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L’un ne va pas sans l’autre !

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Ali CHÉRIF Publié 04 Décembre 2021 à 19:07

Par : CHERIF ALI
ANCIEN CADRE SUPÉRIEUR

Une partie du secteur informel est établie directement dans les quartiers pauvres et les bidonvilles, qui en tirent leur subsistance. Il a été longtemps sous-estimé parce que nombre d’entreprises ne sont pas officiellement déclarées –les trois quarts n’ont qu’une existence de facto. Pourtant, c’est lui qui continue d’absorber le gros de la vague des demandeurs d’emploi. 

Si les taudis et les bidonvilles abritent un taux important de la population et si leur extension se fait plus vite que celle du tissu urbain, il est plus difficile de préciser, au cas par cas, le nombre de familles concernées par cet habitat précaire, d’autant plus que le phénomène est en partie clandestin et échappe à tout recensement ! Ils naissent là où les bâtiments classiques ne sont pas implantables à cause de la pollution, des accidents de terrain ou des règles urbanistiques de zonage. Les habitations construites dans les bidonvilles sont une initiative des résidants, sans aide technique ni financière.
Tandis que la langue française parle de taudis, bidonvilles et, par anglicisme, de squatters, c’est-à-dire d’occupants illégaux, l’anglais utilise les mots slums (taudis), shanty towns (ville déchets), squatters settlements et substandard settlements (établissements d’occupants illégaux et établissements ne répondant pas aux normes). L’allemand est plus laconique : armenviertel (les quartiers pauvres) et l’espagnol plus imagé : calampas, colonias poletarias du Mexique, barriadas institutionnalisées en pueblos jovenes du Pérou, ranchitos du Venezuela, ciudales miserias d’Argentine, tugurios de Colombie, suburbios d’Équateur.
La pauvreté absolue connaît beaucoup d’autres appellations : gecekondu de Turquie, bustee de l’Inde, jhuggi du Pakistan, favela du Brésil, gourbiville de Tunisie, campamento du Chili, kampong d’Indonésie. 
Le sampanville de l’ancien Saïgon, que l’on trouve aussi à Hong Kong, désigne ces villages de jonques et d’embarcations qui servent d’habitations, de marché flottant (comme à Bangkok) grâce à un réseau complexe et ingénieux de passerelles. Dans les années 1950 au Mexique, on était habitué au paracaidismo, c’est-à-dire le “parachutage” par lequel les migrants prennent possession du terrain la nuit. Au Moyen-Orient, le mot sharifa est parfois employé pour habitat précaire. 
Citons parmi les autres dénominations : établissements irréguliers, spontanés, non planifiés, clandestins, pirates et de transition.
Cette typologie* suffit à montrer la responsabilité des pouvoirs publics, qui doivent adapter une attitude plus active et offensive. A ce jour, en quoi a consisté l’attitude des pouvoirs publics ? A recenser les occupants de cet habitat et, selon les programmes disponibles, procéder à leur relogement, après moult contestations et autres émeutes.
Faut-il continuer dans cette voie empruntant au tonneau des Danaïdes, et reloger systématiquement tout occupant de baraque ou d’habitat précaire au motif que cela participe de la politique sociale de notre pays ? En plus, et c’est un fait avéré, donner systématiquement une habitation en contrepartie d’un taudis éradiqué, constitue “un appel d’air” très bien assimilé par de nombreux concitoyens débrouillards et sans scrupules. 
Après ce constat, l’Etat doit-il réviser sa politique de distribution de logements, n’existant nulle part ailleurs, et par conséquent n’intervenir que dans les cas de catastrophes naturelles pour recaser éventuellement des sinistrés ?
Doit-il mettre l’effort exclusivement sur les programmes d’habitat impliquant financièrement les bénéficiaires et les banques (programmes AADL, CNEP, LSP, LPA) ? Ou revenir à l’autre solution, qui a consisté à solutionner le problème à coups de buldozzer et à raccompagner les occupants de bidonvilles vers leurs wilayas d’origine ? 
Tout le monde connaît d’ailleurs les conséquences des actions dites “coup-de-poing” que certains réprouvent, estimant que les “bidonvillois” ont travaillé durement pour améliorer une cellule de logement, en bonne partie ou même totalement autoconstruite. Ces habitants – et c’est ma proposition, à contre-courant de ce qui est proposé pour solutionner ce type de problème – dotés d’une sécurité d’occupation, seraient peut-être motivés pour investir dans l’amélioration du logis, voire du bidonville qui, bien que sous-intégré à la ville, en fait partie et sa vie est liée à la dynamique urbaine d’ensemble. Le bidonville représente un véritable sas de transition entre les modes de vie rural et urbain.
Dans cette perspective, si taudis et colonies de squatters sont des problèmes créés par l’explosion urbaine, le bidonville apparaît, lui, comme un début de solution. 
En effet, les habitants des bidonvilles font appel aux compétences pour être conseillés et guidés. Mais au lieu d’une relation expert-client, ils reçoivent l’appui technique et surtout bénévole de sympathisants et de membres de leur famille ayant les compétences voulues et déjà installées in situ pour édifier leur cellule-logement.
Cela confirme d’ailleurs l’importance du secteur informel pour absorber cette main-d’œuvre, non déclarée bien sûr.
Une partie du secteur informel est établie directement dans les quartiers pauvres et les bidonvilles, qui en tirent leur subsistance. Il a été longtemps sous-estimé parce que nombre d’entreprises ne sont pas officiellement déclarées –les trois quarts n’ont qu’une existence de facto. Pourtant, c’est lui qui continue d’absorber le gros de la vague des demandeurs d’emploi. Il occupe une position charnière entre l’agriculture et le secteur moderne, comme les bidonvilles sont le trait d’union entre le village et les quartiers urbains.
L’OIT donne du secteur informel la définition suivante : “Facilité d’accès ; utilisation de ressources locales ; propriété familiale des entreprises ; opérations à petite échelle ; technologie appropriée à forte intensité en main-d’œuvre ; qualifications acquises en dehors du système éducatif officiel ; marché fluide, concurrentiel et non régulé.” Les paramètres inverses définissent le secteur moderne. 
Chez nous, aujourd’hui, il me semble qu’un certain quiproquo ait été introduit dans les esprits, dès lors que l’actualité nationale s’est cristallisée, paradoxalement, sur les marchés informels qui ne sont en fait que la partie visible de l’iceberg ! Notons néanmoins que la sémantique a évolué puisqu’il n’est plus question d’“éradiquer”, mais de “redéployer” les vendeurs de ces marchés informels, tantôt estimés à 70 613 selon le ministère de l’Intérieur,75 000 selon le ministère du Commerce ou même 300 000 selon l’Union générale des commerçants et artisans algériens.
Au-delà de ces estimations, il conviendrait à mon sens de garder à l’esprit que des milliers de jeunes Algériens dépourvus de diplômes et de formation ne vont pas manquer de saisir l’aubaine pour gonfler les chiffres des effectifs donnés supra et investir les espaces qui seront mis en place, ajoutant ainsi à la confusion en l’absence de recensement fiable et définitif.
De plus, “l’appel d’air” qui serait ainsi créé ne manquera pas de débaucher dans les secteurs de l’agriculture et du bâtiment, dont les déficits sont chroniques en matière de main-d’œuvre !
L’idée de mettre en place des “espaces maîtrisables” est noble au demeurant, mais si l’on n’en balise pas les contours, ils risquent de se transformer en “espaces méprisables”, loin de l’objectif visant la réhabilitation des vendeurs et la promotion de leur activité commerciale.
Qu’il me soit permis à cet effet d’avancer quelques solutions :
1-Redéployer les vendeurs après une rigoureuse sélection des hommes et une mise aux normes de leurs marchandises.
2- N’autoriser que les activités honorables, profitables, bancables et… imposables.
3- Ne pas sédentariser ces vendeurs de façon à récupérer l’espace (ponctuellement ou en cas de besoin). L’exemple qui illustre cette idée se trouve dans le fonctionnement du “marché parisien” qui est démantelé quotidiennement, selon une programmation, un horaire et un cahier des charges préétablis. Toutes les commodités sont fournies par la mairie, qui reste le gestionnaire principal et le garant du règlement intérieur –cette proposition, si elle venait à être retenue, dispenserait les collectivités locales de tout investissement, dès lors que les équipements (à normaliser) restent à la charge des vendeurs.
4- Les grandes villes, étant en général des marchés d’intérêt national (MIN), peuvent constituer des centres de commerce importants et favoriser périodiquement des échanges spécialisés à travers des foires et des braderies, où seraient échangés des spécificités et des produits régionaux, ce qui aurait pour impact d’encourager le “tourisme domestique” et, partant, créer de l’emploi, y compris dans la restauration et l’hôtellerie. 
5- Les villes à faible potentiel industriel doivent s’investir dans ces espaces intermédiaires en veillant à promouvoir leur production locale.
6- Réserver des emplacements aux bouquinistes, aux brocanteurs, en un mot, à tout ce qui emprunte aux échanges humains, dans le domaine culturel notamment.
7-Les 100 locaux par commune doivent impérativement garder l’objectif noble qui leur a été assigné, tant en termes de bénéficiaires que d’activités projetées.
Pour conclure sur ce sujet – que j’ai déjà abordé de manière prémonitoire dès 2005 et qui a été publié dans une version réduite avant que l’actualité nationale ne le rattrape et m’interpelle pour le réactualiser – je propose au débat ces problématiques :
w Doit-on continuer à reloger indéfiniment les habitants de ce type de construction précaire, quelquefois au prix d’émeutes, sachant que cela se fait au détriment d’une large couche de la population vivant dans les centres urbains, voire ruraux, dans des habitations en dur certes, mais dans des conditions d’hygiène, d’exiguïté et de promiscuité déplorables (cohabitation de plusieurs générations recensées comme prioritaires, mais dont “le tour passe” à cause du “forcing payant”) de familles implantées, somme toute, en toute illégalité ?
w Est-il permis d’affirmer que raser les bidonvilles est inefficace ? On serait tenté de répondre par l’affirmative puisque, faute de stratégie d’ensemble, les taudis réapparaissent ailleurs dans le tissu urbain et c’est l’éternel recommencement.
w Mais ce sont peut-être des considérations économiques et humanistes qui invitent à surseoir parfois aux décisions de destruction de l’habitat précaire : un économiste indien ne déclarait-il pas à la conférence mondiale de Vancouver que Calcutta était l’une des dernières villes où l’on trouvait encore une trace d’humanité ?
w Quant au secteur informel (pourvoyeur du marché informel) qui absorbe la force de travail, “réduit officiellement la courbe statistique du chômage” et fournit biens et services à la portée des bourses de la population pauvre, peut-on raisonnablement en faire l’économie ? 

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