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SORTIR DES SENTIERS BATTUS, EST-CE POSSIBLE ?

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Ali CHÉRIF Publié 02 Mars 2021 à 22:20

Par : CHERIF ALI
         ANCIEN CADRE SUPÉRIEUR

“ Le discours des walis et des ministres en visite sur le terrain des collectivités locales  reste  résolument  optimiste,  alors  qu'on  continue  par  exemple  à enregistrer  des  retards tant dans le lancement  des  projets  que  dans  leur réalisation.” 

La consommation des budgets alloués reste des plus faibles. Les taux de consommation des PSD et PCD ne dépassent pas, selon certains chiffres publiés dans la presse nationale, les 30% dans plusieurs communes ; ils n'atteignent pas 50% dans certaines wilayas !
À tout cela il faut ajouter l'absence de suivi des projets, leur faible maturation technique, ce qui a pour effet d'impacter négativement l'enveloppe allouée et qui conduit à des réévaluations plus que préjudiciables.
L'État central a pourtant injecté des centaines de milliards à travers les programmes quinquennaux de développement : programme de croissance économique, programme de relance économique PCRE et soutien à la relance PSRE. Gâchis, parfois gabegie, à croire que la machine de développement est grippée, à en croire Brahim Merad, chargé de mission à la présidence de la République, qui s’est engagé à éradiquer les 15 044  zones d’ombre recensées à travers le territoire national, ce qui a nécessité un budget de près de 188,42 milliards de dinars !
Est-ce à dire que les questions de bonne gouvernance se posent ?
Oui, disent certains, et avec elle il y a aussi cette interrogation concernant les nouvelles wilayas.
Répondant à une question orale concernant le retard dans la promotion de dix wilayas déléguées au rang de wilaya, dont la date limite était fixée au 31 décembre 2020, le ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire avait avancé l’argument de la crise sanitaire. 
“Il est clair que toutes les conditions sont réunies pour l’accession des circonscriptions administratives concernées par la promotion en wilayas déléguées, cependant les conditions sanitaires particulières que connaît le pays du fait de la pandémie de coronavirus, à l’instar du reste du monde, ont eu un impact négatif sur le déroulement de l’opération, ce qui a empêché l’achèvement des procédures d’installation de ces nouvelles wilayas”, avait-il affirmé.
Le ministre avait aussi mis l’accent sur la nécessité d’“une réforme globale de l’organisation territoriale et de la gestion administrative”. Ces réformes, indique-t-il, “devront déterminer, de manière précise, les compétences de l’État et des collectivités locales”. Selon lui, “la promotion des circonscriptions administratives dans le Sud vient concrétiser les engagements de l’État dans la prise en charge des préoccupations légitimes de la population de cette région”.
Kamel Beldjoud avait estimé que “cette promotion est à même aussi de donner un nouveau souffle à l’économie et au développement des territoires, dans le cadre d’une feuille de route bien ficelée, progressive et au diapason des recommandations du plan national d’aménagement du territoire”. 
Le ministre avait promis aussi “un profond toilettage des textes régissant les collectivités locales pour les mettre en conformité avec l’article 37 de la nouvelle Constitution”. 
Selon lui, le but de ce chantier est “de promouvoir la démocratie participative, à travers le principe de la décentralisation, des nouveaux textes pour la fiscalité locale et davantage de prérogatives aux élus locaux dans un esprit collaboratif entre les représentants du peuple et les représentants de l’État”. 
De quoi s’interroger sur ces annonces redondantes concernant le nouveau découpage administratif, la décentralisation, la révision de la fiscalité locale ne datent pas d’aujourd’hui.
Durant les dernières années, il y a même eu des rencontres gouvernement-walis qui ont été spécialement dédiées à ce sujet. 
En vain !
Force est de constater que le système algérien, qui a connu depuis les années 1990 plusieurs ouvertures au plan politique et économique, n'a pas touché à la nature et au contenu des relations organiques et fonctionnelles qui existent entre les institutions centrales et les institutions locales.
Aujourd'hui et en l'état de l'organisation administrative du pays, les collectivités locales sont dépassées par l'ampleur des problèmes. Et les élus aussi, même s'ils n'ont pas, prétendent-ils, le champ libre du fait des restrictions de leurs prérogatives qui leur ont été imposées par les codes de wilaya et de la commune. Pendant ce temps-là, les contestations reprennent de plus belle et ne semblent pas près de s'arrêter : les services compétents ont enregistré près de 10 000 actes de protestation, selon un chiffre rapporté par la presse nationale.
Faut-il déduire de ces constats que :
• La machine locale, celle du développement notamment, est grippée au point de ne pouvoir satisfaire les besoins les plus basiques de la population ?
• Faut-il penser aussi que la décentralisation et la déconcentration des pouvoirs, telles que voulues par le législateur dans les années soixante-dix, ont fait leur temps ?
• Est-il arrivé le temps de passer à autre 
chose ?
• Ouvrir pour le moins un débat sur un réaménagement du territoire, qui pourrait renforcer la démocratie participative et, partant, aboutir à la consécration de nouveaux mécanismes, plus fluides, et, surtout, susceptibles d'améliorer la répartition des pouvoirs entre l'appareil central de l'État et les institutions locales ?
Dans le domaine économique par exemple, la décentralisation des centres de décision dans les grandes entreprises nationales a démontré, partout, son efficacité et son 
efficience ; ce sont les grandes régions, dit-on, qui font aujourd'hui les grands pays industrialisés et qui assurent une intégration intelligente des facteurs nécessaires au développement durable.
Peut-on pour autant parler de régionalisation, pendant que certains, qui ne veulent pas aller plus vite que la musique, lui préfèrent “décentralisation poussée”, doux euphémisme ?
Et ils ont raison, car en Algérie, parler régions ou invoquer la régionalisation participe presque du tabou, tellement ces termes renvoient, selon certains, à la séparation et à la division du pays.
En dépit de sa réalité historique, sociologique, géopolitique, économique et culturelle, la région est paradoxalement souvent combattue et jamais reconnue. 
Et pourtant, bien avant cela, l’idée de régionalisation a été évoquée par des hommes politiques et non des moindres, comme le défunt Salah Boubnider. Dans un entretien accordé à l’hebdomadaire Ruptures, paru en 1993, il avait affirmé que “le découpage des wilayas historiques avait été fait en fonction des spécificités de chaque région ; celle-ci gérant ses affaires de façon autonome et contribuant ainsi au combat libérateur, dans le cadre des principes et des grandes lignes tracées de la Révolution de Novembre ; le découpage a introduit l’émulation entre les différentes zones et a contribué, à hauteur de 50%, à la victoire finale”.
Poursuivant son propos, ce chef historique disait “être pour la création de grands espaces régionaux dans le respect des principes intangibles où chaque région serait respectée et contribuerait, selon ses moyens et ses potentialités, à l’effort national”.
Et à ceux qui pouvaient penser que la régionalisation qu’il proposait était une atteinte à l’unité nationale, il répondit : “De Gaulle avait voulu diviser les forces combattantes en proposant l’indépendance à toute région qui choisirait de rester dans le giron de la France. Les Algériens ont choisi de rester unis, sans contrainte, et le général a échoué dans ses desseins.” Plus près de nous, c’est l’économiste Mustapha Mekidèche, vice-président du Cnes et membre, par ailleurs, du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs, qui parle de régionalisation, à l’occasion d’un entretien radiophonique à la Chaîne III où il déclarait : “Militer pour la création d’institutions de régionalisation qui ne doivent pas être des composants de l’exécutif, mais réellement indépendantes.”  L’expert a dit, aussi, “regretter qu’on n’ait pas donné plus de pouvoirs aux élites locales pour qu’elles puissent peser sur le développement de leurs territoires”. Il cite l’exemple édifiant du wali qui possède, aujourd’hui, plus de pouvoirs que le président de l’Assemblée populaire de wilaya, dûment élu. Chez les hommes politiques, c’est Ali Benflis qui, sans ambages, plaidait pour une nouvelle organisation du territoire. Son programme “Renouveau national”, intitulé “Régionalisation horizontale”, est décliné comme suit : 
- des régions regroupant des wilayas limitrophes ;
- des entités ou des conseils régionaux pour chapeauter la régionalisation et la gestion des grands projets d’intérêt commun ou des équipements d’intérêt local ;
- une assemblée délibérante pour la gestion et le suivi des affaires de la région.
Comme on le voit, à travers les exemples donnés par un historique, un économiste et un homme politique, le vocable de régionalisation est à la mode dans le langage de tous les jours et, paradoxalement, inexistant dans la sémantique administrative et/ou politique, même si de temps à autre on entend tel ou tel ministre, ou même Premier ministre, parler de “réhabilitation des territoires”.
Longtemps otage des politiques, la notion de régionalisation a toujours constitué une thématique récurrente, notamment dans les conférences où les spécialistes et les adeptes de la démocratie participative en débattent sans complexe. Malgré cela, la régionalisation est considérée par certains comme un concept sulfureux, voire un facteur de division.
En l’état, aborder le sujet, même de manière superficielle, c’est déjà donner un coup de main au débat national qui commence, comme on l’a dit supra, à s’en saisir !
La preuve, ce sont au moins deux partis de l’opposition, sinon trois, voire quatre qui ont préconisé d’aller vers la décentralisation, autrement dit vers une organisation qui renforcerait la prérogative des démembrements de l’État, des wilayas et des communes, avec l’élargissement des compétences des élus et des assemblées locales. 
Décentralisation et régionalisation sont des notions à la fois proches et distinctes, d’où souvent la confusion dans l’opinion publique parfois mise à mal par certains discours extrémistes qui n’ont pas leur place dans la vision qu’on se fait de cette politique nouvelle de réaménagement du territoire. Peu importe, l’important pour ceux qui sont partisans de cette régionalisation est de rassurer ceux qui, aujourd’hui, veulent la retoquer au motif que l’État, la région, la wilaya, la daïra, la commune, les assemblées élues, c’est trop ! 

La  régionalisation,  une  porte  ouverte  à  une  multiplication  de  la bureaucratie ?
Ce n’est évidemment pas l’avis de celui qui en fut l’artisan, l’inventeur et le grand maître et maire, par ailleurs, de Marseille, Gaston Deferre, qui, à peine nommé au gouvernement en juin 1981, a déclaré : “Si j’avais pu choisir tout seul mon titre de ministre, je me serais fait appeler ministre de la Décentralisation et de l’Intérieur, et non l’inverse.” 
Pour l’heure, Kamel Beldjoud, qui s’affaire à boucler son mouvement des walis, et dont on ne saura peut-être jamais s’il voudrait bien être ce ministre de la décentralisation et de l’intérieur qui dynamiserait nos territoires, a promis aux populations du Sud et des Hauts-Plateaux de les doter de wilayas supplémentaires. 
En attendant, il devrait se charger, avec ses experts, de réformer la fiscalité et les finances locales, dans un sens qui permettrait aux communes de capter de nouvelles ressources, de quoi les sortir de leur dépendance d’Alger !

Conclusion 
Plutôt que d’avoir 50 walis, 50 rois, 50 princes ou 50 dictateurs, avait dit en son temps l’éclairé Salah Boubnider, il vaut mieux penser à créer entre 5 et 10 régions se complétant sur les plans économique, social et culturel, et capables de mutualiser leurs moyens et leurs potentialités !
Mutualiser leurs moyens et leurs potentialités pour venir à bout, par exemple, des inondations, des feux de forêt... Et, partant, épargner des vies humaines ! Il ne croyait pas si bien dire, ce brave moudjahid. Qu’il repose en paix !

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