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L’Algérie a besoin de profondes réformes

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Abderrahmane MEBTOUL Publié 17 Février 2022 à 08:43

Par : Dr Abderrahmane Mebtoul 
Professeur des universités, expert international

Le mythe du bureaucrate est de croire que c’est en élaborant de nouvelles lois que l’on résout les problèmes de la société. Les pays qui attirent le plus les IDE n’ont pas de codes d’investissement, mais des mécanismes de régulation transparents.

L’économie algérienne a connu différentes formes d’organisation des entreprises publiques de 1963 à 2021. Avant 1965, la forme d’autogestion était privilégiée, de 1965 à 1980 nous avons eu de grandes sociétés nationales, et de 1980 à 1988 il y a eu leur restructuration. Comme conséquence de la crise de 1986 qui vit le cours du pétrole s’effondrer, des réformes timides sont entamées en 1988 : l’État crée 8 fonds de participation, chargés de gérer les portefeuilles de l’État. En 1996, l’État crée 11 holdings en plus des 5 régionaux, avec un Conseil national des privatisations ; en 2000, nous assistons à leur fusion en 5 mégaholdings et la suppression du Conseil national des privatisations ; en 2001, nouvelle organisation : on crée 28 sociétés de gestion des participations de l’État (SGP), en plus des grandes entreprises considérées comme stratégiques ; en 2004, ces SGP sont regroupées en 11 et 4 régionaux. En 2007, une nouvelle organisation est à nouveau proposée par le ministère de l’Industrie et de la Promotion des investissements, articulée autour de quatre grands segments : des sociétés de développement économique qui relèvent de la gestion exclusive de l’État gestionnaire ; des sociétés de promotion et de développement en favorisant le partenariat avec le secteur privé international et national ; des sociétés de participation de l’État appelées à être privatisées à terme et, enfin, une société chargée de la liquidation des entreprises structurellement déficitaires. 

Cependant, en 2008, cette proposition d’organisation est abandonnée et est émise en 2009 l’idée de groupes industriels. Depuis 2018-2022, on semble revenir aux tutelles ministérielles, laissant peu d’autonomie aux entreprises. Cette démarche privilégiant la dominance de la démarche administrative et bureaucratique au détriment de la démarche opérationnelle économique, ces changements périodiques d’organisation démobilisant les cadres du secteur économique public, et même les investisseurs locaux et étrangers, a pour conséquence un gaspillage des ressources financières et le renforcement de la dynamique rentière, bloquant tout transfert de technologique et managérial. Ainsi l’Algérie a-t-elle les meilleures lois du monde, mais rarement appliquées. La règle des 49/51% instaurée en 2009, dont j’avais demandé l’abrogation et que le gouvernement actuel a décidé d’assouplir, n’a pas permis de freiner les importations ni de réaliser le transfert technologique et managérial. 
Au contraire, elle a favorisé les délits d’initié de certains oligarques. Un bilan serein s’impose avec une réponse précise : dans quels secteurs les quelques participations ont-elles eu lieu et ont-elles permis l’accroissement de la valeur ajoutée ? Quel est le gain en devises, ou alors quel est le montant des surcoûts supportés par l’Algérie ? Pour les segments non stratégiques mais à valeur ajoutée importante, il serait souhaitable d’appliquer la minorité de blocage de 30% afin d’éviter les délocalisations sauvages. Quitte à me répéter, l’investissement hors hydrocarbures en Algérie, porteur de croissance et créateur d’emplois, est victime de nombreux freins, dont les principaux restent l’omniprésence de la bureaucratie et la corruption qui freinent la mise en œuvre d’affaires, favorisant l’extension de la sphère informelle qui contrôle plus de 40% de la masse monétaire en circulation. Le terrorisme bureaucratique représente à lui seul plus de 50% des freins à l’investissement ; son élimination implique “l’amélioration de la gouvernance et une plus grande visibilité et cohérence dans la démarche de la politique socioéconomique. La réforme du système financier, cœur des réformes, est essentielle pour attirer l’investisseur afin de sortir de la léthargie et de la marginalisation le secteur privé, puisque les banques publiques, qui continuent à accaparer 90% des crédits octroyés, ont carrément été saignées par les entreprises publiques du fait d’un assainissement qui, selon les données récentes (2021), a coûté au Trésor public du Premier ministère ces trente dernières années environ 250 milliards de dollars, sans compter les réévaluations répétées durant les dix dernières années de plus de 65 milliards de dollars, entraînant des recapitalisations répétées des banques malades de leurs clients. 
Enfin, comme frein à l’investissement hors hydrocarbures, l’absence d’un marché foncier où la majorité des wilayas livre des terrains à des prix exorbitants, souvent sans utilité (routes, téléphone, électricité/gaz, assainissements, etc.) et l’inadaptation du marché du travail à la demande, renvoyant à la réforme du système socioéducatif et de la formation professionnelle, usines à fabriquer de futurs chômeurs.
D’où l’importance de rappeler les principales dispositions de la loi de finances 2022, adoptée par l’APN. 
Le PLF 2022 se base sur un cours de 45 dollars le baril du Brent et un prix du marché de 50 dollars. Il faudra être réaliste. Si les projets du fer de Gara Djebilet et du phosphate de Tébessa commencent leur production en 2022, l’investissement de ces deux projets étant estimé à environ 15 milliards de dollars, tandis que le coût du projet du gazoduc Nigeria-Algérie est estimé à plus de 20 milliards de dollars par l’Europe, la rentabilité ne se fera pas avant 5/7 ans. Actuellement cotée à plus de 140 dinars un dollar (contre 5 dinars pour un dollar en 1970), la monnaie algérienne a subi plusieurs dérapages, pour ne pas dire dévaluations – vers les années 1970-1973, puis entre 2000 et 2004. Cela n’a pourtant pas permis de dynamiser les exportations hors hydrocarbures, les entrées en devises provenant toujours à 98% des hydrocarbures et de leurs dérivés. 
Dans un tel contexte, prenons garde aux utopies ! L’annonce de 4 milliards de dollars d’exportations hors hydrocarbures pour 2021 doit tenir compte non seulement de la valeur – car certains produits, comme les engrais et autres, ont vu leurs prix augmenter sur le marché international de 30 à 50% – mais aussi du volume : pour établir une réelle comparaison, le ministère du Commerce devra donc déclarer aussi les volumes (en kg ou en t) des produits exportés lors des années précédentes, de 2017 à 2020. Comment ne pas rappeler que l’Algérie a engrangé plus de 1 150 milliards de dollars en devises entre 2000 et 2021, avec une importation de biens et services, toujours en devises, de plus de 1 055 milliards de dollars pour un taux de croissance dérisoire de 2-3% en moyenne, alors qu’il aurait dû se situer entre 9 et 10% ? Le déficit budgétaire prévu est d’environ 4 175 milliards de dinars (au cours de 137 DA un dollar), soit 30,50 milliards de dollars, 8 milliards de dollars de plus qu’en 2021. 
Mais avec la décision du Conseil des ministres en date du 13 février 2022 d’annuler certaines taxes, quel sera le montant réel du déficit, atténué certes artificiellement par la dévaluation du dinar où, selon les prévisions de l’exécutif, le taux de change du dinar sera de 149,3 DA pour un dollar en 2022, de 156,8 DA/dollar en 2023 et 164,6 DA/dollar en 2024 qui amplifie ? C’est que plus de 85% des matières premières sont importées, et du faible taux d’intégration par les entreprises publiques et privées – sans compter l’assistance technique étrangère –, avec la dévaluation du dinar entre 2022 et 2024, l’inflation sera de longue durée. Il y a surtout le manque de rigueur budgétaire. L’Algérie, selon le FMI, fonctionnant entre le budget de fonctionnement et d’équipement, à plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production avec des impacts inflationnistes, les réserves de change sont en baisse continue, étant passées de 194 milliards de dollars au 1er janvier 2014 à 62 fin 2019, à 48 fin 2020 et à 44 fin mai 2021. Cette faiblesse du taux de croissance se répercute sur le taux de chômage. En plus du licencient uniquement dans le BTPH de 150 000 emplois en 2021, certaines sources estiment à plus de 500 000 emplois perdus au niveau des PMI/PME. Le faible taux de croissance influe sur le taux de chômage, qui, selon le FMI, en 2021 a été de 14,1% avec une prévision de 14,7% en 2022 incluant les sureffectifs des administrations, entreprises publiques et l’emploi dans la sphère informelle entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars soit, au cours de 137 dinars un dollar, entre 44 et 73 milliards de dollars. 
Pour éviter des remous sociaux, tous les gouvernements ont généralisé les subventions, source de gaspillage croissant des ressources financières du pays. Selon les prévisions de la loi de finances 2022, les subventions implicites, constituées notamment de subventions aux produits énergétiques et des subventions de nature fiscale, représentent environ 80% du total des subventions, et les subventions explicites représentent un cinquième du total des subventions, étant dominées par le soutien aux prix des produits alimentaires et aux logements étant prévu 1 942 milliards de dinars, soit 14,17 milliards de dollars et 19,7% du budget de l’État. C’est là un dossier très complexe que le gouvernement a décidé de revoir. Mais sans maîtrise du système d’information et la quantification de la sphère informelle, la réforme risque d’avoir des effets pervers.
En résumé, l’idéal est qu’il n’y ait plus de code d’investissement, avec des structures bureaucratiques qui décident à la place de l’investisseur, et comme dans tous les pays développés, laissant jouer les règles du marché encadré par l’État régulateur. Durant cette période de transition, un nouveau code d’investissement, sans vision stratégique, une nouvelle gouvernance, de profondes réformes structurelles conciliant l’efficacité économique et la nécessaire cohésion sociale – supposant une profonde moralité de ceux qui dirigent la Cité –, aura un impact mitigé. Si l’on veut que le nouveau code d’investissement ait un impact réel, il y a urgence d’une réorientation de toute la politique socioéconomique, passant par de profonds ajustements économiques et sociaux, donc par de profondes réformes structurelles devant synchroniser la sphère réelle et la sphère financière, la dynamique économique et la dynamique sociale, évitant l’illusion des années 1970-1990 de l’ère mécanique, étant à l’ère de l’immatérialité où les firmes éclatent en réseaux à travers un monde turbulent et instable comme une toile d’araignée. 
Le retour à la confiance, sans laquelle aucun développement n’est possible, passe par une vision stratégique clairement définie, en évitant l’instabilité juridique et celle du taux de change qui freine l’attrait de l’investissement à moyen et long termes et encourage les actions spéculatives, tant dans la sphère réelle (stockage de produits durables) que par l’achat de devises. Sous réserve d’une nouvelle gouvernance, 
l’Algérie a les moyens de surmonter la crise actuelle, mais avec du réalisme, par un propos de vérité évitant les discours démagogiques populistes se fondant sur une vision idéologique dépassée. 

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