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Islamologie et inquisition

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Mohamed MAIZ * Publié 30 Mai 2021 à 09:36

Par : Le Dr Mohamed Maïz 
Universitaire

L’élargissement du champ de l’interdit dans la sphère de la recherche académique qui limite la liberté de dire ce que tous les islamologues savent reflète le poids des immobilismes, des pusillanimités et des résistances à la conciliation entre la foi et l’intelligence, au sens d’une convergence du cœur et de l’esprit.

Scandaleux. Ce terme est le premier qui vient à l’esprit à l’annonce du verdict prononcé par la justice, à propos de l’affaire du chercheur en islamologie M. Djabelkhir, coupable de crime d’audace intellectuelle. Au-delà des griefs, inexacts, d’irrévérence à l’endroit de la religion qui la sous-tendent, la décision de justice condamne la démarche méthodologique, le recours aux outils scientifiques et le raisonnement analogique, appliqués à la connaissance de l’islam. Il ne s’agit pas, ici, de trancher sur le bien-fondé, ou non, des interprétations formulées par le chercheur, à la suite de ses investigations.
La question qui nous préoccupe procède d’un ordre d’idée qui renvoie à l’émergence, ouvertement assumée, par l’État, de pratiques inquisitrices visant à éliminer toute dissonance dans l’appréciation de certaines versions, hors le Coran, du récit religieux. La justice a frappé du sceau de l’attentatoire le recours à la rationalité et à la méthodologie dans l’étude des textes de référence. Par la sévérité de la sanction, elle entend punir et décourager toute démarche usant de l’analyse hors des contours du religieusement correct. Elle estime, en effet, que la pensée a des limites à ne pas franchir.
On a bien consulté des imams sur la licité ou non du vaccin anti-Covid !
Le crime qui a été puni est celui de la hardiesse de l’expression de la pensée, dans un domaine, excessivement extensif, d’un sacré, figé, considéré comme inéligible au débat. La sentence traduit l’omnipotence du poids du choix de l’immobilisme. Elle se situe dans un parfait alignement sur la formule salafiste qui considère que toute innovation qui sort du strict cadre métriquement défini est une hérésie qui mène en enfer. Vertu cardinale en islam, la tolérance, en tant qu’acceptation de la diversité des croyances et des opinions, n’a pas pesé lourd, bien que d’essence coranique, face aux rigidités socio-anthropologiques dominantes. L’histoire a montré que la scolastique n’avait pas droit de cité en terre d’islam.
Or, la recherche n’a pas vocation à se préoccuper des susceptibilités. Son intention de départ n’est pas de l’ordre de l’offense. Au-dessus de ces insignifiances, son objet est d’ouvrir des voies favorables à l’avancée de la connaissance. Et la sensibilité du sujet ne devait pas extraire le domaine de la religion de cette logique. Les travaux de Fatima Mernissi et/ou de Hela Ouerdi qui ont déconstruit certaines thèses historico-religieuses n’ont pas, pour autant, conduit leurs auteurs au bûcher. 
Car il appartient à tous ceux que le progrès de la recherche perturbe de faire, tout simplement, l’impasse sur des vidéos et des interventions que rien n’oblige à visionner et/ou à écouter. Comparativement, l’exceptionnalité de la sévérité du traitement réservé à l’islamologue algérien par la justice de son pays présente, en fait, tous les aspects d’une chasse aux sorcières qui ouvre la voie à la résurgence de l’inquisition.
Ces dépassements, qui ne reposent pas sur un motif palpable de déviationnisme, dès lors qu’il n’y a pas atteinte aux fondements de la religion, déplacent la question sur le terrain politique. La politique politicienne qui consiste, via l’administration et au motif que l’islam est la religion des Algériens et donc de l’État (!), à prendre fait et cause pour la tendance islamo-conservatrice, réactive un vieux schéma Orsec.
Tout porte à croire qu’en anticipant sur la prise en charge du fonds de commerce des partis politiques islamistes, décrédibilisés par le mouvement citoyen, il est attendu, comme objectif perceptible, un retour d’ascenseur visant à un resserrement des rangs, opposable à la poussée démocratique populaire.
Pratique de l’intégrisme, l’anathème, que traduit la peine d’emprisonnement, est cette fois-ci jetée par la voie légale de l’État.
La censure de la conscience est désormais le fait de la loi. Et l’islamologue fait les frais de cette plongée dans les ténèbres de l’obscurantisme médiéval. Érigées en une anachronique priorité gouvernementale par un exécutif soucieux de brasser large et entérinées par une APN acquise aux causes des montages politico-populistes, les dispositions du code pénal mises en œuvre pour contrer la recherche légalisent l’intolérance et criminalisent la dissonance. Leur finalité est d’instaurer, par la répression judiciaire et le liberticide, l’interdiction de la production philosophico-religieuse qui ne cadre pas avec l’intransigeance des inflexibilités dogmatiques portées par la surenchère politicienne des courants islamistes.
L’élargissement du champ de l’interdit dans la sphère de la recherche académique qui limite la liberté de dire ce que tous les islamologues savent reflète le poids des immobilismes, des pusillanimités et des résistances à la conciliation entre la foi et l’intelligence, au sens d’une convergence du cœur et de l’esprit.
L’islam n’a nul besoin de l’intervention des hommes pour le défendre. Surtout s’il est fait usage, à dessein politique, d’une loi qui va à l’encontre de l’esprit d’ouverture et du respect de la différence, prônés par le Coran. Son essence divine, son message de paix et de tolérance, sa densité spirituelle et les vertus qu’il véhicule constituent son système immunitaire. Aguerri et buriné par son histoire de sa protection, il n’a que faire des initiatives inquisitrices,  visant, sous le couvert
de sa protection, à le politiser pour le tracter dans des compromissions, étrangères à sa finalité spirituelle. Religion destinée à être contemporaine à tous les âges de l’évolution de la civilisation humaine par son ouverture sur la science, sa dimension divine lui confère son intemporalité, son éternité et son inaltérable authenticité, sans qu’il faille recourir à l’usage du musellement de la recherche.
Ouvert sur la jurisprudence et l’universalité, l’islam est aux antipodes des violences multiformes qui, d’une égale gravité, vont du terrorisme à la judiciarisation de la pensée.
Ces violences faites à l’essence même de la religion sont l’expression de l’inacceptation de toute forme d’avancée dans la scène et de la lucide contextualisation des structurations anthropologiques de cette étape du développement de l’humanité que fut l’apparition des religions révélées.

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