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Le FMI aura-t-il raison ?

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Rachid SEKAK Publié 25 Janvier 2022 à 10:13

Par : Rachid SEKAK
Économiste et ancien cadre supérieur du secteur bancaire

Apporter la contradiction sur la base de données chiffrées locales, avec les rapports des institutions de Bretton Woods, est donc difficile. Il est malheureux que les analystes et observateurs nationaux de notre économie soient obligés de commenter les seuls rapports économiques complets existants : ceux des organisations internationales. Un contexte international peu favorable pour le pays 

L’économie mondiale reste suspendue aux évolutions sanitaires. Notons néanmoins que le choc, pour l’économie mondiale, a été moins grave que l’impact initial ne l’avait laissé craindre. Le Fonds monétaire international a revu à la baisse à 3,12% la contraction de l’économie mondiale en 2020, contre une prévision initiale de 4,90%.
Le choc a été violent mais les interventions étatiques et les soutiens publics ont été rapides et massifs au double plan budgétaire et monétaire. Elles ont permis d’atténuer le choc.
Au plan budgétaire, des plans d’aide vigoureux ont été déployés en direction des entreprises et des ménages. Une “certaine orthodoxie” a été remise en cause. Il fallait intervenir “quoi qu’il en coûte”.
Conséquences de ces interventions massives : une explosion des déficits publics et une forte hausse des dettes publiques.
Au plan monétaire, des politiques monétaires non conventionnelles ont été déployées. On a fourni, un peu partout, toute la liquidité nécessaire pour empêcher la destruction des appareils de production. On partait d’un principe assez simple : l’impossibilité de relancer la machine avec des cadavres. Il fallait sauver les entreprises. Les volets essentiels de ces politiques monétaires accommodantes étaient le rachat de titres publics par les banques centrales et le maintien de taux d’intérêt proches de zéro.
Mais comme après un tremblement de terre, l’économie mondiale subit des répliques, un réajustement des plaques tectoniques, pour arriver à stabiliser et à réorganiser les systèmes. A cet égard, on a pu observer des dérèglements dans les chaînes de valeur mondiales (chaînes d’approvisionnement) se traduisant par des pénuries.
En Algérie, la Covid-19 a aggravé les difficultés et les vulnérabilités antérieures à la pandémie et renforcé la démonstration de la nécessité de profondes réformes structurelles pour modifier un mode de fonctionnement obsolète de l’économie.
En 2019, la croissance de notre économie était déjà faible, à 0,80%. Nos déficits budgétaire et de balance des paiements étaient déjà élevés et le recours au financement non conventionnel bien avancé, avec un encours de plus de 8 000 milliards de dinars. Cela découlait de la crise économique qui sévissait depuis 2014, de la situation politique bien spécifique liée aux événements de 2019 et surtout de la relative “inaction” des gouvernements successifs sur la période 2014 -2018. Cette “inaction” complique largement l’équation actuelle.

Les données qui figurent au tableau 1 permettent de cerner quatre éléments importants :
- Le déficit budgétaire est très élevé depuis 2014.
- Le déficit du compte courant de la balance des paiements est lourdement déficitaire depuis 2014.
- Un dépérissement continu des réserves de change est observé depuis 2014.
- Un épuisement total de l’épargne budgétaire, qui avait été constitué avant, jusqu’en 2013, au sein du FFR, soit 5 563 milliards de dinars.
Une telle situation pré-Covid-19 a largement réduit les marges de manœuvre de nos autorités dans la prise en charge des conséquences de la pandémie qui ont été gérées a minima.

La situation économique en 2021
Notre pays est à la recherche d’un nécessaire nouveau régime de croissance et le contexte international décrit plus haut complique l’exercice car il ne nous est pas favorable. Nous subissons et allons subir les contrecoups des réorganisations mondiales en cours, notamment la forte poussée des prix internationaux des matières premières, des produits alimentaires et du coût du fret, qui vont considérablement alourdir le coût de nos importations.
A contrario, sur le volet exportations, nos marges de manœuvre seront plus réduites pour tirer plein avantage de la hausse des cours des hydrocarbures (pétrole et gaz). Notre offre est largement contrainte et certains volets contractuels, liés à nos exportations de gaz, ne sont pas actuellement favorables. Nous manquons d’agilité. Ceci sans compter l’impact de la croissance de la consommation intérieure d’énergie et des faibles niveaux d’investissement dans le domaine des hydrocarbures de ces dernières années.
En 2021, une reprise modérée de la croissance a été observée à 4,10% (Banque mondiale) tirée par le secteur des hydrocarbures, aidée par une hausse combinée des cours des hydrocarbures et des quantités de gaz exportées.
Le déficit budgétaire s’est contracté, mais est resté élevé à environ 10% du PIB, malgré une hausse sensible des recettes fiscales tirées des hydrocarbures. Cela s’est traduit par une hausse sensible de la dette publique interne, à environ 60% du PIB. Le déficit courant de la balance des paiements est en baisse sensible à environ 5% du PIB par rapport aux 12,70% observés en 2020. Le niveau des réserves de change s’est stabilisé à environ 43 milliards de dollars et reste néanmoins à un niveau appréciable. Cet élément favorable découle notamment d’un contrôle de “nature administrative” des importations ayant conduit à une hausse modérée de ces dernières, largement inférieure à celle observée pour les revenus d’exportations.
Le développement le plus significatif a résidé dans une accélération des pressions inflationnistes. 

La Banque d’Algérie a signalé une inflation à 9,2% en octobre 2021 et le FMI prévoit une inflation de 6,5% pour la globalité de l’année 2021. Cette inflation est largement une inflation par les coûts et importée. 
La reprise observée en 2021 est fragile car elle découle, pour une large part, d’un facteur exogène : les évolutions favorables du marché des hydrocarbures. 

Quelles perspectives pour 2022 et au-delà ?
Pour notre pays, les enjeux et les challenges restent les mêmes qu’avant la pandémie. Le dilemme est compliqué à résoudre : comment relancer la croissance, préserver les équilibres sociaux, créer des emplois et, en même temps, réduire le déficit budgétaire et le déficit de la balance des paiements ?
Les organisations internationales (FMI et Banque mondiale) considèrent que l’”outlook” de notre économie reste incertain. La reprise économique observée en 2021 est jugée fragile. De concert, le FMI et la Banque mondiale prévoient un tassement progressif de notre croissance à partir de 2022, notamment à cause de la baisse qu’elles anticipent de la production du secteur des hydrocarbures et des évolutions au niveau mondial en matière de modèles de consommation énergétique qui influenceront inéluctablement à la baisse les cours.
Elles anticipent le maintien d’une inflation forte souvent à deux chiffres. 
Ces deux institutions remettent souvent implicitement en cause le relatif optimisme de nos autorités en matière de croissance et de résorption de nos déséquilibres macroéconomiques.
Pour comprendre cela, il suffit de lire attentivement le dernier rapport (article IV) publié le 19 novembre 2021 qui contient les remarques de nos autorités suite aux constats du FMI. Un beau et fécond dialogue à distance, que chacun de nos compatriotes devrait lire.
Le tableau 2 retrace les prévisions du FMI pour nos principaux indicateurs économiques. Nous aurions aimé commenter ces prévisions en comparant ces données à celles publiées par nos autorités. Malheureusement, ces données gouvernementales ne sont pas publiques... Et ce, malgré l’insistance répétée de plusieurs organisations internationales, associations professionnelles et patronales, think-tank et experts nationaux, qui ont mis en exergue l’importance vitale de la disponibilité de ces données pour envisager les scénarios de sortie de crise.
Les rapports du Cnes et du ministère du Plan restent de lointains souvenirs !
Notre capacité prospective a beaucoup diminué ces 20 dernières années : carpe diem était la règle.
Le programme affiché par notre gouvernement est ambitieux, mais il ne contient pas de données chiffrées. Aucun calendrier n’est fixé quant aux réformes structurelles, dont les coûts et les modes de financement sont aussi inconnus. L’articulation entre les différentes réformes prévues est aussi inconnue.
Apporter la contradiction sur la base de données chiffrées locales, avec les rapports des institutions de Bretton Woods, est donc difficile. Il est malheureux que les analystes et observateurs nationaux de notre économie soient obligés de commenter les seuls rapports économiques complets existants : ceux des organisations internationales.

Les grandes tendances attendues du FMI
Les grandes tendances pour les six prochaines années qui apparaissent dans le dernier rapport dit “article IV” du FMI du 19 novembre 2021 peuvent être résumées de la manière suivante :
- Un tassement progressif de la croissance du fait d’un modèle qui reste trop dépendant du secteur des hydrocarbures mais aussi “hyper-bureaucratisé”.
- Un solde budgétaire qui reste fortement déficitaire et qui alimente une hausse sensible et rapide de la dette publique interne et des incertitudes fortes quant à son mode de financement.
- Un déficit courant de la balance des paiements qui reste élevé et qui d’induire un amenuisement progressif des réserves de change. Le FMI signale aussi que les mesures administratives de compression des importations risquent de conduire à de fortes distorsions (pénuries et rentes de situation) et à pénaliser la croissance.
- Un risque inflationniste avéré, notamment celui d’une inflation importée liée à la hausse des cours mondiaux notamment des céréales, des produits laitiers et de beaucoup d’intrants industriels, renforcé par un ajustement du taux de change.
Les prophéties du FMI sont inquiétantes. Grosso modo, “rien n’aurait changé” ? Espérons qu’elles ne se réaliseront pas car elles induiraient de très fortes tensions sociales. Mais, pour cela, il nous faudra agir vite, dans un contexte compliqué et avec des marges de manœuvre de plus en plus réduites.

Les recommandations du FMI
L’ordonnance du FMI est tout à fait classique.
- La nécessité d’un ajustement budgétaire, notamment en protégeant les populations vulnérables de manière différente et plus équitable (meilleur ciblage des subventions) et grâce à une meilleure collecte des impôts et à une intégration progressif du secteur informel. 
- Une meilleure collecte de l’impôt ne signifiant pas un alourdissement de l’impôt pour les citoyens.
- Une réduction du financement monétaire, direct ou indirect, du déficit budgétaire. - Une accélération du rythme des réformes structurelles, sur la base d’un calendrier précis, en vue de construire une croissance durable tiré par le secteur privé. 
- L’amélioration/modification du pilotage et du management des entreprises publiques lourdement déficitaires et dont les dettes de certaines sont abyssales et garanties par le Trésor. Ce qui, implicitement, alourdit la dette publique interne.
- Un recours à l’endettement extérieur pour financer les projets jugés prioritaires permettant ainsi de ralentir la baisse des réserves de change. 
- Ainsi que le classique “dogme” de la gestion “plus flexible” du taux de change pour améliorer le compte courant de la balance des paiements.

Que faire, ou l’importance du consensus social
Il y a malgré tout un fort degré de pertinence dans les constats et les recommandations du FMI, qui devront être pris en charge de manière courageuse, lucide, rationnelle et dans la concertation avec l’ensemble des parties. Les faits sont là. Le diagnostic est largement partagé. Les défis économiques pour notre pays sont connus. Bien évidement, des divergences peuvent exister avec l’approche du FMI quant aux modes de prise en charge des constats et la marche vers les objectifs. La morosité ambiante, qui s’installe même chez les plus optimistes d’entre nous, est inquiétante.
La crise économique et la pandémie ont détruit beaucoup d’emplois et beaucoup d’entreprises ont disparu ou connaissent de grosses difficultés. De fortes tensions sociales émergent.
Il serait souhaitable de bousculer le mode de gouvernance économique car les recettes du passé ne fonctionneront pas. Un changement profond est indispensable et non pas des aménagements de décrets ou des adaptations de procédures.
Dans ce cadre, Il m’apparaît important de s’atteler à reconstruire la confiance et à faire adhérer par la construction d’un consensus et d’une vision partagée. Dans une telle conjoncture, un appel à l’effort partagé peut être entendu et aider à bousculer les “lassitudes acquises”.
La marginalisation des compétences est une hérésie qui coûte cher au pays. Le choix des hommes et des femmes en fonction de leurs compétences avérées et de leurs expériences de résistance positive est déterminant. Hommes et femmes de réflexion, ayant le goût et la vocation de l’action, le sens du travail d’équipe et de la pluridisciplinarité et en mesure d’adhérer et de suivre une feuille de route sans concession pour eux-mêmes.
Construisons ensemble et déployons un calendrier de vraies réformes structurelles, cohérentes et simultanées. L’économie est une chose très sérieuse et de mauvaises décisions peuvent avoir rapidement des conséquences politiques et sociales très graves.

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