissier, Ali Sohbi, qui se targue d’être un connaisseur dans le domaine militaire, n’est en fait qu’un mauvais élève qui ignore ce que, dans le jargon militaire français, signifient 
les mots “arme” et “train”. Sans parler de la signification de “Sainte-Barbe”.
“Aux éloges que j’ai donnés à l’infanterie, je dois ajouter surtout celui des armes spéciales. L’artillerie a dignement fêté la Sainte-Barbe, et les sapeurs du capitaine Schœnnagel, qui étaient en tête de l’attaque du général Yusuf, ont été les dignes émules du capitaine Brunon. Le train a rendu de vrais services. La cavalerie du colonel Rame du 2e de chasseurs d’Afrique et celle du lieutenant-colonel Lichtlin du ler de chasseurs d’Afrique poursuivent les fuyards au moment où je vous écris, et j’aurai sans doute à vous signaler les services de cette arme.” (Rapport du général Pélissier adressé au gouverneur général Randon le 4 décembre 1852, publié dans le quotidien Le Moniteur du soir : journal officiel de l’Empire français, du 14 décembre 1852.)
L’arme du train consiste à organiser et à coordonner la logistique et le transport en appui de l’armée de terre. 
“Le train est l’arme qui organise et coordonne la logistique, le transport (matériel, munitions, ravitaillement) et l’appui au mouvement (notamment la circulation routière) de l’Armée de terre française. Cette arme a été créée en 1807 par Napoléon Ier sous le nom de train des équipages militaires. Auparavant, ces fonctions étaient assurées par des moyens ou des sociétés privées sous contrat ou réquisitionnées.” (Wikipédia)
“Les armes spéciales” dont parle Pélissier dans son rapport, rédigé à la hâte après la prise sanglante de la ville où les troupes d’assaut françaises avaient perdu des dizaines d’officiers et de soldats, sans parler des très nombreux blessés, ne font pas référence à des armes chimiques, comme le croit faussement Ali Sohbi, mais aux forces spéciales composées de l’artillerie (1er, 3e et 4e régiments d’artillerie), des sapeurs et du train dont “les vrais services” rendus sont interprétés comme “la vaporisation ou la sublimation d’un état solide à un état gazeux expédié à l’aide de boulets et obus”, dont ce n’est d’ailleurs pas le rôle, mais celui de l’artillerie chargée de “l’ensemble des armes collectives ou lourdes servant à envoyer, à grande distance, sur l’ennemi ou sur ses positions et ses équipements, divers projectiles de gros ou petit calibre : obus, boulet, roquette, missile, pour 
appuyer ses propres troupes engagées dans une bataille ou un siège”. (Wikipédia)

Ali Sobhi : un Christophe Colomb de l’Histoire ?
Il est absolument nécessaire de rappeler que sept ans avant le carnage de Laghouat, le 19 juin 1845, le même Pélissier avait fait exterminer la tribu des Ouled Ryah par “enfumades”, c’est-à-dire en bouchant les issues de la grotte où hommes, femmes et enfants s’étaient réfugiés et en y mettant le feu pour laisser périr des centaines de familles algériennes par asphyxie. Alors, une question mérite d’être posée : si les gaz chimiques dont parle Ali Sohbi existaient à cette époque, pourquoi donc Pélissier ne les aurait-il pas utilisés auparavant dans les deux enfumades et les deux emmurements du Dahra ?
Ali Sohbi aurait dû se poser la question au lieu de se lancer dans des approximations et des affirmations foncièrement vagues qui ne reposent sur aucune preuve tangible ou indications formelles que nous auraient léguées les auteurs du carnage eux-mêmes ou encore rapportées par des historiens et chercheurs au crédit certain, tels par exemple Olivier Le Cour Grandmaison et Gilles Manceron, méticuleux et scrupuleux dans leurs investigations.
Il est pour le moins étonnant et paradoxal que ce sujet grave ne soit traité que par Ali Sohbi et lui seul, un Christophe Colomb de l’Histoire, si l’on ose l’affubler de cette comparaison pour applaudir à sa découverte, qui met en échec des historiens de renom qui l’ont précédé !
Il avait fallu la mobilisation et l’engagement d’une force considérable de 6 000 soldats, composée des détachements des 1er, 3e et 4e régiments d’artillerie, du détachement du 3e du génie et de celui des tirailleurs indigènes de Constantine, des 50e et 60e de ligne, des 1er et 2e régiments de zouaves, du 1er bataillon d’infanterie légère d’Afrique et du bataillon de tirailleurs indigènes d’Alger, ainsi que de quatre escadrons du 2e de chasseurs d’Afrique, deux escadrons du 1er de chasseurs d’Afrique, deux escadrons du 1er de spahis et deux escadrons du 2e de spahis, pour venir à bout d’un millier d’hommes mal armés mais déterminés à défendre leur ville assiégée quoi qu’il en coûte. 
Quant à la Sainte-Barbe, “patronne des pompiers, des artilleurs, des sapeurs, des canonniers, des artificiers, des ingénieurs de combat, des métallurgistes, des démineurs et autres corporations liées au feu ou au travail souterrain”, “dignement fêtée”, comme le dit Pélissier, il s’agit de la coïncidence entre la date de la prise de Laghouat le 4 décembre et la commémoration de la Sainte-Barbe le… 4 décembre, cette jeune fille chrétienne de 16 ans, torturée à mort et décapitée par son propre père en 235, III siècle après J.-C., parce qu’elle avait refusé d’abjurer sa foi. (https://www.defense.gouv.fr/english/
actualites/articles/la-sainte-barbe)
Concernant Jean Melia, auteur chrétien par excellence, il utilise le mot “holocauste” dans cette envolée lyrique : “Il fallait ce digne et sublime holocauste pour prouver à toutes les tribus guerrières de ce Sud algérien les stoïques vertus de la patrie française”, au sens de massacre ou grande destruction de personnes pour venger les nombreux morts et blessés dans les rangs des troupes de l’armée française et servir d’exemple à tous les habitants du Sahara qui seraient tentés de  résister à la conquête. En utilisant l’expression de “Âm el Khalia”, l’année de la destruction totale de leur ville et de l’anéantissement des trois quarts de sa population, les survivants ont trouvé exactement les mots, les seuls mots qui pouvaient qualifier ce génocide.

La thèse de Ali Sohbi déprécie la résistance de Laghouat
On ne trouve nulle référence dans les ouvrages d’aucun historien ou chercheur en histoire, étranger ou Algérien, à l’utilisation de gaz chimique qui aurait pu être d’ailleurs utilisé d’abord contre les habitants de l’oasis de Zâatcha dont le siège s’est déroulé du 16 juillet au 26 novembre 1849, soit plus de quatre mois, et qui s’est terminé par la prise de l’oasis et de son fort et par le massacre de centaines de résistants qui avaient infligé des pertes considérables aux troupes françaises. Amar Belkhodja, qui a écrit de nombreux ouvrages sur les crimes coloniaux, n’évoque dans aucun d’eux l’utilisation de gaz chimique.
Un autre historien, Charles-André Julien, qui a manipulé des cartons entiers, n’évoque nulle part l’utilisation des gaz chimiques dont nous parle Ali Sohbi. On ne saurait douter de la rigueur de l’auteur d’Histoire de l’Afrique du Nord : Des origines à 1830, qui est loin d’être un amateur en matière de recherche en histoire. Évoquant l’épisode des enfumades du Dahra, Charle-André Julien affirme, sans équivoque, que l’armée française eut recours aux “enfumades” comme méthode d’extermination des tribus algériennes. Il n’a donc jamais mentionné l’utilisation d’un quelconque produit
 chimique dans le carnage de Laghouat.
Il va sans dire que Ali Sohbi voulait faire un “scoop” avec une question grave qu’il aborde avec une légèreté déconcertante, sans avoir avancé l’ombre d’une preuve sérieuse basée sur des sources fiables ou des faits avérés tirés d’archives authentiques. Le scoop n’existe d’ailleurs que dans les “canards” à sensation qui l’on reprit par la suite.
Les résultats de nos recherches dans ce domaine nous conduisent à évoquer l’utilisation des gaz chimiques par les Allemands pendant la Première Guerre mondiale ou La guerre des gaz (1915-1918). “De nombreux composés chlorés ont été employés pendant la Première Guerre mondiale comme gaz de combat : l’hexachloréthane, l’hexachlorobenzène et le chlorure de titane.” Puis, pendant l’insurrection du Rif marocain, conduite par l’émir Abdelkrim El-Khetabi (1921-1926). L’Allemagne avait fourni aux Espagnols et aux Français, coalisés contre Abdelkrim, des gaz phosgènes, diphosgènes et surtout l’ypérite connue sous le nom de gaz moutarde. Les escadrilles espagnoles et celles de Philippe Pétain avaient alors largué des bombes chimiques sur les tribus rifaines pour écraser le soulèvement du vaillant résistant marocain.
Les Anglais avaient, eux aussi, utilisé l’arme chimique contre l’Irak. Plus tard, pendant la guerre d’Algérie, l’armée française, avec des moyens “sophistiqués”, avait gazé une centaine de djounoud à l’intérieur d’une grotte à Ouled Maâla, dans la région de Mostaganem, en 1959. D’autres populations furent gazées en 1959 à Ghar Layachine, dans la région de Lazharia (Bordj Bounaâma). Durant la même année, d’autres habitants, une centaine de femmes et d’enfants, réfugiés dans une grotte, furent gazés à El-Kouif, dans la région de Tébessa.
Ce sont là des investigations qui doivent inciter Ali Sohbi à mieux se renseigner sur le dossier de cette méthode d’extermination, au lieu de faire un abcès de fixation sur l’utilisation contre la population de Laghouat de “chloroforme” pour l’endormir avant de la massacrer, eu égard aux sources vagues, imprécises, mises en avant et exploitées à des fins douteuses, fruit d’une manipulation d’écrits maladroite et peu conforme aux règles de la déontologie imposées par la recherche de la vérité historique, la vérité, seulement la vérité. 
En avançant cette thèse sans aucune preuve tangible, Ali Sobhi ne fait en vérité que déprécier l’héroïque et exemplaire résistance des habitants de Laghouat sous la conduite des valeureux Benacer Ben Chohra, Mohamed Ben Abdallah, Telli Ben Lakehal et Yahia Ben Maâmar.
Le fait de rétablir une vérité historique ne change rien au fait, têtu, lui, que l’armée française avait commis un véritable génocide à Laghouat le 4 décembre 1852 et ne l’absout pas des crimes innombrables commis contre les populations algériennes de 1830 à 1962. Et honore, par contre, et grandit davantage les vaillants habitants patriotes de Laghouat et leur résistance farouche dont le 170e anniversaire de sa commémoration sera fêté l’année prochaine, le 4 décembre 2022.

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