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Quels leviers pour l’économie de l’Algérie nouvelle ?

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M'hamed ABACI (*) Publié 10 Janvier 2022 à 08:49

Par : M'hamed Abaci
Ancien cadre financier à Sonatrach

Les différentes opérations d’assainissement financier et de recapitalisation effectuées par le passé au profit des entreprises et des banques publiques n’ont pas porté leurs fruits. Les entreprises publiques restent déficitaires et traînent des dettes et des découverts bancaires colossaux. Le taux de chômage est passé de 12% à 15% de la population active, alors que l’inflation dépasse aujourd’hui 10%.

Dans un message de vœux à l’occasion du nouvel an 2022, le président Abdelmadjid Tebboune a affirmé que la nouvelle année sera consacrée à l’économie, dans une Algérie nouvelle. Un thème-clé de société qui, bien évidemment, mérite qu'on jette un regard sur le passé, le présent et le futur pour une objectivité stratégique, pour une Algérie que nous percevions en devenir un pays émergent dans l'histoire du cinquantenaire de l'indépendance. En effet, avec l’avènement du programme anti-pénurie (PAP), le rythme des investissements dans l’industrie est tombé de 50% en 1967-1977 à 35% en 1980-1984. Le service de la dette est passé, entre 1980 et 1989, de 32% à 75% du PIB.

C’est l’un des points chauds sur lequel il convient de se questionner sur l’avenir socio-économique du pays, notamment pour une meilleure place de l’Algérie dans l’économie mondiale. On a besoin de la création d’un super-ministère de l’Économie couplé à celui des Finances pour être plus opérationnel et devenir la locomotive de l’économie nouvelle et des réformes structurelles. 
L'Algérie n'a pas encore atteint son indépendance économique en dehors des hydrocarbures, alors que c’est un territoire de 2 381 741 km2 – le plus vaste d’Afrique et cinq fois plus grand que le territoire français – et, enfin, un grand pays de gisements de matières premières et d’énergies renouvelables, de potentialités agricoles et industrielles, qui peut sans problème développer son industrie de transformation. Faut-il rappeler qu’en 14 ans, la politique économique des années 1970 a transformé la société et jeté les bases de l’industrialisation du pays. Notamment, l'Algérie s'est dotée d’une plateforme industrielle importante avec la création de près de 70 zones industrielles et de milliers d’entreprises nationales et locales ; elle a accru sa puissance régionale et son influence au point où elle est devenue l'une des puissances économiques les plus importantes d’Afrique, du Monde arabe et du Tiers-Monde. Cette évolution rapide de la société algérienne et l'émergence d'une classe moyenne dominante et productive ont fait que l'Algérie était devenue économiquement, socialement et culturellement plus avancée au plan économique qu'aujourd'hui. 

Une législation économique surchargée
Dans ce contexte, on vit dans une culture politique selon laquelle l’économie c’est l’État, alors que nous sommes censés être dans une économie de marché depuis l’avènement de la Constitution de 1989. C’est ainsi qu’il n’est pas normal que l’État continue à intervenir à la place du marché et de l’entreprise, dans la mesure où nos entreprises et nos banques continuent à évoluer avec le marché intérieur tiré par la dépense publique. 
Les déficits budgétaires quasi-chroniques de ces trois dernières décennies représentent chaque année entre 9 et 20% du PIB, alors que les déficits budgétaires doivent être votés et gérés à 3% du PIB, voire l’explosion de la dette publique qui représente près de 60% du PIB. C’est un effet destructeur des finances publiques, dont notamment les équilibres monétaires sont grandement touchés, à savoir l’assèchement de l’épargne publique, le recours massif à la planche à billets et près de 50% de la masse monétaire hors circuit bancaire. 
Par contre, le résultat budgétaire positif étant en fait une garantie de solvabilité vis-à-vis des investisseurs et du marché financier en général. “Près de 90% des crédits destinés aux entreprises, qui proviennent des banques publiques via la rente pétro-gazière, ont atteint à fin mars 2021, un encours de 9711 milliards de dinars.” 
Il en ressort autant de questions qui reviennent aujourd’hui. D’une part, l’économie algérienne entame sa 33e année de libéralisme économique, mais notre économie demeure imparfaite et petite dans un environnement générateur d’un climat des affaires bureaucratique étouffant, à l’heure où l’économie est celle d’un monde globalisé. D’autre part, l’on sait que l’Algérie a une législation économique et financière surchargée et instable, tantôt de droit public, tantôt de droit privé, ce qui affaiblit l’économie, les stratégies et les performances de nos entreprises. 
Ceci dit, l’économie ne se décrète pas, elle se crée et se développe avec le capital humain.
Très dépendante des hydrocarbures et loin d’une économie qui transforme la rente en richesse nationale durable, l'Algérie doit faire face à de nombreux défis, dont le plus important est économique. Elle présente un tableau de bord des plus inquiétants et inédit, à savoir un besoin de pas moins de 2 millions d’entreprises de taille PME/PMI pour faire face aux retombées de la crise énergétique mondiale. En outre, la structure de notre économie est dominée par l’importation et les personnes physiques, qui représentent près de 90% (commerces et services) et seulement 10% en tant que personnes morales (sociétés), c’est-à-dire que c’est le commerce de bazar qui domine l’économie nationale. Et une monnaie nationale dépendant à 90% de la rente pétro-gazière et une très faible bancarisation, car près de 45% de la masse monétaire est dans le commerce informel. 
Pour rappel, le secteur industriel, dont l'impact économique et financier est douloureux, est passé de 18% du PIB dans les années 1970 à 10% en 1996 pour chuter à 5 % en 2000 et un taux d'intégration de 15% qui reste très faible, contre 40%, voire 80% dans le secteur de la mécanique. 
L’agriculture, fortement subventionnée, ne contribue qu’à hauteur de 12% du PIB, dont la productivité reste faible et dans sa quasi-totalité versée dans l’informel. 
La fiscalité ordinaire, demeurée très faible avec une part contributive qui tourne autour de 22% du PIB, s’avère très peu rentable pour le budget de la nation ; elle est subie surtout par les salariés et les retraités dont la contribution dépasse celles des entreprises (impôt sur les bénéfices des sociétés) et des professions libérales (IRG des non-salariés). La productivité du travail ou de l'efficacité économique par heure est de 60 euros dans les pays développés et émergents, alors qu'elle est de 6 euros en moyennedans notre pays. 

En panne d’investisseurs
Le secteur public souffre de sérieux problèmes de gouvernance et de management, et le secteur privé, longtemps demeuré réduit, n’arrive toujours pas à créer une économie de l’offre et de l’innovation. 
Les différentes opérations d’assainissement financier et de recapitalisation – des milliards de dinars à la charge du Trésor public – effectuées par le passé au profit des entreprises et des banques publiques n’ont pas porté leurs fruits. Preuve en est que les entreprises publiques demeurent déficitaires et traînent des dettes et des découverts bancaires colossaux. Le taux de chômage est passé de 12% à 15% de la population active. L’inflation, selon nos estimations, dépasse aujourd’hui les 10%. Les transferts sociaux et subventions – le pays dépense annuellement près de 20% du PIB – sinon la pauvreté serait plus forte en Algérie. 
Contrairement aux pays voisins, le secteur économique algérien éprouve du mal à attirer les investisseurs et à concrétiser ses objectifs sur le terrain. Il va sans dire que la transition socioéconomique pour conduire le pays vers une nouvelle étape, celle de l’après-pétrole, est l’une des tâches les plus nécessaires, mais aussi l’une des plus difficile. 
A notre humble avis, l’ère du tutorat sur les entreprises est révolue, il y a urgence à mettre de l’ordre dans notre système de gouvernance économique et publique et à sortir de la confusion des rôles et les responsabilités entre l’État, l’entreprise et le marché pour que la croissance soit l’œuvre des investisseurs et des entreprises industrielles. Comme aussi la relation entre le contribuable, l’entreprise, le citoyen et l’État est de type rentier. En effet, notre économie est demeurée gouvernée et gérée à tous les niveaux par l’argent de la rente des hydrocarbures, qui représente près de 50% du PIB, 60% des revenus fiscaux et 97% des exportations. 
Est-il besoin de souligner qu’il est temps que l’on définisse en toute transparence la place de la rente des hydrocarbures dans notre politique budgétaire et la fin de la forte étatisation de notre système économique et financier, dans le souci de prendre le chemin d'une bonne relance socioéconomique. Aujourd'hui, les bons dirigeants économiques, financiers et gestionnaires sont ceux qui en savent utiliser les marges de manœuvre et les atouts dont ils disposent pour servir au mieux les intérêts du Trésor public, de leurs entreprises et de leurs actionnaires, en donnant une image fidèle, qui correspond à la réalité économique du pays sur les marchés à l’international. Les conseils d’administration doivent exercer leur métier de manager plus attaché à l’esprit d’entreprise et, par conséquent, augmenter leur pouvoir d’action dans l’économie nationale et à l’international. 
Ce sont les grandes faiblesses de l'économie algérienne. À titre d’exemple, en novembre 2017 a été décidé le recours massif à la planche à billets ; 6 556,2 milliards de dinars, l’équivalent de 50 milliards de dollars, ont été mobilisés par le Trésor public auprès de la Banque d’Algérie. 
Pourtant, l'économie macro-économique donne au gouvernement et aux élus les moyens de leurs politiques économique, budgétaire, monétaire et fiscale pour diminuer la dépense publique et augmenter la ressource publique par le jeu du marché des capitaux.
Mais, pour relever ce défi, “l’Algérie a besoin d’un modèle aux valeurs humaines au service de la nation et du peuple”. Elle doit se doter d’une politique de développement de la connaissance de l’entreprise et non plus de l’exploitation et de la transformation de ressources naturelles via la rente. L’Algérie a besoin d’un véritable projet socioéconomique, dont ses socles sont la démocratie économique et le libéralisme économique, qui doivent viser un cadre juridique fiable et transparent. 
Cependant, le droit des affaires ne puise ses règles essentielles dans le code du commerce, notamment, n’est pas encore une matière autonome en Algérie, car certains de ses éléments – à l’exemple de l’acte de gestion – subsistent dans les autres codes : code de procédure pénal, code de procédure civile et également dans des textes et lois particuliers (code des marchés publics, loi de finances…), ce qui entrave l’action des cadres dirigeants d’entreprise. C’est dire que l’Algérie n’a pas besoin, aujourd’hui, d’un code des investissements, mais d’édifier un droit des affaires réformé et fiable, applicable aux sociétés, fondé sur une justice séparée, notamment par la création de tribunaux du commerce avec des magistrats spécialisés dans le droit des affaires, un facteur-clé de confiance pour les investisseurs (IDE) et les actionnaires. 
Une refonte incontournable, consacrant la prééminence de l’économique et la liberté d’entreprendre sur le juridique et le fiscal. Pourquoi ? Parce que l’entreprise est soumise à une responsabilité économique et financière, c’est pourquoi il faut donner une grande place à l’investisseur, à l’entreprise et garantir une sécurité juridique, économique et financière dans une économie de marché prônant la liberté d’action et d’initiative. 
Tel est le fondement de l’ordre économique mondial que nous vivons aujourd’hui pour construire la nouvelle économie en Algérie.

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