Contribution

LE VERBE COMME VIATIQUE À UNE DOUBLE ERRANCE

  • Placeholder

Rédaction Nationale Publié 27 Février 2021 à 22:41

Par : AREZKI HATEM

“Je te jure de Tizi  Jusqu’à Akfadou Nul ne me fera subir sa loi Nous nous briserons sans plier, Plutôt être maudit Quand les chefs sont des maquereaux  L’exil est inscrit au front : Je préfère quitter le paysQue d’être humilié par ces pourceaux”

Quand il a vu sa terre foulée au pied par les pas dédaigneux d’un étranger venant d’un lointain pays et mû par un dessein inavoué. Cette terre hardiment labourée, arpentée par des pieds nus mais sarclée par des mains émaciées, si aiguisées que même le roc peinait à les blesser et dont les veines épousaient l'âcreté d’un sol fraîchement imprégné par l’odeur du sang versé pour le défendre contre la première campagne de l’armée française en 1847: une campagne repoussée avec une ardeur qui n’avait d’égal que celle des paysans kabyles travaillant leur terre avec la consécration qu’une mère kabyle consacre à son enfant. Car la terre, au-delà de sa représentation concrète dans le quotidien de la société kabyle, est aussi une image allégorique qui nous renvoie à une dimension métaphysique de par un ensemble fécond de rituels allant de la célébration festive d’une kyrielle d’événements liés à la terre kabyle et à des cérémonials exprimant la douleur et le regret. 

Serment immuable sur le col des genêts 
Tizi Ouzou, le col des genêts ou la terre de l’olivier : deux genres de plantes prédominantes en Kabylie et dont la symbolique de chacune nous renvoie à deux images distinctes : la première est celle de l’éphémère, fugacité d’une floraison qui ne dure que le temps d’une saison comme d’ailleurs tout ce qui est beau dans la vie, alors que l’olivier symbolise la longévité et la fécondité. Ainsi fut la vie de Si Muhend U M’hand, un genêt aux feuilles ensoleillées devant blanchâtres avant de tomber pour laisser place à la nudité de leurs rameaux, et un olivier qui, dans la stérilité des temps perdus, n’avait pas perdu de son verdi en continuant à le nourrir de sa sève, secrètement, pour ne pas éveiller les lames de l’ennemi si prompte à lester les tombes de leurs pierres tombales.
Si Muhand u M’hand jura au nom de deux terres kabyles : l’une vallée aux vergers plantés d’arbres fruitiers et semées d’un blé dont les tiges baissent les yeux devant leur moissoneurs, de pudeur et de gratitude pour l’abnégation avec laquelle ils les ont cultivée. L’autre est une majestueuse forêt aux arbres dont les cimes épousent le ciel dans une sorte de communion céleste et sous les frondaison une vie de cocagne pousse jusqu’au summum de la réjouissance. Donc, jurer au noms de ces deux lieux est comme un irréversible serment que la parole jurée accompagne l’homme jusqu’à sa réalisation ou jusqu’à à la mort. Et le sermon de Si Muhend U M’hand fut un serment immuable que nul ne lui fera subir sa la loi après que son genêt avait été humilié par les ironies des temps perdus et que ne lui restait que son Oliver pour l’accompagner dignement à sa dernière demeure. 

Nous nous briserons sans plier, plutôt être maudit 
La révolte de 1871 contre la présence française en Algérie, et ses conséquences désastreuses sur les populations qui avaient pris part à l’une des plus saillantes épopées de la lutte contre la colonisation française, a vu la famille de Si Muhend u M’Hand touchée dans sa chair et dans sa terre : une double blessure qui saigna la famille Aït Hamadouche, patronyme du barde kabyle, jusqu’à la pousser à un exil forcé. Ils ont eu du sang dans les veines, les résistants de l’insurrection de 1871, mais la disporption dans les moyens de confrontation et les clivages tribaux d’une société profondément irriguée par un ordre tribal qui fut exploité jusqu’à l’os par les Français pour mater dans le sang et la désolation cet énième sursaut des Algériens. La famille de Si Muhend n’était pas du reste de l’acharnement de la France contre ceux qui ont pris part au soulèvement de 1871. Père tué, terre spoliée, frère exilé dans la lointaine Tunisie, mère et jeune frère réfugiés dans un village voisin de l’humus natal de Si Muhend. En somme, une ruine qui ressemble à un ogre aux septs têtes ! Et c’est dans l’amertume et l'âpre tristesse qu’elle a fait naître dans l’âme du poète errant que la poésie épouse la langue silencieuse de Si Muhend en donnant naissance à une irruption extraordinaire d’un verbeà  la fois nostalgique d’un passé fleuri et promonitoire sur un demain s’annoncant dans les prémices du présent comme porteur de malédictions pour le poète maudit par le sort de sa condition matérielle mais porté au firmament du génie par sa sagesse d’un homme dont le regard sur la condition des siens est comme celui qu’une mère porte sur son enfant réclamant la tétée qui apaisera sa faim : un regard impuissant devant l’impuissance de ses tétons à nourir son enfant, un regard salvateur pour que sa chair vivra en homme révolté contre la domination abjecte et inhumaine d’un étranger venant d’un lointain pays. Ainsi fut l’expression de la verve de Si Muhend : “nous nous briserons sans plier, plutôt d’être maudits”. 
Une révolte aussi contre certains de ses siens qui ont prêté le flanc à l’ennemi en devenant un bat dans les mains de l’étranger, s’abattant avec acharnement sur le dos de leurs frères. Et la blessure causée par un frère est telle une épée à double tranchant : elle blesse le corps et enfonce l’âme dans les abysses de la tristesse.  Mais un poète ne s’humilie jamais : il préfère l’exil et ses vents hargneux que de vivre enfoncé par des pourceaux. Si Mohand est le poète kabyle de la tradition orale le plus célèbre et le plus documenté. Il est né à Icheraïouen, l'un des villages composant l’agglomération de Tizi-Rached (dans la confédération des Aït-Iraten) en Grande-Kabylie, au cours de l'année 1845. Il est le fils de Muḥend Ameẓyan n At Ḥmaduc et de Faṭima n At Ssaɛid. Si Mohand ou-Mhend est connu aussi sous le nom de Si Muḥ u-Mḥend. Atteint d'un mal incurable et empirant de jour en jour (un abcès au nombril, selon Dermenghem ; une gangrène au pied, dit le poète), il est mort en 1906 à l'hôpital des Sœurs Blanches, près de Michelet (actuel Aïn El-Hammam) ; il est enterré au cimetière de Tikorabin, appelé Asqif n ṭṭmana (litt. le portique de la sauvegarde), dans le coin réservé aux étrangers.

 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00