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LA PLACE DU GÉNOCIDE ALGÉRIEN DANS LA QUESTION MÉMORIELLE

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Mohamed MAIZ * Publié 08 Février 2021 à 22:23

Par : DR MOHAMED MAIZ
         
UNIVERSITAIRE

La conception que l'on souhaite faire prévaloir est que le passé colonial, que les deux pays ont en partage, devrait être un lien de rapprochement et non un mur de séparation et de méfiance.”

On estime outre-Méditerranée, que les antagonismes politico-historiques dans l'approche du passé commun, algéro-français, à travers la question mémorielle, entrave l'instauration d'un climat serein dans les relations bilatérales, et porte préjudice à leur développement.
Le moment serait, donc, venu pour un examen conjoint des points d'achoppement.
La conception que l’on souhaite faire prévaloir est que le passé colonial, que les deux pays ont en partage, devrait être un lien de rapprochement et non un mur de séparation et de méfiance.
Pour pragmatique qu'elle soit, cette profession de foi présupposée pour sa concrétisation des avancées courageuses dans la reconnaissance et l'endossement des responsabilités dans le drame que furent 132 années d'une féroce colonisation.
Le rapport remis au président Macron ne pouvait, en raison de la complexité du sujet, échapper à la fatale diversité des appréciations souvent virulentes qu'il a suscitées. Partial, en deçà de l'objectivité historique éclectique, méritoire, les adjectifs n'ont pas manqué pour qualifier le contenu du document.
Il est un fait que l'apport que l'on peut lui reconnaître est qu'il rompt avec le mutisme officiel, les tabous sociopolitiques, l'enfouissement, et la négation de cette question au niveau de l’Hexagone.
Toutefois, le choix d'une terminologie feutrée, le recours à des euphémismes étudiés, et surtout le refus de nommer le crime de la colonisation par son nom sont révélateurs d'une tiédeur qui malmène la vérité historique.
Cette prudence politico-sémantique n'explique pas, pour autant, chez un historien connu par sa rigueur scientifique dans la recherche historique, le refus d'évoquer le terrible génocide que fut la conquête.
Il se dégage du rapport une espèce de match nul et une égale culpabilité dans la balance des souffrances endurées par les deux peuples.
Il est clair que cette perception qui n'aborde pas l'essentiel, et dont on devine les tenants et les aboutissants au plan de la politique interne française, n’a pas d'avenir bilatéral. Car, la vérité historique, qui subordonne une éventuelle réconciliation des mémoires, à terme, ne peut faire l'impasse sur les atrocités que l'Algérie doit à “l'action civilisatrice” de l'agression coloniale : enfumages ; emmurages ; déracinements ; zones interdites ; décapitations publiques; destructions et profanations de cimetières pour libérer des terres aux colons ; transformations d'ossements mortuaires à des fins industrielles ; massacres de masse ; collections macabres d'oreilles d'arabes tués ; pilonnage de villages; asphyxies dans les cuves à vin ; dynamitages de bâtisses citadines ; tortures ; napalm ; guillotine ; 
O.A.S ; essais nucléaires et bactériologiques, et écocides ; déscolarisation ; déculturation ; vols du trésor de la régence d'Alger ; vols d'éléments du patrimoine culturel ; prosélytisme et conversions forcées et autres atrocités d'une liste interminable.
Le devoir de fidélité mémorielle à l'endroit de ce martyr procède non pas de l'entretien d'une quelconque rente historique, dont profiterait le pouvoir algérien, mais de la sacralité du statut dans l'inconscient collectif des sacrifices consentis.
Les excuses et la repentance que personne ne demande, d'ailleurs, n’effaceront pas la page du passé colonial et ne ressusciteront pas les millions de martyrs.
Le peuple algérien a fait de ses souffrances un ciment national. À l'inverse, la France, quant à elle, peine à assumer son passé colonial. Le succès électoral du populisme, du racisme et de la xénophobie qui surfent, entre autres, sur les stigmates du choc de la fin de l'aventure coloniale en Algérie le confirme.
Évoluant sur le velours des calculs politiques et la permissivité politicienne, les courants politiques qui ont bâti leur fonds de commerce sur l'impact de ce traumatisme ont fini, au gré des joutes électorales, à faire de la haine et de la rancune anti-algériennes des slogans mobilisateurs.
Dès lors, si effort de réconciliation il y a, il devrait en priorité s'attaquer au désempoisonnement de la société française du virus de l'Algérie de papa et à dire la vérité historique. À savoir que la colonisation a été un massacre à grande échelle des populations civiles, spoliées de leurs terres et livrées à la barbarie et à la bestialité de la soldatesque coloniale. Que la colonisation est un crime contre l'humanité. Que l'agression coloniale a donné lieu en Algérie, au nom de l'État français, à un terrible génocide consécutif aux pratiques militaires d'extermination raciale et ethnocidaire des Bugeaud, Saint-Arnaud, Pélissier, Cavaignac, Lamoricière et consorts.
Or, force est de constater que les gouvernements français successifs se sont non seulement abstenus de le faire, mais se sont, au contraire, évertués à cultiver le mythe de la mission civilisatrice que fut l'expédition de 1830.
Cette ligne de conduite se retrouve dans le rapport qui s'est fait fort d'éviter d'heurter de front des perceptions avérées, impréparées et/ou opposées à la déconstruction d'un schéma de pensée bâti sur les fausses vertus civilisationnelle de la colonisation.
Minimaliste à souhait et se restreignant au politiquement acceptable, le rapport sur la question mémorielle opère cependant quelques timides percées qui réorientent positivement le traitement de ce dossier.
On peut imputer cette timidité dans un pays, où les postures mémorielles ont été figées, à l'ultra-sensibilité d'un domaine où les avancées obéissent, en raison des résistances, au rythme du compte-goutte, où pour l'heure il ne peut être fait autrement que de s'en remettre à l'action érosive du temps.
Cette pusillanimité sert de paravent au report de l'inéluctable mea culpa aux calendes grecques. Le rapport élaboré par le professeur Benjamin Stora concerne principalement le gouvernement de son pays. Le but est d'enclencher le chemin de la réconciliation avec une vérité historique, jusque-là fuyante, dans une démarche visant à solder le passé colonial de la France en Algérie.
Concernant les aspects mémoriels relatifs aux préoccupations algériennes, les pistes proposées dans une approche concrète et médiane paraissent exploitables, pour certaines d'entre elles, dont le problème des archives et celui du patrimoine dans sa totalité, dans le but de parvenir à leur restitution de droit à l'État algérien qui en est le légitime propriétaire.
Cela étant, et au vu des profondes divergences qui existent entre la France et l'Algérie sur le plan de la géostratégie sous-régionale et au regard du lourd déséquilibre des échanges économiques, rien n'est moins que l'atténuation des antagonismes mémoriels puisse contribuer effectivement à booster les liens bilatéraux.
L'angle d'approche qui consiste à faire de l'aplanissement des récurrentes tensions qui caractérise le climat relationnel, marqué depuis toujours par le tracé sinusoïdal de leur instabilité chronique, ne présente pas de garantie de succès certain, tant que la relation entre les deux pays n'aura pas été délestée de cette tendance à ne pas vouloir remarquer que l'Algérie est indépendante depuis plus d'un demi-siècle. L'amélioration du climat politique entre les deux États est subordonnée à un effort de convergence de leurs intérêts géostratégiques et économiques.
Quant à la réconciliation des mémoires entre des générations nouvelles et futures qui n'ont pas – et n'auront pas – vécu la période coloniale, elle implique des mesures audacieuses visant à combattre l'imbrication des spirales anti-algériennes en France et anti-françaises en Algérie.
La prise en charge de la question mémorielle et de son racisme par des dispositifs juridiques sévères, à l'image des lois antisémites, serait un pas dans cette direction.
La politique d'apaisement se devra cependant de ne pas faire l'économie de pousser plus loin. La libre circulation des personnes à travers la révision de la politique des visas donnerait de la qualité à la décrispation et au rapprochement des peuples, si bien entendu tel est l'objectif. Au-delà de leur portée symbolique, les excuses officielles à elles seules ne règlent rien. 
Elles sont plutôt une opportunité politique pour l'État français de s'auto-décharger du poids des méfaits et des atrocités de son histoire coloniale. Et partant, de s'auto-amnistier du génocide algérien que le rapport franco-français sur la question mémorielle et le modelage de l'inconscient collectif français passent en pertes et profits. La France est libre de choisir les pans de mémoires et l'histoire qui l'arrangent. Il est par contre du devoir et de la responsabilité de l'État algérien d'œuvrer pour que le génocide commis par l'armée coloniale soit, afin que nul n'oublie, partie intégrante de la mémoire nationale et de l'histoire de notre pays.

 

 

 

 

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