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L’électricité verte en Algérie Les enjeux d’une valorisation

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Mohamed TERKMANI (*) Publié 02 Février 2022 à 15:40

Par : MOHAMED TERKMANI
ANCIEN DIRECTEUR À SONATRACH

Il est important de souligner que l’électricité future sera essentiellement produite à partir du gaz naturel. 
En d’autres termes, 80,5% de la production totale d’électricité seront encore, en 2035, générés par le gaz qui restera la source prépondérante de production électrique pendant encore des décennies. 

Afin d’atténuer tant bien que mal le déclin continu de la production et des exportations pétro-gazières, aggravé par une consommation interne en forte progression, les autorités comptent beaucoup sur les énergies renouvelables (EnR) et en particulier sur l’immense potentiel solaire du pays. Elles ont d’ailleurs décidé de les exploiter assez tôt, dès 2011, dans le cadre du programme de développement des EnR adopté par le gouvernement. Lors de son lancement, il ambitionnait d’atteindre, en 2030, une puissance de 12 000 mégawatts (MW), essentiellement solaires, réservés à la consommation interne avec une option de 10 000 MW pour l’exportation. Le programme a été réactualisé en 2015 et élevé à 22 000 MW avec la même option d’un supplément de 10 000 MW venant s’y ajouter pour l’exportation. Il a aussi été question d’accroître la part des exportations à 20 000 MW, voire plus, espérant ainsi générer une nouvelle rente providentielle prenant la relève de l’ancienne. 
Le programme ne s’est cependant pas déroulé comme prévu et a connu une longue période de stagnation au cours de laquelle moins de 400 MW ont pu être réalisés, en 10 ans, soit environ1,7% seulement des 22 000 MW/an. Il est donc dépassé.
Actuellement, un nouveau projet, moins ambitieux, a été officiellement annoncé. Il prévoit la réalisation annuelle de 1000 MW d’énergie solaire photovoltaïque (PV) pour atteindre un maximum de 15 000 MW, 15 ans plus tard. Comme auparavant, il est question non seulement de consommer localement l’électricité verte mais aussi d’en exporter une bonne partie. Or ces deux actions n’ont pas la même profitabilité économique, puisque la première option permet d’économiser le gaz en plus de la commercialisation locale de l’électricité verte, ce qui est exclu pour la seconde qui ne peut compter que sur les recettes incertaines de l’exportation. 
Dans ces conditions, il s’agira d’arbitrer entre elles pour ne retenir que la plus profitable, mais pas les deux en même temps. Décider de consommer localement une partie de l’électricité verte et d’en exporter l’autre partie entraînera une valorisation moindre de l’ensemble, puisque celui-ci inclura la moins profitable des deux donc un manque à gagner. 
Nous nous proposons, dans ce qui suit, de comparer les deux options afin de déterminer celle qui devrait prévaloir. 

Option de consommation locale de l’électricité verte 
Supposons, à titre d’exemple, qu’un supplément d’électricité verte produit par une puissance de 10 000 MW soit réservé à l’exportation. Si, au lieu de l’exporter, ce supplément est consommé localement, il pourrait remplacer la même quantité d’électricité conventionnelle et donc économiser le gaz consommé dans les centrales thermiques pour la produire. L’avantage en résultant sera double car, en plus de commercialiser localement l’électricité verte, il permettra d’économiser un important volume de gaz. Surtout que le gaz est considéré comme étant une énergie de transition et que l’Union européenne (UE) s’apprête à le classer comme énergie verte ce qui le dispensera des pénalités qui seront imposées aux autres énergies fossiles. Les économies de gaz, dans le cas de cette option, perdureront temps que l’électricité verte n’aura pas atteint les 100% de la production totale.  Le gaz économisé pourra être exporté ou conservé dans les gisements mais, vus les besoins financiers du pays et le déclin des exportations, il est certain qu’il sera prioritairement exporté. À la fin de la période d’exportations, les économies de gaz resteront tout aussi importantes car elles permettront d’atténuer le déficit progressif qui commencera à affecter l’approvisionnement national. En d’autres termes, elles permettront d’éviter les dépenses d’importation d’une quantité d’énergie équivalente à celle économisée. 
Un autre avantage, et non des moindres, que présente le gaz économisé est le fait qu’il est immédiatement valorisable grâce à l’existence d’un réseau dense de canalisations, de gazoducs et de méthaniers pour le transporter jusqu’aux points de vente nationaux et internationaux. 

Option d’exportation de l’électricité verte  
Si, au contraire, il est envisagé d’exporter les 10 000 MW, ils ne pourront engendrer aucune économie de gaz, donc aucune recette d’exportation gazière ni, plus tard, aucun appoint à la consommation puisqu’ils ne se substitueront pas à de l’électricité conventionnelle. De plus, il sera nécessaire de compenser le vide laissé par les 10 000 MW d’électricité verte éventuellement exportés par de l’électricité conventionnelle. Le seuil de rentabilité de cette dernière, qui s’estime à environ 12 DA le kWh, est supérieur à celui du photovoltaïque qui ne cesse de baisser. La marge bénéficiaire du kWh conventionnel sera donc, pour un même prix de vente, inférieure à celle du kWh vert. Cette marge ne pourra qu’être négative avec un prix subventionné à 4 DA le kWh.
D’autre part, il est loin d’être évident que l’exportation de l’électricité verte sera compétitive avec celle de l’Europe et ce pour plusieurs raisons. En effet, en plus des lourds investissements pour la produire en Algérie, il sera nécessaire d’accroître les capacités du réseau local et surtout d’installer de couteuses lignes électriques sous-marines en courant continu haute tension pour transporter l’électricité à travers la Méditerranée jusqu’en Europe. Le coût de ces investissements, qui s’estime en milliards de dollars, risque de compromettre la profitabilité de l’opération.
Il convient aussi de ne pas sous-estimer le fort potentiel en énergies renouvelables des pays européens qui exploitent des filières telles que l’hydroélectricité, l’éolien terrestre et offshore, la géothermie, les marées, la biomasse, etc. qui sont plus performantes en Europe sauf, bien sûr, pour le solaire qui est de loin plus performant en Algérie. Mais le solaire n’est, tout de même, pas à négliger dans les régions du sud de l’Europe (Espagne, Portugal, Midi de la France, Italie, Grèce, Chypre, Malte…) Sans parler de l’option nucléaire retenue dans le futur mix électrique en France, en Pologne et dans d’autres pays. La maîtrise technologique et les économies d’échelle permettront à l’Europe d’accroître son potentiel électrique et tout en réduisant considérablement les coûts du kWh.  Par conséquent, il n’est pas évident que les prix algériens, alourdis par les pertes en ligne et les coûts de transport, y soient très compétitifs. De plus, il n’est pas exclu que l’Europe devienne autosuffisante, ou presque, sans avoir à importer de grandes quantités d’électricité. D’ailleurs, une directive européenne interdit l’importation d’électricité verte à partir des pays hors UE pour, précisément, promouvoir sa propre production. 
Pour ces raisons, l’exportation de l’électricité s’annonce beaucoup moins prometteuse que l’option de consommation locale. En fait, cette exportation était exclue dans le passé à cause des coûts prohibitifs d’alors. C’est probablement à cause de ces coûts que le projet Desertec n’a pu survivre à son ambition d’alimenter l’Europe en électricité verte à partir des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (Mena).
Par conséquent, l’option de consommer l’électricité verte sur place apparaît comme étant la plus avantageuse et devrait donc exclure l’option d’exportation. En tout état de cause, quel que soit le choix retenu, il ne pourra porter que sur la plus profitable mais pas sur les deux options en même temps. Elles ne pourront l’être simultanément que lorsque l’électricité verte produite dépassera 100% de la consommation locale.

Prédominance du gaz dans la future production électrique en Algérie
La question qui se pose à ce point est de savoir quelle sera la contribution de l’électricité verte, générée par les 15 000 MW du projet dans le futur mix électrique. 
Les données disponibles nous ont permis d’évaluer à 15,77 TWh/an les quantités d’électricité verte qui seront produites en 2030, soit 14,2% seulement de la production totale. Même lorsqu’il atteindra son maximum en 2035, le projet ne produira que 26,28 TWh/an soit 19,5% du total.  Il est donc important de souligner, au vu de ces résultats, que l’électricité future sera essentiellement produite à partir du gaz naturel. En d’autres termes, 80,5% de la production totale d’électricité seront encore, en 2035, générés par le gaz qui restera la source prépondérante de production électrique pendant encore des décennies. Par conséquent, ce qui vient d’être dit dans les chapitres précédents à propos de l’exportation et de la consommation locale d’électricité verte restera valable pendant encore des décennies, jusqu’au jour où la production d’électricité verte dépassera les 100% de la consommation locale. C’est dommage, puisque l’essentiel du gaz ne pourra être économisé.
D’autre part, il ne faut pas exclure le risque futur d’une production déficitaire de gaz en Algérie avec pour conséquence une pénurie d’électricité. D’où la nécessité de promouvoir l’exploration et la production du gaz pour éviter cette éventualité.

Conclusions
Dans le contexte d’un pays comme l’Algérie qui produit la quasi-totalité de son électricité à partir du gaz naturel et dont l’objectif est d’en économiser le maximum, il ressort, de ce qui précède, qu’il serait bien plus avantageux de consommer l’électricité verte sur place au lieu de l’exporter. 
Bien que l’électricité verte soit appelée à jouer un rôle appréciable dans le futur mix, c’est le gaz naturel qui restera pendant très longtemps encore la source prépondérante de production électrique.
À ce titre, en plus des EnR et des économies d’énergie, le gros des efforts devrait porter sur l’exploration et la production de toutes les sources de gaz exploitables afin d’éviter les pénuries et d’assurer la sécurité électrique du pays.                                                                                   

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