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Causes et contre-mesures

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Farid CHAOUI Publié 22 Mars 2022 à 21:51

Par : LE PROFESSEUR FARID CHAOUI

Le système de sante national est en crise structurelle et á crise structurelle nous devons répondre par des reformes structurelles.

Beaucoup a été dit ou écrit sur le départ de nombre de médecins, en général des spécialistes expérimentés, partis chercher ailleurs un avenir qu’ils estiment, à tort ou à raison, impossible à envisager dans leur propre pays.
En dehors des considérations d’ordre moral, qui accablent aussi bien les candidats au départ que les politiques développées par les pays d’accueil pour encourager nos élites à céder aux chants des sirènes, nous allons tenter de comprendre les causes objectives qui sont à l’origine de ce mouvement de compétences qui s’effectue à grande échelle au préjudice des pays du Sud. 
J’ai souvenir des difficultés importantes rencontrées par nos cadres et nos universitaires lors de leurs tentatives de migration à l’étranger, en particulier en France dans les années 1980-90. Pour les médecins, en particulier, les obstacles étaient nombreux et les exigences quant aux équivalences de diplômes étaient particulièrement lourdes allant, pour certaines générations, jusqu’à la nécessité de repasser le bac avant d’espérer être admis à affronter nombre d’examens et concours sans certitude d’accéder à l’emploi souhaité.
Et voilà que ces procédures se voient considérablement simplifiées permettant le recrutement accéléré de milliers de médecins étrangers dont des centaines de spécialistes algériens. Alors que s’est-il passé en 30 ans pour que les pays d’accueil assouplissent autant les conditions de recrutement de nos médecins ?
Une telle mobilité de personnel qualifié obéit naturellement aux lois de l’offre et de la demande. Analysons d’abord la demande en prenant pour exemple le pays du Nord le plus demandeur de médecins algériens : la France. En toute logique on pourrait considérer que l’augmentation de l’offre d’emploi aux médecins étrangers dans ce pays et l’assouplissement notable des conditions de leur recrutement, tout au moins par rapport aux années 1980-90, sont liés à une brusque pénurie de professionnels nationaux que les facultés de médecine françaises ne parviennent pas à combler. Or les statistiques officielles disent le contraire : le nombre de médecins en activité en France est remarquablement stable : 214 000 en 2007 plus de 218 000 en 2020 dont 86 000 spécialistes ce qui donne le chiffre plus qu’honorable de 276,9 médecins/100 000 habitants (recommandation OMS : au moins 100 médecins/100 000) avec une très bonne couverture moyenne nationale en spécialistes estimée à 104/100 000 bien que, on le verra, mal répartie à travers le territoire national.
Si ce n’est point pour combler un manque, pourquoi les autorités françaises ont-elles ce besoin frénétique de recrutement de médecins étrangers ?
Pour le comprendre il faut revenir aux changements de paradigmes des politiques publiques dans le monde depuis le déferlement des politiques néo-libérales imposées depuis les années 1980. Ainsi, la  Banque mondiale en 1986 a fait admettre aux pays membres que la santé est une question économique comme les autres et doit être traitée comme telle ! Les soins de santé deviennent ainsi un simple produit marchand comme les autres et doivent obéir aux lois du marché.
La France comme tous les pays de l’OCDE n’a pas échappé à cette vague néolibérale. Ses structures de santé vont passer de l’hospice géré depuis le Moyen-Âge par la charité ordonnée par l’église, à l’hôpital public des 30 glorieuses, établissement voué à l’accueil de tous les usagers sur la base des principes d’équité à “l’hôpital-entreprise” actuel dans lequel le malade n’est plus le centre de toute préoccupation, remplacé par “le lit “ ou le plateau technique, unités fonctionnelles commerciales que les nouveaux penseurs de la nouvelle économie de santé sont chargés de rentabiliser.

Apparition du secteur privé
Les résultats de cette politique 30 ans plus tard sont là : les coupes budgétaires, la réduction du nombre de lits, le blocage des salaires et le développement parallèle florissant du secteur privé, investi par de grands groupes financiers, va produire ce qu’il en était attendu : le déplacement progressif de l’offre de soins vers le secteur privé avec son corollaire : la fuite des personnels de santé, en particulier les meilleurs médecins spécialistes, vers le secteur privé plus dynamique et plus rémunérateur. 
En France, par exemple, les 2/3 des spécialistes exercent actuellement dans le secteur libéral (exclusif ou mixte). 
Cela dans un contexte d’augmentation de la demande de soins de haut niveau induite par l’explosion des maladies chroniques non transmissibles en raison du vieillissement de la population (plus de 20% de la population française est âgée de plus de 65 ans chiffre qui dépassera les 25% en 2040). 
Le départ massif des spécialistes et la réduction du nombre de lits hospitaliers pour des raisons d’économies (passé de 8/1 000 habitants à 6) justifie pour les autorités publiques le recours  au recrutement massif de médecins spécialistes étrangers, de préférence francophones.
Voilà pourquoi la France recrute nos spécialistes :  non pour des raisons de pénurie de médecins français (encore que les besoins projetés, toujours en raison du vieillissement de la population soient de 280 000 médecins pour 2050) mais pour combler le déficit en postes de salariés du secteur public dont les spécialistes français ne veulent plus.
Du côté de l’offre, l’Algérie est devenue un bon exportateur de matière grise depuis ces trente dernières années. 
Faut-il pourtant préciser que cette mobilité de personnel hautement qualifié ne se situe pas spécifiquement au niveau d’une zone géographique particulière mais concerne un mouvement général dicté par les politiques néolibérales, à savoir la mise en concurrence froide et amorale de la matière grise au sein d’un marché mondial des compétences !
Cette considérable mobilité est facilitée par les moyens modernes de communication permettant aux cadres des pays du Sud de répondre en temps réel aux sollicitations de ce marché des cerveaux.
Concernant la question plus spécifique de l’exil de nos médecins, soulignons que s’il y a demande il y a aussi offre et que cette offre s’organise en fonction de données parfaitement objectives.
L’Algérie a fait de considérables efforts en matière de formation médicale. C’est dans le cadre de la politique “des 3 révolutions” du président Boumediene que s’est imposée la fameuse politique de “médecine gratuite” décrétée en 1972. Pour satisfaire à cette politique et aux besoins considérables en professionnels de santé, une reforme des études médicales a été introduite avec l’objectif de former 1 000 médecins/an.
L’objectif a été rapidement atteint pour ne pas dire dépassé : dès la fin des années 1980, l’État, jusque-là seul employeur, se trouve dans l’incapacité de recruter tous les médecins formés. C’est ainsi qu’une timide ouverture en direction du secteur libéral a débuté dans les années 1980, en faveur seulement de la médecine ambulatoire, avant que la règle ne change radicalement dans les années 1990 avec l’apparition des premières unités d’hospitalisation privées. 
Mais l’expansion de ce secteur libéral qui pourrait occuper bien davantage de professionnels de santé, se trouve considérablement, freinée par l’absence de conventionnement avec les caisses d’assurance maladie : depuis l’autorisation de l’hospitalisation privée, il y a 30 ans, moins de 8 000 lits ont été créés dans le secteur libéral.
Le secteur public ne fait pas mieux : soixante ans après l’indépendance le pays ne dispose que d’environ 80 000 lits, soit mois de 1,7 lits/1 000 habitants pour une norme OMS minimum estimée à 3/1 000. 
Comme de plus, ces “lits” sont également mal équipés et mal gérés ils sont très peu attractifs pour nos médecins qui désertent massivement des structures en faveur du secteur libéral... ou l’exil ! 
Nous disposons actuellement d’environ 80 000 médecins soit 12,1/1 0000 habitants, ce qui est à la fois beaucoup et peu : c’est peu par rapport aux pays du Nord (33,1/10 000) mais c’est beaucoup par rapport à la dépense nationale de santé qui ne suit plus (elle stagne à moins de 400 US$/habitant contre plus de 3 000 US$ dans les pays de l’OCDE).
 Or c’est sur cette base, représentant les contributions de l’État, de la sécurité sociale et de la bourse des ménages, que sont payés tous les professionnels de santé en particulier les médecins qui exigent haut et fort des rétributions à la hauteur de leurs qualifications. 
Le secteur libéral, lui, est presque entièrement financé par la bourse des ménages, faisant exploser le poste santé dans cette dépense atteignant le chiffre astronomique de plus de 45% !
 La démographie médicale étant en pleine croissance : en 2015 par exemple, il y avait 50 000 étudiants en médecine dans les 12 facultés dont plus de 8 000 résidents et que l’on compte actuellement une moyenne de 1 200 à 1 500 spécialistes par an, on ne peut qu’être inquiet sur la manière avec laquelle va s’effectuer le partage de cette ressource rare ? 
À terme, la réduction du revenu moyen des médecins, y compris des spécialistes deviendra inévitable, aggravant les conditions de leur exil.

Les contre-mesures 
Que peut-on faire contre ce tsunami de la mondialisation qui touche de plus en plus au cœur de nos politiques sociales, en particulier celles de la santé, si chère au cœur des Algériennes et des Algériens ?
Je crois que notre prise de conscience doit commencer par un diagnostic, largement établi mais vis á vis duquel les pouvoirs publics agissent en faisant un pas en avant et deux pas en arrière : le système de sante national est en crise structurelle et á crise structurelle nous devons répondre par des reformes structurelles. 
L’objectif fondamental de ces reformes est de protéger notre population contre les risques de la maladie, des accidents et de l’handicap. L’axe principal de toute réforme est celui du système de financement qui ne répond plus du tout aux objectifs généreux fixés par la politique de « médecine gratuite », terme en fait générique qui ne signifie pas autre chose qu’un accès équitable aux soins de santé pour toute la population en vertu des principes fondamentaux de solidarité entre les couches sociales et les générations.
C’est dans ce cadre que doit s’inscrire tous les processus visant á satisfaire aux besoins de santé de la population : investissement dans les infrastructures publiques et privées, formation des personnels de santé adaptée en nombre et en qualité aux objectifs du programme national de santé dans lequel doit fondre en une seule unité fonctionnelle secteur public et secteur libéral.
Mais au-delà de ces considérations économiques, le meilleur moyen de retenir nos médecins dans leur pays est de travailler au rétablissement du statut social qui doit être  le leur et qui fait de notre métier, plus qu’un sacerdoce, un investissement moral et éthique élevant le « Hakim » en citoyen éclairé participant par son œuvre, sa culture et sa sagesse á la cohésion de sa société et au bien-être de ses concitoyens.    
Ce ne sont pas des mots en l’air, certes le recul est important et la désaffection de la population á l’égard du médecin, allant parfois jusqu’au recours à la violence, montre à quel point notre place dans la société s’est abimée, mais il s’agit d’un impératif absolu sans lequel il ne peut y avoir ni médecine ni médecin mais seulement un marché de la maladie dans lequel seul compte le rapport de force entre marchand et client.
Et ce marché sera inévitablement soumis à celui du néolibéralisme et de la mondialisation.

 

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