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Témoignage d’un combattant de l’ALN dans la Wilaya III

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Badreddine Mohamed Publié 01 Novembre 2021 à 09:52

Par : Badreddine Mohamed
Journaliste

Ce 67e anniversaire du déclenchement de la valeureuse guerre de Libération nationale est une opportunité pour rappeler le parcours de l’un de ses grands acteurs ayant combattu dans la Wilaya III, aux côtés des Amirouche, Mira, Mohand Oulhadj et bien d’autres héros de notre glorieuse révolution.

Partant du fait que le témoignage historique constitue une source majeure pour l’écriture de l’histoire, nous allons tenter de faire connaître au public une figure et un nom qui sont longuement restés dans l’ombre. Fils de Medjahed Mohand Saïd et de Salmi Dehbia, Medjahed Mahmoud, appelé Si Mahmoud, est né en 1937 au village Alma (commune de Chellata), sur les hauteurs d’Akbou. 
Ayant vécu son enfance dans une famille modeste, confrontée à la rude vie de montagne, que la neige souvent isole durant plusieurs semaines en hiver, Si Mahmoud a eu son premier contact avec les maquisards en 1956. Ces derniers, poursuivant le travail de mobilisation de la population et d’organisation de la lutte armée, ont organisé une réunion dans son village.
À la fin de la réunion, son cousin Medjahed Hassen lui demande d’accompagner la patrouille au village Felden, situé à quelques kilomètres d’Alma. “Muni d’un fusil de chasse, je me suis mis à la disposition de la troupe. Mais au cours du trajet, nous avons croisé une patrouille de l’armée française qui a ouvert le feu sur nous, causant la mort du sergent-chef qui nous accompagnait et la blessure de Medjahed Hassen ainsi que moi-même. Étant légèrement atteint, je l’ai secouru et caché dans une maison avant qu’il ne rende l’âme en raison de la gravité de sa blessure.” Comme conséquence directe de cet événement, l’armée française a procédé à un ratissage du village, suivi de fouilles et de tortures des villageois. Un des villageois présents et sous la pression des militaires français, dénonça Si Mahmoud pour possession d’arme à feu, ce qui le mena à l’emprisonnement au centre de torture de Tizi n Slib.

Tizi n Slib, un centre de détention et de torture
Situé au-dessus d’Akbou et près du col de Chellata, ce sinistre lieu, marqué par la présence des éléments de la Légion étrangère de l’armée française, accueille des dizaines de détenus qui subissent toutes formes de torture et de sauvagerie. Malgré mon jeune âge, qui était de 19 ans lors de mon arrestation, poursuit Si Mahmoud, “j’ai été entassé avec 11 personnes dans une cellule de 1/2 mètre. Collés les uns aux autres, on faisait nos besoins et notre toilette devant le groupe. De temps à autre on nous faisait sortir pour creuser des tombes sans savoir à qui elles étaient destinées. Le premier jour déjà nous avions enterré trois détenus”. Parfois, la personne choisie pour être tuée était chargée de creuser sa propre tombe. 
De longues journées sont passées dans des conditions inhumaines jusqu’au jour où il ne restait que lui et son cousin Medjahed Cherif (dit Cherif n Ath Bessaï). “Je me souviens, c’était un jour de Ramadhan, lorsqu’on nous a chargés de creuser une tombe. Une fois le travail achevé, on nous a ramené à manger. Mon compagnon, croyant que s’est moi qui allait être tué, me demanda de manger. Ayant jeûné, j’ai catégoriquement refusé. Quelques instants plus tard, un officier se présente et lui demande de se lever avant de lui tirer dessus et de le jeter au fond de la tombe.” Après avoir subi des atrocités et assisté à la mort de dizaines de personnes, Si Mahmoud est libéré au terme de quatre mois de détention. 

Engagement dans les rangs de l’ALN
Après une courte période passée au village Alma durant laquelle il s’est marié, il a reçu, en juillet 1956, la convocation pour passer le service militaire. Sachant qu’il sera recherché et mobilisé de force s’il ne répond pas à la convocation, il a rapidement pris contact avec l’ALN dans l’objectif de s’engager dans les rangs de la révolution. Se souvenant bien des premiers moments au maquis, Si Mahmoud raconte qu’il a “retrouvé Khezzaz Arezki et d’autres moudjahidine de la région avec lesquels nous avons fait un long parcours. Étant de grande taille, on m’a doté du fusil type 86, qui tire à longue portée”, ce qui lui donne “le privilège” d’être toujours au premier rang et “le 
premier à ouvrir le feu sur l’ennemi”.
Évoluant dans la Wilaya III sous le commandement de Si Alaoua, il se souvient bien de la bataille d’Ighram – non loin d’Akbou – où, à l’accueil d’une patrouille venant de Tunisie et munie d’armements et de munitions, et bien que l’ennemi les encerclait, ils ont pu résister et s’échapper vers Ath Mlikech grâce au courage et au sacrifice de moudjahidine, tels que Lahlou Imouhouchen, Si Brahim, Ismaïl Ath Alaoudia, et à la parfaite connaissance du terrain. 
De Selloum (Aghbalou), Toudar (Tamokra), Tazrout (Awzelaguen), la forêt du Zan (Akfadou), Iamouren, Ath Ziki… Si Mahmoud, en compagnie de Touahri Mohand Ouamar et de Kaci n Tifrit (toujours en vie) ou encore de Meraï Mohamed, décédé en 2015 – à qui il a sauvé la vie en 1958 en lui coupant le bras gauche après avoir été gravement blessé par un tir d’un lance-patates (Grenades) –, a écrit de belles pages d’histoire pleines de courage, de sacrifice et de gloire et ce, de 1956 jusqu’à 1962.
Ayant eu l’occasion de le croiser plusieurs fois et de partager avec lui à maintes reprises des moments inoubliables, celui qui fut le chef de la Wilaya III, connu pour son héroïsme et son charisme, a marqué ses compagnons du maquis – dont Si Mahmoud – par sa gentillesse, sa modestie et même parfois son sens de l’humour. “Un jour, se retrouvant au quartier général de l’ALN à Akfadou, en train de préparer ensemble la galette pour les djounouds, il me lança avec un air de gaîté et de convivialité : Si Mahmoud, nous allons leur préparer ce soir laasban sauté.” Toujours le dernier à manger, il se distingue par ses grandes qualités morales et humanistes, ainsi que le sens de la justice et du sacrifice. 

Témoin de la mort d’Abderrahmane Mira
Dès juillet 1959, la Wilaya III a eu à affronter une grande opération militaire dénommée “opération Jumelles”. Conduite par le général Challe, des dizaines de milliers d’hommes de l’armée française sont déployées dans la Wilaya III, y compris dans notre région, ajoute Si Mahmoud. “Nous sommes en novembre 1959, le destin nous a réunis avec Abderrahmane Mira à Ath Annan, non loin des villages d’Aït Hyani et d’Aït Mquedem, lorsque l’ennemi a procédé à un grand ratissage. À la fin de cette opération et en tentant avec son secrétaire de se retirer, il tombe au champ d’honneur dans une embuscade tendue par l’ennemi. Nous avons vu de loin la dépouille de celui qui devait succéder à Amirouche à la tête de la Wilaya III, transportée vers Tizi n Slib, puis à Akbou.”
Après plusieurs opérations militaires, menées dans la région, la section de Si Mahmoud s’est retrouvée sur une crête située sur les hauteurs de Chellata. “Sans savoir que nous étions encerclés par l’ennemi, j’ai chargé deux djounouds, dont Akilal Meziane, de se rendre à Ath Ziki pour nous ravitailler. Cette mission n’a pu être accomplie puisque, non loin du lieu où nous étions repliés, les patrouilles de l’ennemi qui nous encerclaient avaient ouvert le feu sur eux, les laissant pour morts.”
Ce regrettable événement causant la mort de deux de ses valeureux compagnons, ajoute Si Mahmoud, “est gravé dans ma mémoire et constitue le plus amer des souvenirs de la guerre de Libération, d’autant plus qu’il a eu lieu quelques jours seulement avant la proclamation du cessez-le-feu”. Sans pouvoir les enterrer en raison de l’encerclement, ils sont restés sur leurs gardes dans cette crête pendant plusieurs jours, supportant ainsi la faim et le froid de ces hauteurs de Chellata.
“Un jour, en prenant du repos sous un arbre de pin, mes compagnons, qui écoutaient les nouvelles de la révolution à l’aide d’un transistor que j’avais emporté, se sont précipités brusquement sur moi pour m’annoncer la fin de la guerre. Ne m’attendant guère à une pareille nouvelle, j’ai hurlé devant eux en leur disant que cela ne pouvait être qu’une manœuvre de l’ennemi. Je leur ai demandé également de me laisser profiter de ce temps de repos avant de reprendre le chemin. J’ai aussi saccagé mon poste récepteur de radio pour qu’ils ne relaient plus de ‘fausses informations’.” Quelque temps après, “des youyous éclataient dans les villages environnants, confirmant ainsi l’information du cessez-le-feu et la victoire du FLN-ALN sur l’ennemi après près de sept ans de guerre de libération”. Un grand jour de gloire, de liberté et de fierté qui a mis fin à 132 ans de colonisation “barbare, sauvage et sanglante”.
Si Mahmoud, âgé de 25 ans au lendemain de l’indépendance, rejoignit quelques compagnons de maquis mobilisés par le ministère de la Défense nationale et intègre l’Armée nationale populaire (ANP) de l’Algérie indépendante. Affecté à l’école militaire de Cherchell, il eut droit à une formation militaire jusqu’en avril 1964 et fut démobilisé à sa demande pour reprendre la vie civile, jusqu’au jour où nous mettons sous presse ce modeste portrait.

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