Contribution

Le poids de la nostalgie coloniale

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Mohamed MAIZ * Publié 06 Novembre 2021 à 18:49

Par : Dr Mohamed MAIZ
Universitaire

Si la décision de réduire le nombre de visas prise par les autorités françaises est, effectivement, un acte souverain, son unilatéralité et la tapageuse publicité qui en a été faite ne sont pas des sorties gratuites.

On se demande ce qui a bien pu se passer pour que le président Macron se départisse, subitement, de la modération qui avait, jusque-là, caractérisé son propos dans ses relations avec les autorités algériennes. Que les interfaces algériennes n'aient pas réagi, selon Paris, avec la célérité souhaitée à la demande de rapatriement des personnes expulsables, est un litige qui aurait dû être traité avec la discrétion requise en pareil cas. Hors de toute coercition et dans le cadre du dialogue et des usages diplomatiques. 
Si la décision de réduction du nombre de visas est, effectivement, un acte souverain, son unilatéralité et la tapageuse publicité qui en a été faite ne se sont pas avérés des sorties gratuites. Le commentaire présidentiel qui a suivi n'a pas manqué, en effet, de sortir du facteur déclenchant des visas pour aborder des questions qui révèlent un différend politique. À propos du parallèle établi entre les atrocités de la France, et, ceux de la Sublime Porte, la meilleure réponse serait de ne pas s'engouffrer dans la superficialité de l'amalgame entre les monstruosités génocidaires, ethnoculturelles et les tentatives d'effacement identitaire de la colonisation française et les méfaits, d'un autre ordre mais tout aussi condamnables, de la Régence d'Alger. 
Il est évident que la charge est un geste du plat du pied, en période préélectorale, en direction du racisme ambiant. Et, au passage, une pointe venimeuse adressée à son homologue — et non moins adversaire — turc. Niant, devant un panel de jeunes étudiants qui ne connaissent de l’histoire de France que le côté civilisationnel et humanitaire, Macron fait abstraction du côté génocidaire de la France coloniale. 
La terrible pacification, par les exactions, qui a suivi l'expédition coloniale de 1830, n'a pas fait dans le “détail de l'histoire” comme dirait Le Pen : tueries de masse, mutilations comme trophées de guerre, enfumades et emmurades de tribus entières, razzias, destruction de récoltes, déportations, dépossessions foncières...  Les tortionnaires de la Bataille d'Alger ont eu, sous la responsabilité de leur État, pour hauts faits d'armes d'avoir institutionnalisé la pratique odieuse de la torture sur des combattants de la liberté. Or la voilà rattrapée par son histoire qui présente, quelques deux siècles plus tard, à une France, médusée jusque-là, sûre de la solidité, de la cohérence et de la cohésion de sa construction sociétale, la facture de ses errements coloniaux. 
Colonie de peuplement, l'Algérie a subi la pire politique de déculturation et de dépersonnalisation qui soit : démolition des mosquées et prolifération d'églises ; falsification anthropologique affublant, dès l'école, les Algériens d’ancêtres gaulois ; propagation de la culture du colonisateur au détriment des fondamentaux identitaires locaux ; profanation de cimetières ; prosélytisme des missionnaires ; apostasies forcées. Ce carnage à grande échelle répondait au souci d'une phagocytose identitaire du peuple algérien, colonisé. 
Il ne faut surtout pas répondre non plus aux tendancieuses inexactitudes socio-historiques, sous forme de pernicieux auto-questionnement, sur l'(in)existence d'une nation algérienne antérieure à l'agression de 1830. D'abord parce qu'il n’y a aucune justification ni explication à donner. Ensuite parce qu'il est dans son droit de faire les yeux doux à la montée de la haine raciale dans son pays. Même si l'on sait qu'au moment du vote, les électeurs préfèreront l'original à la copie. Enfin, et surtout, il faut le laisser se fracasser sur le mur de la vérité historique d'une Numidie, territoire, État et civilisation, existant déjà au IIe siècle avant J.-C., en tant que puissance régionale alliée de Rome. 
La Gaule, embryonnaire, baignait alors dans la préhistoire socioculturelle. Ou encore celle du roi numide Jugurtha, mort dans les geôles romaines après une résistance héroïque, et ce, au moment ou les ancêtres gaulois habitaient des huttes en bois.
En faisant mine de s'interroger sur l'histoire de la nation algérienne, l'intention sous-jacente et toute politique est de remettre sur le tapis la grotesque question de l'action civilisatrice de la colonisation française, qualifiée, auparavant, de crime contre l'humanité. Au vu de cette valse à mille temps et de ces revirements, force est de noter que l'État français ne sait plus sur quel pied danser, pris comme il est sous le poids du legs psychopathologique du traumatisme des atrocités de l'ère coloniale et du paradis perdu.
Il ne faut surtout pas répondre à Macron, au risque de le désengluer de ses errements mémoriels. Le concept de légitimité mémorielle dont se sont prévalus les putschistes en 1962 puis en 1965, est un vieux souvenir qui a vécu le temps de ses concepteurs. Sur ce chapitre, le dérapage calculé s'écrase sur la sacralisation de la fidélité mémorielle à la révolution de Novembre et au sacrifice des martyrs. Et si entretenir la mémoire de la Lutte de libération est transformée, par l'ex-colonisateur, pour les besoins de sa cause, en rente ; peuple et système sont, en ce domaine, en parfaite symbiose.
Il ne faut pas, surtout, répondre au locataire de l'Élysée quand il est pris dans le filet de ses contradictions. notamment quand il s'en prend au "système politico-militaire", alors qu'il avait parié sur le 5e mandat puis sur la perpétuation de ce même système qui, maintenant, n'a plus grâce à ses yeux parce que "très dur".
Laissons-le se dépatouiller avec sa versatilité. Cela étant, pour notre gouverne, si un pays étranger, ancien colonisateur, s'autorise à porter des jugements dévalorisants, la faute incombe, en premier lieu, au système qui préside aux destinées nationales et dont les lourdes tares fragilisent le pays à l'international et l'exposent à toutes les indignités.
L'image que donne le système est celle d'une parodie de démocratie. Un tableau désolant, fait d'amoralité, de liberticide et de fraude électorale, offert sur un plateau à ceux qui n'attendent que cette occasion pour porter atteinte, publiquement, à la dignité nationale.
La transition démocratique, refusée par le système alors qu'elle était réclamée par le peuple, uni dans le mouvement du 19-Février, a été une opportunité ratée pour damer le pion aux donneurs de leçons.
Il ne faut surtout pas lui répondre, sachant que la France a toujours fait bon ménage avec ce système. Et que l'acerbe volte-face contre le régime dépasse le cadre, étroit, de la réduction des visas prise comme sanction pour "ennuyer" des dirigeants, amoureux de la destination France, malgré les vexations et humiliations aux postes-frontières. Et, qui apparemment, ne fileraient plus droit depuis la fin de l'ère Bouteflika, plus avenantes à l'endroit des intérêts géostratégiques et économiques français. Faut-il croire que Paris s'accommode mal, paradoxalement, de l'émergence régionale d'un pays qui se veut  "exportateur de paix" ? Considère-ton, en métropole, que la paix et la sécurité que s'évertue à propager la diplomatie algérienne au Maghreb et en direction de sa profondeur africaine, sont nuisibles aux intérêts français ?
Les changements intervenus au plus haut niveau de l'État, dans la zone d'influence française, correspondent à des sursauts nationalistes de peuples excédés par l'hégémonisme prédateur de la France. Ces chamboulements, déterminants, sont l'expression de la résurgence de sentiments populaires anticoloniaux, focalisés sur la présence française. En tablant sur la félonie de dirigeants francophiles, renégats et éphémères, et, sur la non-décolonisation de la nature de ses relations, elle ne peut s'en prendre qu'à elle-même et non au système "politico-militaire" algérien que le peuple rejette. Mais c'est là une affaire algéro-algérienne. Strictement. La manipulation à des fins politiciennes, destinée à la consommation intérieure, d'éléments historiques, civilisationnels et institutionnels constitutifs de la nation algérienne, et leur restitution à travers le prisme déformant de l'alignement sur l'extrême-droite et des déconvenues géostratégiques et économiques, a réactivé de façon durable la précarité de la sérénité “sinusoïdale” des relations bilatérales.
La nécessaire décolonisation de l'état d'esprit qui sous-tend la nature de ces relations présuppose une réconciliation franco-française avec une histoire coloniale à assumer.
C'est le préalable pour extraire du ventre mou d'une France, malade de la nostalgie de l'ère coloniale, le virus de la haine, de la xénophobie, et du racisme. Une gangrène sociopolitique contagieuse qui, par son ampleur, en ces temps de précampagne présidentielle, rampante et encouragée, explique l'adhésion de politiques français à la sémantique et aux thèses racistes. Quitte à sombrer dans des manquements gravement attentatoires à l'histoire et aux institutions d'un pays souverain.
Née des dégâts socioéconomiques de la mondialisation et, conséquemment, des replis égocentriques, la montée politique du chauvinisme populiste, en France, est matérialisée par la propagation des thèmes et de la vulgate extrémistes axés sur la culpabilisation de l'émigration et du multiculturalisme, et la mise en œuvre du projet fasciste de purification raciale, ethnique et religieuse. Le chantage de la politique générale des visas et les décisions unilatérales d'expulsion sont érigés en moyens de pression, répondant à la préoccupation politicienne d'adhérer à ce créneau porteur, et de le caresser dans le sens du poil, à défaut de pouvoir s'en passer.
Imprégné de la nostalgie de l'ère coloniale, ce courant, créé et animé par les déçus de l'Algérie française, constitue l'obstacle majeur à la réconciliation de l'Etat et du peuple français avec leur lourd passif colonial. Et, partant, à la décolonisation de la nature de leurs relations bilatérales.

 

 

 

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