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Pourquoi il faut rester vigilants

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Abdelhak BENDIB Publié 21 Avril 2021 à 01:00

Par : Dr Abdelhak BENDIB 
épidémiologiste

Le contexte favorable actuel de la Covid-19 en Algérie et dans la plupart des pays d’Afrique en particulier ne s’expliquent pas aisément par certains facteurs climatiques et socioéconomiques, et le contrôle de cette maladie ne passe pas par l’immunité collective conférée par le virus - utopie que tous les pays ont actuellement abandonnée -, mais par la vaccination. 

Il faut avouer que l’évolution épidémiologique actuelle de la Covid-19 en Algérie est surprenante. Au moment où, dans une très grande partie du monde, notamment en Europe et dans les pays les plus peuplés d’Asie (en dehors de la Chine) et d’Amérique du Sud, se développe une sévère troisième vague, en Algérie et dans d’autres pays d’Afrique, et à un degré moindre d’Asie, l’évolution de la situation épidémiologique est plutôt favorable et stable. Cette situation heureuse est d’autant plus étonnante que tout le monde craignait, à juste titre, une recrudescence importante des cas pour au moins trois raisons. La première est la circulation de plus en plus importante de plusieurs variants du virus, dont le variant anglais, hautement grave et contagieux. La deuxième est le fait de la quasi-absence actuelle des mesures de prévention (peu de respect des règles barrières, levée de pratiquement toutes les autres mesures préventives de confinement et autres). La troisième est due au fait que ces pays, dont l’Algérie, sont ceux qui vaccinent le moins pour ne pas dire presque pas du tout. Cette situation n’a pas manqué de susciter ces derniers temps, en Algérie et dans le monde, un début de réflexion et des commentaires de la part aussi bien de scientifiques que des autorités sanitaires à différents niveaux.

Si certains de ces avis restent en faveur de la prudence, craignant une possible recrudescence importante des cas, d’autres par contre se sont focalisés sur des explications centrées en particulier sur l’immunité collective acquise au contact du virus et sur un ensemble de conditions socioéconomiques. Notons au passage et positivement l’abandon presque unanime, en Algérie, du recours à la notion de “responsabilité/irresponsabilité” de la population que l’on a excessivement malmenée depuis le début de l’épidémie, pour expliquer les changements de situations épidémiologiques de la Covid-19 en Algérie. 

Force est de reconnaître que l’analyse du déterminisme de cette situation est loin d’être aisée pour au moins deux raisons. D’une part, parce qu’il s’agit d’une maladie émergente qui présente à ce jour beaucoup plus d’inconnues que de caractéristiques scientifiquement prouvées. D’autre part, à cause de son fort caractère social, rendant encore plus complexe son analyse. Comment alors aborder la réflexion dans ce contexte ? Plusieurs options existent. L’idéal serait d’identifier les causes directes de cette situation favorable. Cette option avec son parti pris positiviste est malheureusement le chemin le moins aisé. Ni nos connaissances scientifiques actuelles sur la maladie ni le champ social complexe dans lequel baigne cette maladie ne permettent facilement un tel choix. Par contre, essayer de faire avancer cette réflexion sur ce qui ne peut ou ne pourrait être une cause de cet état nous semble la voie la plus réaliste et la plus constructive. Dans cette démarche, parmi tous les facteurs qui peuvent intervenir, nous nous attarderons uniquement sur deux d’entre eux, ceux qui nous paraissent actuellement les plus discutés, voire les plus controversés. D’une part, les facteurs climatique et socioéconomiques et, d’autre part, la notion d’immunité collective conférée par le virus.

À propos des facteurs socioéconomiques, nous retenons surtout les hypothèses avancées par l’Organisation mondiale de la santé. Initialement, cette organisation a prédit une hécatombe par la Covid-19 en Afrique. Puis, ne la voyant pas arriver, elle s’est empressée d’essayer d’expliquer ce résultat inattendu. En résumé, selon elle, cinq facteurs auraient contribué à éviter cette hécatombe : un climat chaud et humide, une atteinte tardive de l’Afrique, une faible densité de la population, une moindre circulation des personnes et une population plus jeune. Au premier regard, nous ne pouvons pas ne pas nous interroger sur le bien-fondé de cet argumentaire. Tous ces facteurs existent d’une façon presque similaire dans d’autres continents (Asie, Amérique du Sud) sans pour autant qu’ils aient empêché la survenue d’épidémies très sévères. Bien au contraire, la pauvreté, la concentration des populations dans des villes et bidonvilles, la taille relativement plus importante des ménages (lieu de forte transmission), sont parmi d’autres facteurs péjoratifs qui auraient dû contribuer à l’éclosion de sévères épidémies.  

À propos de l’immunité collective, plusieurs en Algérie se sont lancés d’une façon hasardeuse sur des explications qui font intervenir entre autres une relation causale impliquant cette immunité collective pour expliquer cette situation favorable du pays. Cela relève à notre avis d’une simplification presque outrageante. C’est précisément cette immunité collective qui semble la moins probable pour expliquer cette situation. Mais avant d’entrer dans le vif du sujet sur la grande improbabilité de cette cause dans l’amélioration de notre situation épidémiologique, il faut au préalable lever une grande confusion. La plupart des intervenants parlent de cette immunité collective comme s’il s’agissait d’une théorie de morbidité, c’est-à-dire le résultat du contact des personnes avec l’agent infectieux impliqué. Cette théorie est infondée.

L’immunité collective est une théorie vaccinale. C’est dans le cadre de la vaccination contre les maladies immunisantes que ce concept est né. Cette réponse immunologique à un vaccin étudié, testé et standardisé a été instinctivement confondue à tort avec celle qui est acquise naturellement par les individus au contact d’un agent infectieux. Les taux de séroconversion protecteurs auxquels on se réfère (70% à 95% selon les maladies) sont des taux d’immunité vaccinale que l’on ne peut extrapoler machinalement à ceux conférés par l’infection. Bien que cette théorie soit séduisante, la réalité au moyen cours a manqué de lui restituer l’espoir qu’elle a suscité. Les nouvelles connaissances acquises sur la Covid-19 et l’observation de l’évolution de sa pandémie depuis son début nous fournissent beaucoup d’arguments loin d’être en sa faveur. Et sans passer en revue l’ensemble de ces arguments, nous allons insister sur les principaux d’entre eux qui peuvent être regroupés en deux catégories, d’une part, ceux qui sont fournis par l’histoire de la maladie et, d’autre part, ceux qui sont issus des connaissances actuelles sur l’immunologie de cette maladie. Au plan de l’histoire de la maladie, au moins trois observations méritent l’attention.

La première est le fait que les pays qui ont adopté officiellement cette théorie dès le début de la pandémie ont essuyé un échec important, les obligeant à l’abandonner et à réviser leur stratégie en faveur du confinement et du respect des gestes barrières. L’augmentation insoutenable des décès par Covid-19 dans les populations à risque (personnes âgées, malades chroniques...) au cours de la période de mise en œuvre de cette théorie de l’immunité collective a été un trait malheureux marquant qui aurait pu être évité. La deuxième observation est algérienne. Le pays, dès le début de l’épidémie, a opté et mis en place des mesures de prévention importantes (confinement, gestes barrières, fermeture de tous les milieux confinés possibles, interdiction de tout rassemblement, fermeture des frontières et quarantaine) qui ont contribué certainement à limiter la circulation du virus et par conséquent le développement d’une immunité de contact.

Enfin, la troisième observation est plus récente. Devant une accalmie importante de l’épidémie dans deux grands pays, le Brésil et l’Inde, on n’a pas manqué d’invoquer comme explication la possibilité d’une immunité collective. Quelques semaines après, cette hypothèse fut complètement désavouée ; l’épidémie ayant repris sévèrement et les deux pays affichent actuellement des taux d’incidence parmi les plus élevés dans le monde. Au plan immunologique, bien que dans ce domaine nos connaissances soient en perpétuelle amélioration, il se dégage actuellement un consensus sur au moins deux aspects. Le premier est l’immunité éphémère conférée par tous les coronavirus humains qui explique en particulier les réinfections notamment au cours des épidémies de grippe saisonnière. C’est pourquoi, pour l’heure, la seule arme contre ces infections saisonnières reste la vaccination.

Le deuxième est lié au fait qu’après contact avec le nouveau coronavirus, la présence et la persistance d’anticorps sont d’autant plus faibles et donc moins protectrices que l’infection est d’autant plus bénigne ou inapparente. Or, ces deux formes d’infection regroupent environ 80% des cas de Covid-19. En définitive, le contexte favorable actuel de la Covid-19 en Algérie et dans la plupart des pays d’Afrique en particulier ne s’expliquent pas aisément par certains facteurs climatiques et socioéconomiques, et le contrôle de cette maladie ne passe pas par l’immunité collective conférée par le virus, utopie que tous les pays ont actuellement abandonnée, mais par la vaccination. 

Une course contre la montre est engagée pour vacciner au moins 70% de la population dans tous les pays. L’Algérie, qui a prêché, à cet égard, l’excès de prudence mais qui a surtout manqué de clairvoyance et de rigueur dans l’analyse de la situation, est actuellement pratiquement hors course. Avec l’acquisition de moins de 700 000 doses de vaccin au total à la date de ce jour pour plus de 44 millions d’habitants, le retard est énorme. Ce dernier sera difficile à combler à court terme, dans un monde marqué plus que jamais par une inégalité et une injustice scandaleuses sur l’accessibilité aux vaccins. Il reste les mesures de confinement mais sur lesquelles il sera difficile de revenir devant une éventuelle aggravation de la situation épidémiologique, tant les conséquences économiques et sociales qu’elles entraîneraient seraient lourdes et difficiles à supporter par le pays.

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