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Les six raisons du processus inflationniste en Algérie

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Abderrahmane MEBTOUL Publié 17 Janvier 2022 à 19:50

Par :  Dr ABDERRAHMANE MEBTOUL
Professeur des universités, expert international 

Comprendre le processus inflationniste en Algérie  implique à la fois de le relier au retour de  l’inflation mondiale aux équilibres macroéconomiques et macrosociaux selon une vision dynamique. Pour le cas de l’Algérie, selon les données officielles, le taux d'inflation cumulé – l’indice n'a pas été réactualisé depuis 2011 – approche les 100% entre 2000 et 2021 avec un pic, selon le gouverneur de la Banque d’Algérie, de 9,2% en octobre 2021

En ce mois de janvier 2022 et cela a été le cas pour toute l’année 2021, le processus inflationniste a atteint un niveau intolérable : plus 100% pour les pièces détachées, les voitures, plus 50% pour certains produits alimentaires, parallèlement à une pénurie de nombre de produits. Nous ne devons pas nous réjouir donc d’un excédent de la balance commerciale qui provoquerait une paralysie de l’économie. Outre les factures d'électricité et d'eau, du loyer, on peut se demander comment un ménage qui gagne entre 30 000 et 50 000 DA peut survivre, s'il vit seul, en dehors de la cellule familiale qui, par le passé, grâce au revenu familial, servait de tampon social ? 
Mais attention à la vision populiste : doubler les salaires sans contrepartie productive entraînerait une dérive inflationniste, un taux supérieur à 20% qui pénaliserait les couches les plus défavorisées, l‘inflation jouant comme redistribution au profit des revenus spéculatifs. 
La première raison est l’inflation importée puisque 85% des besoins des ménages et des entreprises publiques et privées – dont le taux d’intégration ne dépasse pas 15% – proviennent de l’extérieur. Le taux d’inflation de la zone euro a atteint un niveau record de 4,9% en 2021, avec en Allemagne et aux États-Unis 6%, la BCE prévoyant une hausse de 3,2% pour 2022 alors qu’en 2020, durant la pandémie, l’indice était en net recul de 0,3% sur un an. 
La sécurité alimentaire mondiale étant posée, les prix des produits agricoles connaissent un niveau record et, selon la FAO, l’augmentation des prix s’est établie en moyenne à 127,1 points en mai 2021, soit 39,7% de plus qu’en mai 2020, où le prix des oléagineux a plus que doublé. 
La deuxième raison est la faiblesse du taux de croissance interne, résultant de la faiblesse de la production et de la productivité, et les restrictions aux importations. L'Algérie, selon le rapport de l'OCDE, dépense deux fois plus pour avoir deux fois moins d'impact en référence aux pays similaires, renvoyant à la mauvaise allocation des ressources. Selon le Premier ministère, l’assainissement des entreprises publiques a coûté au Trésor public environ 250 milliards de dollars ces trente dernières années, et plus de 90% d’entre elles sont revenues à la case de départ, outre 65 milliards de dollars de réévaluation, ces dix dernières années, faute de maîtrise de la gestion des  projets. Selon le rapport du FMI publié fin décembre 2021, les exportations ont atteint, en 2021, 37,1 milliards de dollars (32,6 pour les hydrocarbures et 4,5 hors hydrocarbures) dont près de 2,5 milliards de dollars de dérivés d’hydrocarbures en prenant les estimations récentes du bilan de Sonatrach pour 2021 (recettes de 34,5 selon le P-DG de Sonatrach) comptabilisés dans la rubrique des 4 milliards de dollars hors hydrocarbures par le ministère du Commerce. Quant aux importations, en attendant le bilan officiel du gouvernement, selon le FMI elles auraient atteint 46,3 milliards de dollars (la Banque mondiale ayant donné 50 milliards de dollars, provoquant d’ailleurs une polémique), 38,2 milliards de biens et une sortie de devises de 8,1 milliards de services contre 10 à 11 entre 2010 et 2019. L’Algérie, selon le FMI, fonctionne, entre budget de fonctionnement et d’équipement, à plus de 137 dollars en 2021 et à plus de 150 pour 2022, malgré toutes les restrictions qui ont paralysé l’appareil de production avec des impacts inflationnistes, expliquant l’importance du déficit budgétaire de la loi de finances 2022 (plus de 30 milliards de dollars). La troisième raison est la dépréciation officielle du dinar. Depuis 2013, celui-ci a reculé de 45% par rapport au dollar. Il était de 76/80 DA pour un dollar dans les années 2000-2004 et la cotation au 13 janvier 2022 est de 139,32 DA pour un dollar et 157,54 DA pour un euro au cours d’achat avec une cotation sur le marché parallèle, malgré la fermeture des frontières, dépassant les 210 DA pour un euro. 
La loi de finances 2021 prévoit, pour 2022, 149,32 DA pour un dollar et 2023 verrait donc la dévaluation de la monnaie nationale se poursuivre avec 156,72 DA pour un dollar. Cette dévaluation permet d'augmenter artificiellement la fiscalité des hydrocarbures (reconversion des exportations d'hydrocarbures en dinars) et la fiscalité ordinaire (via les importations tant en dollars qu'en euros convertis en dinar dévalué), cette dernière accentuant l'inflation des produits importés (équipements), matières premières, biens finals, montant accentué par la taxe  douanière s'appliquant à la valeur du dinar, supportée, en fin de parcours, par le consommateur comme un impôt indirect, l'entreprise ne pouvant supporter ces mesures que si elle améliore sa productivité.
L'effet d'anticipation d'une dévaluation rampante du dinar a un effet négatif sur les sphères économique et sociale. Le taux d'intérêt des banques devrait le relever de plusieurs points, s'ajustant aux taux d'inflation réelle, freinant à terme le taux d'investissement à valeur ajoutée. La déthésaurisation des ménages face à la détérioration de leur pouvoir d'achat, met des montants importants sur le marché, alimentant l'inflation, plaçant leur capital-argent dans l'immobilier, des biens durables à forte demande comme les pièces détachées facilement stockables, l'achat d'or ou de devises fortes.
La quatrième raison est liée à la précédente : la baisse des recettes des hydrocarbures influe sur la balance des paiements et le niveau  des réserves de changes qui tiennent la cotation du dinar à plus de 70%. Si  les réserves de changes sont de 10 milliards de dollars, la Banque d’Algérie sera obligée de dévaluer le dinar officiel à environ 200/250 DA pour un euro avec un cours sur le marché parallèle de près de 300 DA pour un euro. Selon le rapport du FMI à fin décembre 2021, les réserves de changes se sont situées à 43,6 milliards de dollars en 2021 (11 mois d’importations) contre 48,2 milliards en 2020, contre 194 fin 2013 et 114 milliards de dollars en 2016. Qu’en sera-t-il si on relance tous les projets nécessitant d’importantes sorties de devises et si l’investissement étranger ne vient pas ? Car tout projet  nouveau n’atteindra le seuil de rentabilité (pour les PMI/PME) que dans deux à trois ans à partir de son lancement, et 6 à 7 ans pour les projets hautement capitalistiques, dans ce cas nécessitant un partenariat étranger gagnant-gagnant tenant compte de la transformation du nouveau monde dominé par la transition numérique et énergétique mais peut être maîtrisable.
La cinquième raison est l’importance du marché informel, qui représente environ 50% de la superficie de l’économie. Les prix des produits  non subventionnés, s’alignant sur le cours  du dinar sur le marché parallèle, amplifient l’inflation et s’étendent en période de crise. Lorsqu’un État émet des lois ou des procédures de manière autoritaire, sans consultation, qui ne correspondent pas à la réalité du fonctionnement de la société, celle-ci émet ses propres règles, informelles, qui lui permettent de fonctionner beaucoup plus efficacement, car reposant sur un contrat de confiance. Selon la Banque d'Algérie, entre 2019 et 2020, la masse monétaire en dehors du circuit bancaire a atteint 6 140,7 milliards de dinars, soit une hausse de 12,93% par rapport à 2019. Le président de la République a annoncé, en mars 2021, entre 6 000 et 10 000 milliards de dinars.     
La sixième raison est  la corruption à travers les surfacturations. Selon nos estimations, les  entrées en devises entre 2000 et 2021sont estimées autour de 1 100 milliards de dollars, avec des importations de biens et services pour plus de 1 050 milliards de dollars. Malgré ces dépenses en devises (sans compter les dépenses en dinars), la croissance a été dérisoire en moyenne annuelle : de 2 à 3% entre 2000 et 2019, alors qu'elle aurait dû dépasser 9/10%,  espérant 3,3% pour 2021 après une croissance négative en 2020 de 4,9 selon le FMI, avec une sortie de devises d’environ 14 milliards de dollars. Mais un taux de croissance se calcule par rapport à la période précédente ; ainsi, 3% rapportés à un taux faible donnent, cumulé, par rapport à la période précédente. 
C’est un taux faible largement inférieur à la pression démographique — plus de 44 millions d'habitants au 1er janvier 2021 – où il faut pour réduire les tensions sociales, créer 350 à 400 000 emplois productifs par an qui s'ajoutent au taux de chômage actuel d’environ 14/15%. Si par hypothèse, uniquement pour la partie devises, on avait amélioré la gestion pour 10% sans compter la dépense pour la partie dinars où existent des surfacturations, du fait de la non-maîtrise des circuits et des marchés internationaux (fluctuations boursières notamment) et si on avait réduit de 10% les surfacturations, l’Algérie aurait économisé environ 210 milliards de dollars en 2020/2021, plus de quatre fois les réserves de changes actuelles. Cette mauvaise gestion et la corruption contribuent à amplifier le processus inflationniste.
En conclusion, du fait des tensions budgétaires, de l'accroissement du taux de chômage et du retour de l'inflation avec la détérioration du pouvoir d’achat, s'impose la relance économique pour 2022, conditionnée par la lutte contre le terrorisme bureaucratique, la corruption qui étouffe les énergies créatrices, l’instabilité juridique et la vision purement monétariste afin de préserver les réserves de changes, sans vision stratégique. Face aux tensions géostratégiques dans la région méditerranéenne et sahélienne et budgétaires au niveau interne, l’Algérie, ayant d’importantes potentialités, peut surmonter la crise actuelle. Pour cela, s’impose la concrétisation urgente des réformes institutionnelles et économiques, douloureuses à court terme, mais porteuses d’espoir à moyen et long termes, nécessitant une mobilisation générale, un large front national tenant compte des différentes sensibilités et un discours de vérité pour un sacrifice partagé. 

 

 

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