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Le suivi médical des sportifs

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Rachid HANIFI Publié 30 Juin 2021 à 21:57

Par : RACHID HANIFI
EX-PROFESSEUR, CHEF DE SERVICE DE MÉDECINE DU SPORT À L’EHS Dr MAOUCHE (EX-CNMS) EX-PRÉSIDENT DU COA

 

 

“ L’athlète est avant tout  un  être humain, il doit  bénéficier de  tous  les moyens nécessaires à la protection de sa santé et de sa vie. La pratique sportive ne doit pas constituer un danger pour lui. La médecine du sport peut contribuer à exploiter sainement ses potentialités physiques pour une performance optimale à moindre risque.”

Une jeune nageuse de 17 ans est décédée, il y a quelques jours, suite à un malaise survenu au cours de sa séance sportive. Selon les informations recueillies auprès de la presse, la cause du malaise serait d’origine cardiaque. Les questions qui viennent à l’esprit dans ce cas sont : quelle serait la malformation cardiaque qui aurait causé le décès de cette jeune athlète ? Est-ce que Manel Haboub, nageuse pensionnaire d’un club (USMA), avait un dossier médical  avec un contrôle spécialisé ? La jeune athlète avait-elle des antécédents médicaux connus et signalés lors de son examen médical d’aptitude à la pratique sportive de compétition ? L’antenne médicale du lieu d’entraînement est-elle équipée de moyens humains et matériels pour intervenir sur les cas d’urgence ?

L’accident survenu doit interpeller les responsables pour revoir sérieusement la politique de prise en charge médicale de nos pratiquants, aussi bien au niveau de leurs clubs respectifs que sur les sites d’entraînement et de compétition. La médecine du sport qui avait bénéficié d’une stratégie de développement nationale réfléchie et bien structurée dès la fin des années 1970, grâce à l’engagement des dirigeants de l’époque au niveau du secteur de la jeunesse et des sports, a malheureusement connu un recul inquiétant, après avoir fait de notre pays l’une des nations les plus avancées dans ce domaine pendant une vingtaine d’années. En effet, le Centre national de médecine du sport (CNMS), créé en 1971 grâce au dynamisme du défunt Pr Larbi Mekhalfa et des responsables politiques en charge du secteur du sport, avait projeté une expansion de la couverture médicale, à travers des structures de démembrement spécialisées, au niveau régional et local. Une clinique médico-sportive verra ainsi le jour, avec quelques années de retard (elle était programmée pour les Jeux méditerranéens d’Alger 1975), au début des années 1980, dans la dynamique d’un complexe des sciences du sport, comprenant le nouveau CNMS (la clinique médico-sportive), l’ISTS (Institut des sciences et de la technologie du sport) et venant en complément du complexe sportif du 5-Juillet (actuel complexe Mohamed-Boudiaf). 
Cette entité, unique sur notre continent, avait suscité beaucoup d’intérêt auprès des nations africaines et même européennes (l’ex-RDA notamment), qui envoyaient leurs athlètes pour des stages de préparation, et leurs étudiants pour une formation en sciences du sport. 
La médecine du sport connaîtra, début 80, une dimension unique avec son statut de pleine spécialité grâce à l’engagement de son principal initiateur (le Pr Mekhalfa) et du ministre de l’Enseignement supérieur de l’époque (le Pr Abdelhak Bererhi), deux médecins anciennement footballeurs de compétition. Les premières promotions de cette nouvelle spécialité seront formées avec le concours de spécialistes nationaux (cardiologues, traumatologues, physiologistes, épidémiologistes et autres) et étrangers (cubains, allemands de l’Est, polonais, russes), mettant l’Algérie au devant de la scène mondiale en matière de médecine et sciences du sport. Chaque fédération sportive nationale disposait d’une commission médicale spécialisée, placée sous le contrôle du CNMS. Tous les pratiquants compétiteurs avaient leurs dossiers au niveau de cet établissement, avec les données de l’examen médical détaillé et de l’évaluation de leurs capacités fonctionnelles. L’examen périodique était obligatoire, permettant à la fois la protection de la santé de l’athlète et la contribution à l’adaptation des programmes d’entraînement. Le staff médical qui accompagnait les équipes, lors des séances d’entraînement et de compétition, avait pour missions : 
• La participation aux choix des exercices d’échauffement, dans un but de prévention des blessures musculaires.
• La programmation de tests d’évaluation de terrain, surtout pour la mesure de la capacité de récupération et la prévention du surentraînement.
• La surveillance des accidents de terrain, avec l’observation des mécanismes de l’accident et la maîtrise des premiers gestes de secours.
• L’établissement des menus alimentaires, adaptés aux exigences des séances d’entraînement et des compétitions.
Les informations recueillies par les staffs médicaux d’accompagnement étaient transmises au CNMS, pour les mentionner dans les dossiers des sportifs concernés. Afin d’harmoniser les protocoles médico-sportifs des équipes médicales en charge des clubs, et au regard de l’insuffisance de spécialistes en médecine du sport, des cycles de formation étaient programmés, dans le but de compléter les connaissances des praticiens généralistes, en matière de spécificité sportive. Les structures abritant les aires de pratique d’entraînement et de compétition étaient dotées de moyens d’intervention d’urgence ou, à défaut, d’une ambulance équipée à cet effet.
Le CNMS disposait de toutes les spécialités nécessaires aux besoins des sportifs de haut niveau : explorations physiologiques et biologiques, explorations cardiologiques, traumatologie sportive, rééducation fonctionnelle, stomatologie, imagerie médicale. Des protocoles d’accord avaient été engagés avec un certain nombre de pays africains, pour la prise en charge médicale de leurs sportifs. 
Le complexe sportif comprenant le stade olympique et ses annexes (terrain de compétition, terrains d’entraînement, hôtel-restaurant, centre médical), un institut de formation en sciences du sport (ISTS) et une clinique spécialisée (CNMS) qui rappelle le complexe Aspitar de Doha, que les qataris ont érigé bien plus tard, et au sein duquel exercent plusieurs médecins et kinésithérapeutes formés en Algérie. Cette entité sportive, grâce au dynamisme de ses dirigeants, est devenue une référence en matière de prise en charge médicale des sportifs, suscitant des conventions avec de nombreux pays, dont hélas, certaines Fédérations sportives algériennes qui ne trouvent plus les mêmes conditions de soins et de suivis spécialisés au niveau national. 

Pourquoi ce recul ? 
Il faut rappeler que le complexe sportif national a été érigé durant les années 1970, soit quelques années seulement après l’indépendance, par un État algérien ne disposant pas encore de gros moyens financiers. La détermination des dirigeants politiques de l’époque, relativement jeunes, mais matures et responsables, avait permis à notre pays d’engager des programmes de développement ambitieux dans tous les domaines. Le sport, qui constituait et l’est encore aujourd’hui une vitrine marquante de l’évolution d’une société, avait à cette époque bénéficié d’un intérêt particulier, marqué à la fois par un développement des infrastructures et une réforme qui allaient permettre à notre sport d’obtenir des résultats qui ont fait la fierté des Algériens, avec les performances de nos footballeurs (JM 1975 à Alger et 1979 à Split, Coupe du monde juniors à Tokyo 1979, Coupe du monde en Espagne 1982), de nos athlètes (Hassiba Boulmerka, Noureddine Morceli, Nouria Merah-Benida), de nos boxeurs (Hocine Soltani, Mustapha Moussa, Mohamed Zaoui). 
Tous ces athlètes avaient bénéficié du suivi médical en Algérie, avant d’aller, pour certains d’entre eux, à l’étranger pour parfaire leur préparation. La décision dommageable, prise à l’encontre du CNMS, vers la fin des années 1980, le rattachant au ministère de la Santé et l’ouvrant au public, d’une part, et la décennie noire que notre pays a vécue dans les années 1990, d’autre part, ont provoqué un net recul dans les performances du sport, en général, et de la médecine du sport, en particulier.

Le projet de développement de cette dernière au niveau national, avec des structures régionales et locales a été gelé pendant longtemps, mettant les spécialistes nouvellement formés en difficulté d’emplois. 

Cette situation a poussé nos jeunes médecins du sport à émigrer vers des pays demandeurs de ces compétences reconnues. C’est ainsi que de nombreux spécialistes formés au CNMS se retrouvent dans les pays du Golfe, en Arabie saoudite et en France. Le projet ambitieux d’une clinique olympique de référence complétant le grand complexe sportif a été repris par le Qatar, pour en faire une entité de préparation et de suivi médical des sportifs de statut international. 
Plusieurs de nos praticiens y exercent actuellement, témoignant de la reconnaissance de leur bonne formation et de leurs compétences, parmi lesquels, l’actuel médecin de l’équipe nationale de football, récupéré par le sélectionneur national, Djamel Belmadi. Le Pr Yahia Guidoum (Allah yerrahmou), lors de son court passage à la tête du MJS, avait tenté de relancer le projet du CNMS, l’ancien établissement spécialisé devenant un hôpital à prédominance cardio-vasculaire (EHS Dr Maouche), la médecine du sport étant limitée à un service que j’ai dirigé pendant plusieurs années, avant de partir à la retraite en 2015. Le ministre Guidoum m’avait chargé du nouveau projet de CNMS, situé à l’entrée de l’ENS/STS, avec l’intention de le doter de toutes les activités nécessaires à une prise en charge complète des sportifs (explorations physiologiques, biologiques, radiologiques, rééducation-réadaptation à l’effort, traumatologie du sport). 
Un laboratoire de contrôle anti-dopage était également prévu. Avec l’accord du ministre, nous avions programmé d’envoyer à l’étranger quelques spécialistes pour une formation complémentaire en traumatologie du sport (réparation par arthroscopie essentiellement), cardiologie du sport et diététique du sport. La première partie du projet a pu être terminée et constitue le nouveau CNMS, sous tutelle du MJS, actuellement en fonction. Par contre, le complément, ci-dessus détaillé, n’a malheureusement pas évolué jusqu’à ce jour, en raison du peu d’engouement manifesté par les successeurs du déunt Pr Yahia Guidoum, auquel je tiens à rendre un vibrant hommage posthume, pour son engagement fort et efficace en faveur d’un sport national réellement performant.
La tragique disparition de la jeune nageuse Manel Haboub doit interpeller sérieusement nos responsables au niveau du secteur chargé des sports, afin de limiter les risques de nouveaux accidents mortels et de permettre à nos sportifs de bénéficier de conditions performantes et sécurisantes de leur préparation. 
La médecine du sport, activité incontournable pour l’encadrement de ces derniers, doit bénéficier d’une attention plus visible, afin d’éviter que le produit de notre formation ne profite qu’à l’étranger. La performance sportive exige un suivi médical spécialisé, pour contribuer à l’optimisation des potentialités fonctionnelles de l’athlète, assurer une bonne prévention des lésions et pathologies susceptibles de toucher les pratiquants, ainsi qu’une prise en charge thérapeutique adaptée. Les Fédérations sportives nationales, particulièrement pour les disciplines les plus en vue, et les clubs à statut professionnel doivent disposer de staffs médicaux compétents et de structures spécialisées pour le contrôle régulier, les premiers soins de soulagement et de prévention des complications, ainsi que de récupération. 
À défaut d’avoir leurs propres centres de soins et de récupération, les clubs devraient réfléchir à des conventions avec les établissements équipés disponibles. L’athlète est avant tout un être humain, il doit bénéficier de tous les moyens nécessaires à la protection de sa santé et de sa vie. La pratique sportive ne doit pas constituer un danger pour lui. La médecine du sport peut contribuer à exploiter sainement ses potentialités physiques pour une performance optimale à moindre risque. Les responsables du secteur des sports doivent prendre en charge ce volet essentiel de la politique sportive.
 

 

 

 

 

 

 

 

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