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Le cartable de Pavlov

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AHMED TESSA (*) Publié 03 Octobre 2021 à 10:43

Par : Ahmed Tessa
Pédagogue

Le poids et le contenu du cartable de l’élève sont l’un des révélateurs de la nature d’un système scolaire. S’il est trop lourd pour l’enfant – avec les conséquences sur sa santé –, c’est que son contenu se décline en un nombre exagéré de manuels et de livres.“

Nadia est une jeune cadre universitaire. Son fils Aghilès est en 1re année primaire. Chaque matin en l’emmenant à l’école, la jeune dame verse une larme. Elle souffre de voir Aghilès endurer la corvée insupportable du lourd cartable à traîner, ne pouvant le soulever. Oui ! C’est là  la vérité amère qui terrorise l’esprit des parents, depuis le lancement de la Réforme en 2002-2003 : l’école fait “suer le burnous” à nos enfants. Les transformer en forçats du “savoir frelaté” via des programmes et des manuels obèses. Questionnée sur les raisons de ses larmes matinales, Nadia répond : “De toute ma scolarité dans le primaire, je n’ai jamais eu à soulever un tel poids. Pire, le contenu des livres de 1re AP et même des autres niveaux du primaire sont inaccessibles pour nos enfants.” Et de continuer dépitée et dans une colère mal retenue : “Personnellement, ce n’est qu’au collège, voire au lycée, que j’ai découvert certains éléments du contenu de ces livres (d’arabe, d’histoire, de maths ou de tarbiya madania ou islamia).” Vérification faite, nous avons constaté que les leçons à mémoriser (et non à assimiler et comprendre) sont trop longues. Rien que pour les élèves de 1re et de 2re AP, le niveau lexical et grammatical des livres est inadapté, y compris pour des enfants de 5e AP ou de début de collège. À travers ces livres se dessine la véritable incompétence des concepteurs de programmes et des auteurs de ces manuels. À moins qu’ils n’aient agi en connaissance de cause : ce qui est tout aussi grave. De l’évaluation sommaire de ces contenus, on s’aperçoit que les auteurs ignorent le profil psychologique de la tranche d’âge auquel ces livres sont destinés. 

Ce qu’il faut craindre réside aussi dans cette idée de numériser les manuels, afin d’alléger le cartable, voire de le supprimer. Certes, c’est un objectif noble, mais irréalisable en l’état actuel des choses. Au-delà de la difficulté financière pour équiper des dizaines de milliers de classes et de 10 millions d’élèves, il y a le danger du transvasement/transposition des manuels actuels vers l’écran du tableau numérique. Un transvasement tel quel auquel nous avons assisté lors de la diffusion TV des cours lors de la crise sanitaire. Cela revient à exporter les défauts des manuels vers l’ordinateur. De nos jours, dans les pays développés, la scénarisation numérique de contenus pédagogiques est devenue une nouvelle spécialité. Elle exige une mentalité adaptée de la part de l’enseignant. Et surtout le besoin d’une formation de pointe. 

En réalité, le poids et le contenu du cartable de l’élève sont l’un des révélateurs de la nature d’un système scolaire. S’il est trop lourd pour l’enfant – avec les conséquences sur sa santé –, c’est que son contenu se décline en un nombre exagéré de manuels et de livres. En toute logique, pour alléger le poids du cartable, il faut  DIMINUER le nombre de livres et de cahiers, et donc des matières à enseigner. Prenons l’exemple de l’histoire-géographie introduite en 3e AP en 2004. Une hérésie pédagogique sachant que les enfants de cet âge ne possèdent pas la maturité mentale à même de les faire accéder au temps historique. La claire conscience du temps historique n’est acquise que vers l’âge de 10, voire 12 ans. Pour d’autres matières, telles que l’éducation civique et l’éducation islamique, Il ne s’agira pas de les supprimer. Elles pourraient être intégrées dans le livre d’arabe en veillant à l’harmonie des leçons. Ainsi, on fera l’économie de 3 à 4 livres et d’autant de cahiers. Cela est possible, même si la Réforme a décrété que nos programmes doivent être obèses. Des programmes et des manuels conçus selon le paradigme quantitatif de “beaucoup de connaissances” à mémoriser. D’où la démultiplication et le cloisonnement des disciplines (matières) à enseigner et, par conséquent, des livres et des cahiers. 

Ces programmes sont gérés selon une méthode d’enseignement, dite pavlovienne, où l’intelligence de l’enfant est mise en veilleuse. Au début de la réforme de 2002, une solution avait été envisagée : doter chaque classe en casiers individuels. Ce qui permettrait à l’écolier du primaire (mais aussi du collège) de laisser en classe les livres et les cahiers dont il n’aura pas besoin à la maison. Or, cette façon d’agir (des casiers individuels) est un pis-aller, avec un effet placebo. Cette solution de facilité a été retenue, mais pas généralisée au début de la pseudo-réforme. Dans le contexte algérien, on ne doit pas parler d’alléger les programmes. 

Dans un système scolaire dont les bases sont obsolètes et archaïques, la seule solution est d’appliquer les normes universelles en matière d’organisation : respecter la psychologie de l’enfant (son rythme biologique, ses centres d’intérêt, son niveau de maturité mentale, ses besoins vitaux). Bref, on a besoin de programmes qui mettent en harmonie la psychologie de l’enfant algérien du XXIe siècle et les exigences d’une éducation durable qui développe en même temps son intelligence générale et son intelligence émotionnelle. Et ainsi, seront réhabilitées, dès le primaire, des disciplines incontournables dans le développement de la personnalité de l’enfant – à savoir l’EPS et l’éducation artistique. Des disciplines minorisées de nos jours – quand elles existent réellement. Avec cette stratégie et ce changement de paradigme pédagogique, l’enfant aura du plaisir à aller à l’école sans avoir peur de contracter la scoliose... tant physique que mentale. Pour atteindre ce noble idéal, l’Algérie doit REFONDER son système scolaire. Et en urgence !
Revenons aux programmes et manuels conçus selon le modèle pavlovien. Leurs concepteurs et auteurs méconnaissent la pédagogie spécifique au cycle primaire. Ils n’ont qu’une seule obsession : respecter le protocole pédagogique dicté par la réforme de 2002.

À savoir, gaver le cerveau – plus exactement la mémoire – des écoliers. Les transformer en cobayes de Pavlov et… en perroquets. Ainsi façonnés, ces écoliers (et lycéens) arriveront à l’université ou dans le monde du travail avec le profil souhaité : dociles d’esprit, coureurs de bonnes notes chiffrées et privés d’esprit critique ou de sens d’initiative. Au bout du bout de la boucle, nous assistons à la pauvreté intellectuelle au sein de nos institutions et à la désertification de la scène culturelle. Point de consommateurs de produits culturels de qualité – pas seulement par faute de créateurs ou d’espace dédiés ! Rares sont les nouvelles étoiles dans le monde du théâtre, de la musique, de la littérature, du journalisme, de la danse... Ainsi a fonctionné, dès l’école et jusqu’à l’université, la “machine castratrice” qui verrouille l’esprit et tue dans l’œuf l’éclosion/développement des dons et potentialités de nos jeunes. 
Et pourtant, ils n’ont rien à envier à leurs pairs des pays développés, si on les prenait en charge selon les normes universelles dictées par la psychologie et la pédagogie. En parlant de psychologie, nous avons assisté, effarés, à des scènes où des doctorants de l’université algérienne disent ne pas connaître tel ou tel psychologue d’envergure mondiale et ignorer des rudiments de la psychopédagogie. Et de nous avouer de l’indigence de la documentation universitaire qui est mal traduite du français vers l’arabe – quand cette traduction existe. La documentation qui existe en arabe est égyptienne et traduite de l’anglais. Selon ces témoignages, il s’agirait de textes qui sont dépassés par les progrès de la psychologie.

Avec ces programmes pavloviens, nos enfants deviendront des citoyens passifs qui consommeront la culture indigeste sans broncher.  
C’est là le sort réservé aux élèves de l’École publique, celle du bon peuple. Les établissements scolaires privés, les classes spécifiques du lycée Bouamama ou les établissements relevant d’ambassades étrangères (école, collège et lycée) sont la chasse gardée des enfants de gens aisés socialement – y compris ceux, parrains de ce choix idéologico-pédagogique du “gavage de tête”. En décrétant l’école espace de mémorisation de leçons et d’automatismes (en maths, physiques) – et non pas d’épanouissement des fonctions intellectuelles supérieures (compréhension, analyse, synthèse, créativité, esprit critique) –, nous avons ouvert la boîte de Pandore de la mafia des neurones. La voie royale est tracée pour des charlatans sans foi ni loi et que rien ne fait reculer – pas même la Loi.

 

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