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L’histoire n’est pas un joker

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MYASSA MESSAOUDI Publié 17 Octobre 2021 à 10:48

Par : Myassa Messaoudi

“Différencier l’Histoire de la petite histoire. L’anecdote de la tragédie. Noyer des pans et des temps du passé dans un désert d’oubli pour satisfaire à une épopée, elle-même périssable et condamnée à n’être qu’un temps parmi tant d’autres, est l’errance absolue d’une nation qui a perdu toute objectivité.” 

Faire son marché à travers l’histoire et y élire ce qui nous est gré. Voici une fantaisie de prestidigitateur ou de mondain affecté. Le procédé peut distraire de l’ennui, mais il devient vite une dague enfoncée dans les pieds lorsqu’on en fait un usage opportuniste uniquement destiné à se valoriser.
Différencier l’Histoire de la petite histoire. L’anecdote de la tragédie. Noyer des pans et des temps du passé dans un désert d’oubli pour satisfaire à une épopée, elle-même périssable et condamnée à n’être qu’un temps parmi tant d’autres, est l’errance absolue d’une nation qui a perdu toute objectivité. 
La géographie est la première des définitions. Celle qui nous ancre dans un sol à jamais. Elle nous inscrit et de manière définitive à n’être qu’une poussière de sa composition. Dès lors, où que nous allions, nous emporterons l’ADN de sa combinaison. La géographie forge l’esprit.

L’adoucit ou l’abrutit. Condamne à la sédentarité ou à la conquête permanente des espaces et contrées. Si la mer est sous vos pieds, les galères, qu’elles soient d’embarcations ou d’invasions, emmènent et ramènent moult histoires. La géographie est ardue aux falsifications. Elle impose un voisinage qu’on ne peut rayer d’un trait. Les pays qui jouxtent le vôtre pousseront à la réactivité. Par les armes ou par le commerce. Il arrive aussi que voyagent dans les malles des conquérants des croyances, des langues et des idées, et même des civilisations qui féconderont forcément les vôtres. 

L’Algérie, comme tous les pays, a connu une géographie aux frontières animées. Des frontières mobiles et non une histoire figée. Mais il est surprenant que depuis l’indépendance du pays, en 1962, on ne cesse de la réduire à un reliquat, qui plus est nostalgique et soumis, à une ancienne puissance impériale qui date de plusieurs siècles. On a instauré une hiérarchie des colonisateurs. Et il est clair que le facteur religieux a joué un rôle référent, rendant plus acceptables certaines occupations que d’autres. L’on est forcé de déduire qu’être un conquérant musulman absout des péchés de la colonisation. Esclavage, pillage, déportation et viol des femmes deviennent de banales péripéties dont on tait les effets néfastes au nom d’un expansionnisme qui ne dit pas son nom.

Une matrice barbare de la destruction des nations portée radicalement par les groupes djihadistes de type Daesh, mais également, et plus pernicieusement, par des frères musulmans qui corrompent la notion même de patriotisme. En effet, sous prétexte que l’allégeance à Dieu passe avant celle des patries, le collaborationnisme avec des pays étrangers prédateurs devient par magie une marque de piété. Partout, des pays autrefois souverains et distincts culturellement deviennent, une fois l’islam politique installé, des territoires assujettis aux grandes puissances confessionnelles du moment, à savoir la maison sunnite disputée entre la péninsule arabique et la Sublime porte. Et la maison chiite, ayant pour capitale Téhéran. C’est le nouveau bloc Est-Ouest du mode arabo-musulman. Sa guerre, non pas froide, mais brûlante. Le reste n’est désormais plus que pays satellites disputés entre ces deux forces rivales. 

On évoque souvent et de manière, disons-le, exclusive le colonialisme français comme s’il était l’unique occupation qui s’était jouée de nos racines et de notre identité. Il est vrai que les colons français ont tout tenté pour nous brouiller avec nos origines, allant jusqu’à nous affubler d’ancêtres gaulois, mais pas plus que ceux qui se prétendent aujourd’hui descendre directement du prophète Mahomet (QSSSL). À la différence près que les Français roulaient pour eux-mêmes, alors que les nôtres travaillent pour nous assujettir à d’autres colonisateurs. Ils combattent les langues ancestrales de leur propre pays, rejettent ses traditions vestimentaires, sa culture, son histoire antique truffée des plus glorieux apports civilisationnels. 

En cela, rien ne les différencie de l’occupant français qui, sciemment, négligeait les sites archéologiques berbères et gréco-romains dont est truffée l’Algérie. Reconnaître à ce pays un passé qui n’a rien à envier à ses illustres voisins de la Méditerranée revenait à lui reconnaître une contribution sophistiquée à la pensée. Or, un homme destiné à l’asservissement n’est pas éligible au monde des idées selon les dominants ! Sa paupérisation absolue, matérielle comme intellectuelle, fait partie de la stratégie destinée à le soumettre. Nous décrions nuits et jours la période coloniale française, mais nous nous évertuons à copier ses méfaits. Faisant de son début la fin de tout ce qui nous y libère. A-t-on déjà vu un pays, par le récit national de sa propre histoire, transformer ses authentiques habitants en conquérants de leurs propres terres ? Si nous venons tous de quelque part, il n’est donc pas étonnant que nous percevions comme menaces existentielles ceux qui gardent une mémoire vaillante de leur passé. 

Il n’est pas loin le temps où on considérait le berbère comme langue prohibée. Qu’on ait interdit des colloques littéraires parce qu’exprimés dans cette langue ancestrale. Il a fallu une lutte acharnée de plus de quarante ans et même des morts pour qu’enfin, on reconnaisse aux régions dotées d’une mémoire de langue et d’histoire le droit de parler et d’écrire la langue mère de tous les Algériens. Si la radicalisation identitaire sévit aujourd’hui, alors nous y sommes pour quelque chose. L’histoire algérienne est une grande histoire. Contemporaine de toutes les avancées. Successivement témoin, protagoniste et victime des remous qui ont bouleversé la Méditerranée ; celle-ci étant son environnement géographique naturel. L’Algérie a, comme qui dirait, une histoire intime avec presque tous les pays qui bordent ce bassin qui charrie nos terres. La Rome de l’Italie, l’Andalousie de l’Espagne, la France, dont une langue, une communauté de plus de six millions de personnes que nous envient d’autres pays et des enfants en commun, reste, de facto, un partenaire difficile à ignorer, nonobstant les différends qu’on doit régler pacifiquement. 

L’Afrique, nous en faisons partie, mais nous avons à l’égard de nos propres territoirs du sud du pays un dédain qui frise le racisme. Pourtant que de modèles sociaux divers à mettre en valeur. C’est la terre des femmes reines du continent. Le lieu de toutes les richesses qu’on extrait. Le coin du pays rendu muet par notre négligence à son égard. S’inventer une identité pour se rattacher à des contrées lointaines. Lutter contre les langues natives ou acquises à la force des armes, renier le droit aux croyances de s’exprimer, ce n’est pas de la dictature, mais de l’abrutissement. Collectif, dense et suicidaire. 

Laissons l’histoire de côté et revenons au présent !
Le dernier épisode diplomatique entre la France et l’Algérie a laissé place à une étrange surenchère. Non pas mémorielle, mais coloniale. Le président français reprochant à la Turquie de s’être mieux débrouillée pour faire oublier son occupation de l’Algérie. C’étaient, tout de même, quatre siècles de pillage et d’asservissement. Deux fois plus que la France ! Et à l’Algérie de n’être, après tout, qu’un bébé nation. La réponse du président Tebboune n’en fut pas moins surprenante. D’un coup, l’arabisme orthodoxe algérien s’est fait plus mixte et tolérant. Dare-dare, l’histoire ancestrale est venue à la rescousse de la diplomatie, et le président du pays en usa pour rappeler que nous sommes une nation depuis au moins l’empereur César. De Massinissa, de Jugurtha, et même un président américain est venu rappeler au président Macron que non, on n’est pas né de la dernière pluie. 

Jeanne d’Arc n’a qu’à bien se tenir, car l’Algérie regorge aussi de puissantes femmes guerrières. Et même pas voilées ! 
Voici une mémoire retrouvée que nous ne bouderons pas. Et que, paradoxalement, on doit à la perte de sang-froid du président français. Certains ont poussé l’humour ou l’amertume jusqu’à considérer que ce n’était pas le seul cadeau. Vu que la France a aussi laissé un pays géographiquement immense. Les frontières de l’Algérie ayant été tracées par l’administration coloniale. D’ailleurs, l’un de nos voisins est inconsolable de la surface jugée menue dont il a hérité. 

Trêve d’humour noire, on ne s’assoit pas sur le passé pour l’évoquer quand cela nous arrange. La mémoire ne fonctionne pas à la carte. Et on ne la retrouve pas au gré de nos envies et utilités. L’histoire du pays doit être abordée dans sa globale réalité. La reconnaissance de la dimension indiscutable du berbère en Algérie est une démarche salvatrice pour l’Algérie. Elle l’immunisera contre les brèches que creusent certains pour brouiller le pays avec ses racines profondes et honorables. Non, l’histoire n’est pas un joker, mais une fondation qu’il ne faut jamais attaquer, au risque de vaciller au premier coup de vent. 

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