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Se remettre de la vie de ministre, est-ce possible ?

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Rédaction Nationale Publié 05 Février 2021 à 20:34

Par : CHERIF Ali 
         Ancien cadre supérieur 

“C’est la question existentielle qui se posera dans les semaines et mois qui suivront à la cohorte des ministres limogés suite au remaniement gouvernemental qu’on dit imminent !” 

Du jour au lendemain, après avoir goûté l’ivresse et le poids de la fonction, tout s’arrête. Rarement de manière consentie ! Après de longues années à occuper des postes ministériels, certains membres du gouvernement, qui compteront parmi les sortants, auront du mal à s’accoutumer à leur nouvelle vie. Plus de voiture de fonction, encore moins de chauffeur ou gardes du corps. Le quotidien va redevenir “normal” pour eux. 

Si, pour certains d’entre eux, cette nouvelle vie est difficile à appréhender du fait des regards de la société, des amis et de la famille ; pour d’autres, par contre, la réintégration dans la “vie civile” se fera sans heurts. Mais avant d’aborder cela, arrêtons-nous un instant sur la question du jour : 

Quelle est la durée de vie d’un ministre ?
La fonction de ministre est éphémère, et beaucoup de ministres l’ont appris à leurs dépens. En moyenne, ils restent en poste deux ou trois ans.
Aujourd’hui, avec les multiples remaniements gouvernementaux, les erreurs de casting, les révocations pour faute grave et les démissions pour cause de maladie, la durée en poste d’un membre du gouvernement est limitée ; pour autant, certains ont réussi à rester en place plus de 10 ans (Boubekeur Benbouzid, par exemple). 
 
Beaucoup d’entre eux, à coup sûr, vont rejoindre la cohorte des anciens ministres installés à l’étranger !
À croire les statistiques, sur 700 anciens ministres ou députés, 500 pour le moins ont fait le choix volontaire d’aller vivre à l’étranger, en Europe ou dans les pays arabes. Ceci étant dit, nos responsables, une fois de l’autre côté de la Méditerranée, s’arrangent pour se faire recruter comme consultants, et cadres d’entreprises “performants” pour ce qui concerne les anciens de la Banque d’Algérie, PDG et autres cadres de Sonatrach.
Mais on les retrouve aussi dans des métiers plus surprenants comme le commerce, l’hôtellerie, la restauration et même la boucherie halal !
Au pays, il faut le dire aussi, d’anciens ministres moins chanceux, une fois débarqués du gouvernement, restent confinés chez eux à broyer du noir, au moment même où leurs collègues, plus introduits, sont revenus à la politique par la députation ! 

En 2007 par exemple, 17 ex-ministres ont été élus à l’APN ; d’autres, plus chanceux, ont bénéficié de “parachutes dorés” : Djamel Ould Abbès, Saïd Berkat, Nouara Djaaffar, Hachemi Djiar entre autres et aussi Boubekeur Benbouzid, celui-là même qui a occupé le poste de ministre de l’Éducation nationale pendant plus de 15 ans, avec le résultat que l’on sait ! 
Ils ont été désignés dans le tiers présidentiel, au Sénat.

Y a-t-il une vie après “ministre” ?
Des cabinets, aux postes de ministre, des personnalités politiques ont réussi à mettre leur expérience et leurs réseaux à contribution des partenaires privés ou publics désireux de développer un projet. L’exemple d’Hubert Védrine, l’ancien ministre des Affaires étrangères français, est à ce titre élogieux ; il a décidé de quitter la politique en 2007, après l’échec à la présidentielle de Lionel Jospin. Il a rejoint le secteur privé où il a créé, avec succès, une société de “conseil en géopolitique et en stratégie internationale”.

Tout comme lui, l’Algérien Lakhdar Brahimi s’est inscrit dans la même trajectoire. Ancien ministre des Affaires étrangères, secrétaire général adjoint de la Ligue arabe et de l’ONU, il a été aussi “envoyé spécial” en charge de nombreux dossiers, ce qui ne l’a pas empêché par la suite de trouver les ressources nécessaires pour enseigner à “science-po Paris”.

Son exemple reste tout de même exceptionnel, car pour beaucoup d’anciens ministres, passer d’un rythme de travail épuisant à une vie normale est en soi une épreuve dans les jours qui suivent la passation des pouvoirs. Le retour au quotidien peut-être très difficile pour certains d’entre eux, voire pire, car la mention “ancien ministre” sur leur CV se révèle être un handicap plutôt qu’un atout.

À l’heure justement où on évoque un changement de gouvernement, certains ministres en perdent le sommeil. D’autres, convaincus qu’ils ne feront pas partie du prochain staff ministériel, ont commencé déjà à préparer leurs cartons. 
Ils auront à abandonner, en un éclair, les dossiers en cours, la voiture avec chauffeur, la villa au Club des Pins et, surtout, passer de la lumière à l’ombre et des honneurs au téléphone qui ne sonne plus !

Dure la vie d’un ministre ? 
Peut-être pas, mais la chute n’est pas sans conséquence sur leur personne, voire leur propre entourage. 
Un ex-ministre, Kamel Bouchama en l’occurrence, racontait ainsi son éviction : “Tu fais du bon travail, lui avait dit le président Chadli, mais je dois confier ton portefeuille à quelqu’un d’autre ; sois patient, tu auras de nouvelles responsabilités dans quelque temps”. 

Les mois passèrent et l’ex-ministre à eu tout le temps de mesurer le vide qui l’entourait et aussi de compter les journées, non sans entraîner femme et enfants, selon ses dires, dans une “ambiance neurasthénique” ; il a beaucoup fumé et souffert aussi de migraines et de lumbago. Son téléphone est resté muet, plus de 10 ans, jusqu’au jour où il a été nommé ambassadeur en Syrie.
De cette expérience traumatisante, il a tiré un livre qu’il a intitulé, à juste titre, “Mémoires d’un rescapé”. “Je l’ai écrit pour raconter l’affliction et les souffrances de tous les cadres de mon pays : dès qu’ils ne sont plus dans les bonnes grâces des décideurs, ils sont jetés, sans remord ni considération !”.

Est-il si dur de quitter le pouvoir ? 
Comment passe-t-on, du jour au lendemain, du statut de ministre à celui de citoyen lambda ? Après la disgrâce, la révocation ne peut-elle être que brutale ou, au contraire, le départ est plutôt synonyme de délivrance pour le ministre limogé ?
Toutes les réponses à ces questions sont à rechercher dans l’expérience éprouvante de cet ancien secrétaire d’État chargé de la communauté nationale à l’étranger. Il n’a pas eu droit à une audience, encore moins à une explication de son éviction du gouvernement. 

Il raconte que c’est Ahmed Ouyahia, le Premier ministre d’alors qui lui a annoncé, sèchement et brièvement la sentence : “Le Président a décidé de ne pas vous reconduire dans vos fonctions”. “J’ai reçu la nouvelle avec un pincement au cœur ; ce n’est jamais agréable de se faire congédier. Tout s’arrête subitement ! Il faut tout de suite préparer un projet de vie et surtout, ne pas se laisser aspirer par la vacuité qui s’installe après la fin de fonctions”.
 
Quitter le pouvoir, c’est un déchirement pour tous ceux qui ont eu à l’exercer
Certains sont anéantis, car la perte du statut de ministre est vécue comme une honte et une déchéance. Ceux qui s’accrochent aux privilèges dépriment, divorcent même, quand ils ne perdent pas leurs enfants. Ceux qui surmontent leur peine, deviennent invivables pour leur entourage. 

Comme s’ils étaient amputés d’une partie d’eux-mêmes ! Ceux-là n’aspirent qu’à revenir à tout prix, caressant l’espoir d’être rappelés de nouveau ; ils se résigneront très vite, contrairement aux revanchards qui rejoindront l’opposition regroupée autour notamment des ex-Premiers ministres.
Pendant ce temps-là, l’anglais Tony Blair était devenu conseiller d’une Banque internationale, l’Allemand, Gerhard Schröder est rentré comme consultant dans une grande firme internationale et le français Dominique de Villepin a ouvert un cabinet d’avocat ! Tout comme les ministres Jack Lang ou Luc Ferry qui ont repris leur chaire de professeur à l’université, ce qui a inspiré l’ancien ministre de la Formation et de L’enseignement professionnels El-Hadi Khaldi et bien avant lui Ahmed Djebbar, l’ancien ministre du président Mohamed Boudiaf, qui sont restés au pays, aux côtés de leurs étudiants qu’ils ont rejoints dès leur sortie du gouvernement.

D’autres anciens responsables se sont faits remarquer aussi par leur talent  
1. Karim Younès, par exemple, ancien ministre, ex-président de l’APN  et présentement médiateur de la République qui vient de publier un troisième livre intitulé “La chute de Grenade ou la nouvelle géographie du monde”.
2. Abdelkader Khelil, ancien délégué au développement économique et à l’aménagement territorial, écrivain lui aussi et auteur d’analyses politiques et économiques, aussi nombreuses que pertinentes.
3. Zinedine Sekfali ancien ministre, analyste et essayiste à succès.
4. Mohamed Benachenhou qui n’a de cesse de débattre, généreusement, de toutes les questions économiques et financières de l’heure.
5. Nour Eddine Boukrouh, qu’on ne présente plus ! Ancien ministre et ambassadeur, personnalité politique attachante, polémiste redoutable ; libre penseur, il se veut au dessus de la mêlée et ne se consacre qu’aux débats d’idées. Il a inventé le mot “ghachi”, qui depuis a fait l’objet de nombreux mémoires de fin d’études.

Tout ceci pour dire que les anciens ministres ne quittent pas spontanément le pays après leur départ du gouvernement et qu’en conséquence nul n’a le droit de leur jeter l’opprobre au motif fallacieux que “tous sont pourris !”.
En conclusion, pour un certain nombre de ministres qui quittent le gouvernement, c’est le soulagement !
Terminé les journées à cent à l’heure, le stress, les sollicitations du tout-Alger, voire du pays profond…
Pour d’autres, être ancien ministre, c’est s’asseoir à l’arrière d’une voiture et s’apercevoir qu’elle ne démarre pas : c’est le choc dont il sera difficile de s’en remettre ! 

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