Contribution

“L’urgence d’une réforme profonde du management de l’administration publique”

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Rédaction Nationale Publié 19 Février 2021 à 20:17

Par : EL HADI MAKBOUL
Expert international ancien directeur général du Ceneap

 

 

 

 

 

 

Les principales actions à mener à notre avis devront tendre principalement à se libérer et à s’éloigner des modes de gestion classique pour s’orienter vers un projet novateur, intelligent et d’avenir axé notamment sur la compétitivité, l’excellence et la performance de notre administration.”

Débattre du management de l’administration publique algérienne doit aujourd’hui nous interpeller sur les dysfonctionnements majeurs qui empêchent aujourd’hui cette administration de se hisser en une véritable administration moderne et d’excellence au service de l’État, des citoyens et surtout orientée vers les impératifs de développement du pays.

I- Dysfonctionnements et faiblesses du management de l’administration publique algérienne
Rendue synonyme de rigidité, de lenteur et de bureaucratie malgré toutes les réformes introduites au cours de ces 50 dernières années sur le plan aussi bien structurel, fonctionnel que technique et humain, l’administration publique algérienne vit aujourd’hui un malaise profond qui risque de remettre en cause son essence même et les missions pour lesquelles elle a été créée et destinée.

En effet, l’absence et la perte des vraies valeurs administratives et d’une véritable éthique du service public et surtout d’une volonté clairement affichée par les pouvoirs publics pour sa modernisation et sa mutation n’ont pas permis à cette administration publique d’engager une véritable réforme, notamment de son système d’organisation, de gestion, de formation, d’évaluation des performances et du management. Figée, sans objectifs de mise à niveau et sans une réelle volonté de changement effectif, notre administration publique n’a pas été en mesure d’engager de véritables réformes qui auraient pu la hisser au diapason des administrations ouvertes et d’excellence de par le monde. 

Si on doit aujourd’hui marquer un temps d’arrêt, quels enseignements tirer de l’évolution de cette administration publique, de sa ressource humaine et du management instauré ?
Actuellement, on peut aisément affirmer sans détour et sans complaisance que notre système administratif est malade et surtout en péril en raison de plusieurs facteurs :
- Ce système reste à construire autour de paramètres modernes de management basés sur la fixation d’objectifs des évaluations objectives et scientifiques et sur les performances et les ressources humaines qualifiées.
- Ce système fermé ne favorise pas la compétition, encore moins l’excellence et la compétence de la ressource actuelle non renouvelée et surtout après les départs provoqués des meilleures compétences nationales depuis la naissance de notre jeune république, et ce phénomène cataclysmique s’est accéléré depuis la décennie noire. 
- De même, ce système n’est pas basé sur des objectifs à atteindre clairs ni sur des évaluations périodiques, encore moins sur une démarche stratégique à moyen et long termes rationnelle et clairement définie.
- Ce système est basé notamment sur des organigrammes lourds et inadaptés en perpétuel changement au gré des ministres qui se sont succédé avec l’absence d’une politique de structures et la faiblesse du niveau de l’encadrement à tous les échelons, en l’absence d’un renouvellement optimal et intelligent de cet encadrement.
- Ce système de formation et de perfectionnement de l’encadrement en place reste obsolète et contre-productif, favorisé par l’absence de plan de formation et la faiblesse des produits de la formation initiale issus de l’université et des grandes écoles, accentuée par la disparition ou l’inexistence des grandes écoles et instituts du secteur ayant conduit à une déperdition de la ressource humaine et à un retrait des instruments d’expertise et d’analyse. De même, l’ENA, après plus 50 années d’existence, a perdu de sa grandeur au point où aujourd’hui les principaux énarques qui ont émergé et assuré des fonctions supérieures au sein des institutions de l’État sont aujourd’hui éclaboussés par de nombreux scandales liés à la corruption et à la mauvaise gestion au niveau tant central que local, accentué aussi par une mauvaise gouvernance de la chose publique.

- Ce système administratif est toujours bloqué, car régi par un statut de la fonction publique figé avec des règles rigides et inadaptées qui encouragent le fonctionnement et la carrière au détriment de l’efficacité de la performance et de la compétence, et ce, en l’absence d’une véritable réforme de son organisation de ses missions et de sa ressource.
- Ce système où la coopération et la coordination entre les structures au niveau tant central que local restent très faibles et encore moins entre les différents secteurs, car la coordination intersectorielle étant souvent absente, elle freine de ce fait la coordination institutionnelle et la prise de bonnes décisions collégiales, d’où l’urgence de se doter d’une structure centrale de planification en charge des questions de coordination intersectorielle et de continuité de différents programmes et services car devenue aujourd’hui impérative et nécessaire. 

En outre, cette situation de blocage qui persiste souffre également de plusieurs facteurs déterminants et pénalisants, accentuée notamment par :
- L’absence d’une vision stratégique et d’un modèle économique et administratif adapté et partagé pas l’ensemble des parties prenantes et les différents secteurs. 
- La défaillance de la gouvernance économique, administrative et financière accentuée par des dysfonctionnements à la base et la perte de véritables repères.
- La marginalisation de la ressource humaine qualifiée et l’absence d’une véritable élite nationale en mesure de porter le changement au niveau de l’administration publique et des différentes institutions nationales.
De même, le modèle administratif napoléonien mis en place depuis plusieurs décennies se caractérise également par :
- Un système où les principaux pouvoirs et décisions sont concentrés et centralisés autour du ministre et de son cabinet avec très peu de décisions partagées avec l’encadrement et ce, en plus d’une hiérarchie rigide et d’une organisation pyramidale hermétique, excluant de ce fait toutes les structures locales et centrales de toute initiative ou émergence.   
- Un système caractérisé aussi par une bureaucratie et une corruption qui pèsent sur le mode de gouvernance et sur les missions et activités des administrations publiques, encourageant ainsi toutes les formes de déviance, rendant certaines activités inaccessibles face à une administration fermée et sclérosée avec un mécontentement permanent des citoyens et des administrés. 
- Un système caractérisé également par une ressource humaine transformée plutôt en fardeau financier qu’en véritable capital. 
En effet, l’accent est toujours mis sur le coût que représente cette ressource pour le Trésor public sans même évaluer la rentabilité et le rapport coût/apport/qualité et sans valorisation, excluant de ce fait le génie humain, l’intelligence et l’innovation.
- Un système caractérisé par la carrière, le peu de qualification des fonctionnaires, la démotivation et la faiblesse de l’activité, ainsi que la fuite et la perte de milliers de cadres qualifiés. 
Cette situation est accentuée par des statuts particuliers obsolètes et conjoncturels, un système de rémunération et d’intéressement inadapté et un mode de recrutement aléatoire et sélectif.
- Un système caractérisé par la faiblesse de l’organisation administrative interne et les dysfonctionnements en matière de fonctionnement et de communication et de relation interne, de gestion administrative et financière et de prévisions (prospective), ainsi que par l’absence d’une politique de management et de résultat. 

En effet, cette organisation s’oriente beaucoup plus vers le respect des procédures que vers la réalisation de résultats et d’objectifs affichés à atteindre, et par un surcoût élevé des dépenses de fonctionnement dû aux pléthores du personnel et à l’absence de mesures d’efficacité et de programmation et d’un système de contrôle efficace et adapté à différents niveaux.
- Un système caractérisé également par un niveau de l’encadrement très faible après les départs massifs et souvent volontaires de l’ossature managériale des différentes administrations publiques, surtout après les changements de gouvernement successifs et l’arrivée de nouveaux ministres instaurant de nouvelles règles de gestion et souvent de nouveaux rapports d’allégeance.
- Un système dominé par une dépendance très forte à la tutelle et l’absence d’une culture de réflexion, d’analyse et de communication avec des décisions qui viennent très souvent d’en  haut, empêchant toute initiative managériale intelligente et l’émergence de compétences et d’idées nouvelles.  
- Un système caractérisé par une grande faiblesse dans l’utilisation des nouvelles technologies de l’information, de la communication et du numérique, notamment au niveau des grands services publics : douanes, impôts, banques, collectivités locales, finances… 
• Un système dominé par la préservation des niches de pouvoir, d’intérêt et de corruption au niveau de l’administration publique et ce par des fonctionnaires jaloux de leurs prérogatives et de leurs services rejetant tout partage de pouvoirs et de décisions ou d’allégement des décisions et procédures souvent au détriment de la réglementation en vigueur et des services offerts.
• Un système fortement perturbé par l’instabilité des institutions et de l’encadrement qualifié. 

Dès lors devant cette situation alarmante qui constitue une véritable plaie dans la gestion des affaires publiques, et dans l’évolution de l’administration publique algérienne, une réflexion approfondie mérite d’être engagée, avec la définition d’actions audacieuses et profondes et ce autour d’un véritable projet novateur multidimensionnel qui intégrerait l’ensemble des mesures visant à apporter les améliorations et les changements nécessaires qui s’imposent aujourd’hui avec la célérité voulue et un engagement fort de l’ensemble des parties prenantes et en particulier l’État, et ce, dans la perspective de normaliser et réformer en profondeur la relation entre le citoyen et son administration en sa qualité de régulateur public et répondre ainsi à ses besoins prioritaires et surtout avec un état d’esprit nouveau et ouvert, dans un environnement assaini, préparé et compétitif et une ressource humaine qualifiée et engagée.

II- L’urgence d’une réforme en profondeur du management de l’administration publique algérienne
La définition et la mise en œuvre d’un projet novateur d’envergure et l’introduction de techniques modernes de management dans la gestion de l’administration publique adossée à une politique nouvelle de formation et de gouvernance clairement définie et affichée par l’État constituent les véritables clés du changement à opérer en cette période transitoire et de crise, notamment en matière de gouvernance de la chose publique et des améliorations à apporter par des mesures et des actions prioritaires et opérationnelles en matière de management public. 
À cet effet, les principales actions à mener à notre avis devront tendre principalement à se libérer et à s’éloigner des modes de gestion classique pour s’orienter vers un projet novateur, intelligent et d’avenir axé notamment sur la compétitivité, l’excellence et la performance de notre administration en veillant notamment à : 
• La clarification des objectifs à atteindre pour l’administration publique algérienne à moyen et long termes avec des programmes pluriannuels efficaces et des évaluations à mi-parcours régulières des politiques de management mises en place. 
• La modernisation du mode de fonctionnement et d’organisation des institutions publiques et une réforme globale des politiques publiques et de la gouvernance publique.
• La mise en place de plans de formation adaptés par corps et spécifique à chaque secteur et le recours aux écoles et instituts spécialisés avec la création de structures internes de suivi et d’évaluation et l’adaptation dans ce cadre des programmes universitaires et des grandes écoles sur la base d’un véritable partenariat d’avenir. 
• La lutte contre la bureaucratie et la corruption dans l’administration publique et la refonte du mode de fonctionnement des administrations publiques et l’introduction de l’expertise externe avec l’instauration d’un système d’évaluation permanent et l’introduction des nouvelles technologies de l’information à tous les niveaux des structures.
• Une refonte globale du statut de la fonction publique avec son adaptation au contexte national et international et à la spécificité de chaque secteur et un système d’attractivité des compétences nationales et des experts. 
• Une révision et une adaptation de la grille des salaires et indemnités spécifiques à chaque corps de la fonction publique, notamment celle relative à l’encadrement en vue de sa mise à l’abri. 
•  L’introduction d’un système d’évaluation et d’intéressement des agents de l’État lié aux résultats et aux performances.
• La protection de l’encadrement supérieur disposant de compétences et expériences avérées.
• L’accompagnement des cadres de l’administration publique dans le cadre de leurs missions avec des programmes de perfectionnement adaptés et renouvelés. 
• La professionnalisation de l’encadrement des agents de l’État en vue de les rendre plus performants et des experts à part entière dans leurs domaines respectifs.
• La création et le renforcement de grands services publics spécialisés complémentaires avec le développement économique du pays.
• Le développement de centres de réflexion, d’analyse et d’études nécessaires à une meilleure connaissance et réforme du mode de fonctionnement de l’administration publique et de son évolution.
• La création d’un Observatoire national de l’administration publique. 
• La révision des budgets alloués au fonctionnement de l’administration publique et l’introduction de nouvelles règles budgétaires liées au résultat et à la performance des institutions et de leurs agents.
• La privatisation et la recherche de rentabilités des activités et missions de certains services publics.
• L’introduction d’un système d’innovation permanent dans le management et la création de structures pilotes de gestion.
• La refonte du mode d’intervention de l’administration publique qui doit fonctionner comme une entreprise économique avec l’introduction le cas échéant du système faillite.
• La révision du mode de gouvernance de l’administration publique à travers notamment :
• La nécessité de muter vers une administration plus accueillante et citoyenne et surtout performante et moderne. 
• La révision de l’organisation administrative qui doit être plus flexible productive et transparente et pérenne. 
• L’amélioration de la communication interne et externe et surtout son image. 
• L’introduction de techniques modernes de gestion et la recherche de l’efficacité et l’efficience. 
• L’adaptation de l’action publique à l’environnement national et international qui connaît de profondes mutations à tous les niveaux.
• La révision et la modernisation de la relation entre l’administration publique et le citoyen pour améliorer les produits, l’image et les services offerts. 
• La définition et la mise en œuvre d’un programme de lutte contre la bureaucratie et la corruption et toutes les formes de déviances relevées.
• La valorisation de la ressource humaine et la stabilité de l’encadrement par des mesures conservatrices d’encouragement d’intéressement et de promotion.
Dans ce cadre, il faudra veiller au renforcement des capacités de la ressource humaine et du management de l’administration publique et la protection de l’encadrement à travers des actions ponctuelles visant à : 
• L’amélioration de la situation des cadres et l’implication de cet encadrement et des compétences nationales, ainsi que la mobilisation effective de la diaspora algérienne avec des programmes adaptés et des statuts particuliers et des conditions adéquates. 
• La protection des cadres dirigeants dans l’administration publique à travers la mise en place d’un statut particulier avec des droits inviolables et la préservation de leur carrière, de leur dignité et de leur fonction.
• La réhabilitation et le renforcement de la situation des cadres des institutions de l’État pour assurer un transfert de connaissances et d’expérience et une relève effective, et stopper ainsi la déperdition et l’hémorragie actuelle. 
• La création d’un fichier national des cadres managers nationaux et ceux de la diaspora  avec un système d’évaluation périodique et moderne et l’identification de leurs spécialités et travaux respectifs.
• La sécurisation du cadre réglementaire de l’encadrement supérieur et les compétences de l’État à travers une gestion, une organisation, un statut spécifique et une charte en vue de l’émergence d’une véritable élite nationale en mesure de préserver les destinées du pays et représenter un contre pouvoir nécessaire face à toutes les dérives et la mauvaise gouvernance et le harcèlement de tous bords.   

En conclusion l’émergence d’un projet novateur algérien en matière de management public, basé sur la réforme des institutions de l’État, est une des priorités du moment avec notamment l’introduction de nouvelles expériences et approches en matière de gouvernance publique et de relations partenariales et managériales permettant de faire émerger un nouveau modèle de management public algérien salvateur pour le pays et pour les générations futures et surtout pour la survie de l’administration publique algérienne consolidée en cela par une ressource humaine qualifiée et d’excellence que nous devons protéger et encourager.

Aujourd’hui, même si le constat est amer, que la situation s’aggrave de jour en jour, les solutions intelligentes et innovantes existent, et il est temps d’agir pour la sauvegarde et la reconstruction de notre administration publique principale pilier des institutions de l’État et réhabiliter par la même la ressource humaine qualifiée comme facteur de stabilité, de garantie et d’espoir pour les générations futures. 

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