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Que veulent les 15-29 ans ?

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Ali CHÉRIF Publié 18 Décembre 2021 à 17:28

Par : CHERIF ALI
ANCIEN CADRE SUPÉRIEUR DE L’ÉTAT 

On ne convie ces jeunes ni aux “assises” organisées soi-disant en leur honneur ni aux “décisions” censées éclairer le chemin de leur futur ! Et  quand  ils  se  mettent  à  bouger les lèvres pour nous recracher leur désarroi, on les comble de cadeaux empoisonnés de l'Ansej, ou on les caresse dans le sens du poil, leur rappelant leur épopée d'Omdurman !

“En grandissant, les jeunes  d'aujourd'hui  ont  découvert  les  vertus de la rapine, de la force et de l'obédience. Ils ont perdu de vue l'effort, le civisme et la dignité.” (Mustapha Hammouche)

Le plus dur, pour eux, maintenant, est de se retrouver face à des aînés qui n'ont rien à transmettre. Ces derniers, anciens combattants d'une Guerre de libération, souhaitent demeurer entre eux, même s'ils évoquent dans leurs discours, sans trop y croire, une (improbable) transmission du “flambeau”. Cette génération a, en définitive, reproduit ce qu'elle avait singulièrement et sincèrement combattu : la confiscation du langage au profit d'une caste jalouse de ses privilèges. Il est significatif de rappeler que le seul héritage manquant de cette génération est “l'art de ne rien dire et de ne pas écrire” ! Pourtant, les anciens militants adorent raconter des tas d'histoires, mais jamais leur histoire personnelle, à croire que celle-ci n'est pas à même de les valoriser. Aujourd'hui, pour eux, et c'est leur dilemme, se retrouver un individu, une personne isolée, après avoir tant cru au salut collectif est la pire des épreuves. Il leur faudrait naître à nouveau et naître amputé !
Pour les jeunes, les 15-29 ans notamment, il reste beaucoup à faire, non seulement au plan social, mais aussi au plan générationnel. Sinon comment expliquer, que 52 ans après l'indépendance, un jeune algérien sur cinq ne connaît de la Guerre de libération que les récits familiaux, ou ce qu'il suit, cycliquement, à la télévision, comme reportages redondants sur les maquis ou les hommes qui ont fait la Révolution. Il faut avoir le courage d'admettre, aujourd'hui, que ce qui était charnel pour les moudjahidine n'est plus qu'un “ouï-dire” pour les 15-29 ans, tant que l'histoire, celle du pays, n'est ni écrite ni enseignée correctement !
Au pourquoi de cette triste réalité, le sociologue Nacer Djabi croit savoir que le problème est démographique et lié aux générations. La première, celle de 1954 qui a libéré le pays du colonialisme “a trop duré dans le pouvoir” et “fermé, politiquement, toutes les portes aux générations suivantes”. La deuxième est majoritairement issue de la classe moyenne et constituée de cadres, “cette génération qui a une relation ambigüe avec la première et qui s'est embourgeoisée, qui n'arrive pas à tuer le père et ne croit pas en ses capacités de gestion des affaires politiques, n'étant formée qu'en gestion administrative”. La troisième génération est, quant à elle, celle “qui ne croit pas aux valeurs du nationalisme prônées par la première génération et est d'ailleurs entrée en conflit en maintes reprises, avec elle (1988-1992)”.

Qui sont-ils, ces 15-29 ans ?
Ces jeunes – dont 2% seulement d'entre eux adhèrent à des partis politiques – sont sans doute les premières générations livrées à elles-mêmes, sans autorité à affronter ni valeurs à contester. Déjà, ils ont quitté prématurément l'école ; ils n'ont ni le savoir ni les clefs leur permettant d'entrer dans la vie active. Ils ont aussi rompu les amarres avec leurs parents, donc plus de repères possibles, encore moins un quelconque soutien matériel de la part de ces derniers. La fracture générationnelle est consommée déjà dans la structure familiale !
Le fossé se creusera davantage, les jeunes estimant dans leur globalité, aujourd'hui plus que jamais, qu'ils n'ont pas eu la part de pétrole qui leur revient ou les postes de commandement auxquels, légitimement, ils aspirent 52 ans après l'indépendance, et qui exigent une “transmission générationnelle du pouvoir” maintenant.
Les journaux leur consacrent des dossiers, certains leur trouvent, encore, des “valeurs” ; d'autres, tout en pensant que ces jeunes possèdent la “débrouillardise” qui leur permettrait de s'en sortir quoiqu'il advienne, reconnaissent, globalement, que les jeunes souffrent d'une absence de reconnaissance sociale. On ne plaide jamais leur cause ; on les entend, certes, crier, mais on ne les écoute pas !
On ne les convie ni aux “assises” organisées soi-disant en leur honneur ni aux “décisions” censées éclairer le chemin de leur futur !
Selon Kamel Guerroua, “on ne sait pas ce qu'on doit faire de nos jeunes, ces bourgeons d'avenir qu'on a élagués, voire brisés avant qu'ils n'aient pu donner leurs fruits, qu'on a fait fuir ou que l'on laisse souvent traîner dans les rues, sans aucun autre bagage que la ‘leguia’, le spleen et le mal-être” !
Et quand ces jeunes se mettent à bouger les lèvres pour nous recracher leur désarroi, on les comble de cadeaux empoisonnés de l'Ansej, ou on les caresse dans le sens du poil, leur rappelant leur épopée d'Omdurman !
Aujourd'hui par exemple, à la question posée “Et la jeunesse”, on vous répond : “Quelle jeunesse, la jeunesse perdue ?” Pourtant, les jeunes sont partout dans la rue, jour et nuit, dans les cybers, bus, voitures, marchés, stades, sans oublier les murs et les halls d'immeubles qui restent leurs endroits de prédilection, et leurs bases arrières.
Le système éducatif, quant à lui, a bonne conscience et s'en sort quitte ; il est certes décrié, mais il continue néanmoins à remplir l'objectif républicain qui lui est assigné, à savoir “l'école obligatoire jusqu'à 16 ans”.
Les 15-29 ans qui n'ont été intégrés ni dans le système éducatif ni enrôlés par le marché de l'emploi se partagent la rue, se disputent, violemment, les parkings sauvages et, conséquemment, encombrent les tribunaux.
Des stages de formation professionnelle semblent être la solution pour certains ; pour d'autres, c'est les affaires ou l'emploi informel, mais sans les fameux “marchés parisiens” promis par Daho Ould Kablia à son époque ; quand ce n'est pas le trafic de drogue qui permet aux délinquants “jusqu'au-boutistes” d'afficher une réussite aussi factice que dangereuse dans ce qu'elle peut susciter comme tentation chez les plus jeunes.
Mais dans l'absolu, tous ces jeunes s'accordent à dire que seul l'emploi peut les stabiliser dans leur vie de tous les jours ; ils ne s'interdisent pas de rêver, qui d'avoir un logement ou, pour tel autre, cerise sur le gâteau, se marier !
Alors, posons-leur encore une fois la question : “Avoir un logement, une fois que vous serez mariés ?” “Non, non ! Avant, sinon ce n'est pas possible, car avec la famille ça ne marchera pas !” 
Ces jeunes veulent vivre leur temps et se construire en dehors du cocon familial : travail- logement, ces deux mots sont dits à l'unisson, le mariage suivant de très près. Et, entre les deux souhaits ainsi formulés, les voyages et la découverte du monde pour ceux qui arrivent à avoir le visa !

Y a-t-il une violence des jeunes ?
La réponse est oui : les jeunes deviennent de plus en plus violents ; une violence stupide et barbare ou encore gratuite, une sauvagerie inouïe. Le même lexique ressort, d'ailleurs, dans les médias à l'occasion de chaque fait divers les impliquant. Et chacun d'entre nous peut s'identifier aux victimes puisqu'elles n'ont rien fait pour mériter cela.

Et le nombre de jeunes mineurs mis en cause dans des événements dramatiques augmente bel et bien, ce qui a amené certains spécialistes à parler d'une “violence enragée” pour rendre compte de cette violence qui parait à la fois sans motivation et sans objet défini – “l'houl pour l'houl” – même s'il faudrait être quelque peu prudent dans cette affirmation dès lors que l'augmentation de la violence chez les jeunes n'est pas démontrée par les experts et il est certain que les actes commis sont le fait d'une petite minorité, des “refuzniks” qui en viennent même à contester l'autorité de l'État !

Quel est le profil de ces jeunes ?
Une étude du Groupe de recherche en anthropologie sociale (Gras), soutenue par le Fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) réalisée par le ministère de la Santé avec l'ONS et la Ligue des Etats arabes, rendue publique en juillet 2004, révèle que :

1 - 9% des jeunes célibataires, âgés entre 15 et 29 ans, sont analphabètes.
2 - 32,5% exercent une activité économique marchande, dont seulement 13,2% sont de sexe féminin.
3 - 30% des jeunes estiment que leur état de santé est médiocre.
Les jeunes en âge de voter représentent quelque 45,12% du corps électoral ; les abstentionnistes se recrutent, globalement, dans leur catégorie. Les “baltaguias” aussi !
Comme première mesure – résultat de l'enquête du Groupe de recherche en anthropologie de l'université d'Oran – il a été préconisé “la création d'un centre géré par une équipe pluridisciplinaire et le FNUAP”. En attendant la mise en place de ce centre, la jeunesse manque tellement d'identité qu'elle absorbe, aveuglément, tout ce qui s'aventure dans son orbite ; faute de pouvoir la définir, on en est réduit à la caricaturer et à faire l'inventaire de tout ce qu'elle happe et qui disparait en elle sans laisser de trace.Selon un chroniqueur, “l'effet baril de pétrole a enfanté toute une génération à la morphologie reconnaissable de loin : cheveux taillés en ailerons de requin, yeux petits et fureteurs, bras mous sans os, corps glissants, sang-froid comme celui du reptile veuf, la génération Ibiza blanche”. 
Enfermée dans le maraudage, sans but que le petit instinct sous l'aisselle ; et ce n'est pas fini : la rente, Ansej et argent gratuit vont produire d'autres monstres flasques pour les prochaines décennies !

De quoi la jeunesse s'inquiète-t-elle au juste ?
De s'ennuyer, de ne croire en rien, surtout pas les politiciens, de ne pas savoir quoi faire de son temps libre en dehors du stade, défouloir par excellence ?

La jeunesse n'a pas de repères, elle vit à l'intérieur d'un gigantesque aquarium plongé dans la pénombre. Elle rêve éveillée, songeant, parfois à l'aide de substances illicites, à des cieux lointains qu'elle ne connaît pas. Elle s'imagine qu'elle les parcourt déjà, en reine des lieux, mais les lumières n'ont qu'un temps et lorsqu'elles s'éteignent, elle retrouve la réalité de l'aquarium et se rendort dans sa grisaille délestée, tout en se morfondant sur son présent obscur, dans un pays regorgeant de pétrole.
Le “jeune” parle et agit en “jeune” : isolement sans conséquence ; comment ferait-il autrement dès lors qu’il est exclu du débat qui se déroule par devers lui ? Il a grandit dans l'aquarium et, pour lui, la vie ne se détache pas du simulacre. Tout est mensonge pour lui !
Les enquêteurs du Gras ont certainement demandé au panel des “70 jeunes Oranais”, avec des trémolos dans la voix, s'ils croient en l'amour, en la liberté, en un monde meilleur...
Ces jeunes ont, certainement, répondu, “oui”, mais c'est avec l'enthousiasme pathétique du malade à qui l'on demande s'il souhaiterait être en bonne santé. 
Et les enquêteurs et experts de conclure : oui, la jeunesse a une morale ; non, elle n'a pas perdu tout espoir ; oui, elle croit aux “valeurs” ! Mais toutes ces certitudes qu'on aime l'entendre célébrer, elle les ânonne en vérité, la jeunesse, comme un enfant une “poésie” à laquelle il n'entend rien.

 

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