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Une Journée Américaine

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MYASSA MESSAOUDI Publié 10 Mai 2021 à 18:44

Par : MYASSA MESSAOUDI
        ÉCRIVAINE

Qu’est-ce que le fédéralisme, et peut-il représenter une solution viable pour l’Algérie de demain, comme le préconisent certains activistes et acteurs politiques ?”

Ma chambre d’hôtel donne sur l’University of Southern California. L’une des plus prestigieuses et sélectives universités au monde. Son budget avoisine les cinq milliards de dollars. Une vraie usine de l’excellence à l’échelle planétaire. L’université compte une dizaine de lauréats du prix Nobel et autant, sinon plus, d’illustres cinéastes oscarisés. Traverser ses bâtiments tous les matins me plongeait dans le décor hollywoodien de mes films préférés. Et pour cause, l’université abrite aussi une école de cinéma et a servi de décor à de multiples chefs-d’œuvre du septième art.  
L’Amérique du Nord étant considérée comme l’empire des bibliothèques, je vous passe le descriptif gigantesque de ses temples-musées de la connaissance. En bref, quand vous y êtes, autant éviter le jeu de comparaison avec le pays d’origine ! La vie de l’étudiant est ici faite de rigueur, mais tout autant d’agréments sportifs. D’ailleurs l’université compte aussi parmi les plus médaillés aux jeux Olympiques. Je m’arrête là ! Le but étant surtout de souligner que l’homme reste le premier investissement dans ce qu’on appelle le monde civilisé. Loin devant les hydrocarbures et autres malédictions fossiles. 
Une belle journée ensoleillée me conduit sur la fameuse côte californienne. Par le train, afin d’éviter les énormes bouchons qui caractérisent Los Angeles. L’Américain est capable de prendre sa voiture pour faire cent mètres. Nul n’est donc parfait, et particulièrement en ce qui concerne la protection de l’environnement.
J’arrive à Santa Monica, une ville située à l’ouest du comté de L.A., où la fameuse route 66 trouve une de ses extrémités. Hasard du calendrier, je me retrouve en pleine parade des chars de la fameuse procession des divinités indiennes connue sous le nom de Ratha-Yatra. Un cortège de trois immenses temples roulants aux couleurs chatoyantes ornés de fleurs et de soieries traverse la ville. Ces derniers n’étant pas motorisés, ils sont poussés à la force des mains par les croyants. Il semblerait que cela porte bonheur. Des hymnes et des mantras accompagnent le cortège dans une célébration joyeuse de la vie et du divin. Un flux humain bigarré escorte le Krishna et autres dieux païens sortis à la rencontre du mortel. 
J’adhère sans façon à la ribambelle, d’autant que cela me rappelait les qarqabous qu’enfants nous suivions à Sidi Bel-Abbès. Je fis cinq kilomètres, plongée entre Janitou et les airs rythmés des Gnaouas. Mais arrivée à Venice Beach, un groupe d’individus scandant des “Repent or perish !” surgit au tournant. Une quinzaine d’évangélistes intégristes avec pancartes à la gloire d’un dieu qu’apparemment tout révulse : les femmes, l’islam, les gays et tous ceux qui n’adhéraient pas à leur croyance. Mais cela n’empêcha pas le cortège hindouiste de continuer en toute sérénité sa procession. Un peu plus loin, c’est au tour de quelques Palestiniens de manifester leur cause. Des jeunes avec la carte du pays tatouée sur le torse. Eux aussi scandèrent la Palestine vivra puis retournèrent bronzer sur le sable fin. 

Je me détache du défilé pour continuer sur l’Ocean Front Walk, et je m’arrête au 505, où sied la dernière synagogue de Venice Beach. Surprise qu’on y vende une expérience culinaire du shabbat tous les vendredis soirs. À quelques pas, un homme jouait sur un piano à queue. D’autres, indifférents aux passants, grattaient les cordes de leur guitare. Une dame blanche d’un certain âge prêchait en faveur de tous les complots qui revisitaient les attentats liés au 11 septembre. 

Interpellée par l’expression libre et sans tabous de tant d’éclectisme et de diversités, je m’interrogeai sur ce qui rendait ce melting-pot inflammable presque partout sur la planète, mais possible et praticable sur cette terre d’Amérique. Quelles valeurs, quel système politique ingénieux ont permis ce vivre-ensemble sans conséquences sur l’unité du pays et la paix civile ? 
En regardant de près, c’est plutôt l’histoire des États fédéraux d’Amérique, ponctuée de conflits et de ségrégations diverses et variées, qu’il faut analyser. Ce pays, bien que jeune au vu de l’histoire, a expérimenté toutes les violences qui vomissaient les différences, pour finalement conclure à les adopter toutes et sans concession.

C’est le fédéralisme qui régit ladite nation, l’équation de survie qui évita justement l’implosion d’un pays de la taille d’un continent. Néanmoins, ce fédéralisme triomphant et cité à tout bout de champ en exemple par les partisans de ce système politique n’a été possible qu’à des conditions intrinsèquement attachées à la bonne santé démocratique du pays. En effet, le premier amendement de la Constitution garantit une liberté d’expression unique au monde. Elle est considérée comme partie prenante de l’identité américaine. Suivie bien entendu de la liberté de croyance, ainsi que d’une alternance du pouvoir régulière et respectée.  
Retour en Algérie, où les concepts libertaires sont combattus comme une hérésie. Le bigotisme fasciste érigé en sainte religion capable de supplanter les lois constitutionnelles et l’autoritarisme politique incarné par une gouvernance figée dans des pratiques en décalage total avec son temps. 
Bref, qu’est-ce que le fédéralisme, et peut-il représenter une solution viable pour l’Algérie de demain, comme le préconisent certains activistes et acteurs politiques ? 
En somme, le fédéralisme se définit comme étant un ensemble d’ordres juridiques au sein d’un même État. C’est un mode d’organisation qui permet une large autonomie à chaque État membre et laisse souverain chaque entité dans son domaine de compétence. Ce système permet par exemple la conservation des identités culturelles et juridiques. Concrètement, cela peut se traduire notamment par un système scolaire différent où le choix des langues et des cursus est adapté selon la culture et l’histoire de chaque État membre. 

Cependant, le fédéralisme reste exigeant en matière de bonne gouvernance et de pratique démocratique, sans quoi il peut très vite virer au cauchemar des scissions et de l’implosion des territoires. Il suppose aussi de solides relations et liens entre États membres ou régions pour prétendre faire ou continuer de faire nation. Le fédéralisme n’est rien d’autre qu’une parfaite osmose et un équilibre entre des État individuels et un État central pour que les bénéfices de l’autonomie et ceux de l’union se conjuguent de manière optimale. 
Par ailleurs, le fédéralisme peut émerger soit par agrégation. Ce qui suppose que des États précédemment indépendants s’unissent pour former des États fédéraux ; la Russie, les États-Unis, les Émirat arabes unis ou le Canada sont nés de ce procédé. La réussite de ce modèle exige un taux de transfert des compétences suffisamment important des États membres en direction du gouvernement fédéral central pour réussir. Sans quoi il induirait à l’échec et produirait des États faibles et chancelants. 

Quant au fédéralisme né par désagrégation, c’est-à-dire par la dissolution d’anciens États unitaires, il s’avère plus ardu puisque le transfert des compétences du centre vers les régions rencontre généralement plus de réticence. L’exemple de l’Espagne ou celui de l’Italie illustre ce dernier cas.  

Les adeptes algériens du fédéralisme citent souvent les exemples des pays à grande tradition démocratique pour inciter à l’adoption de ce système. Ils nous parlent de l’exemple suisse, allemand ou américain. Mais ils oublient de préciser que ces pays disposent d’une ingénierie institutionnelle extrêmement aboutie. Et aussi de centres d’études et de veille qui produisent des rapports annuels détaillés sur l’évolution de leur fédéralisme. Ainsi, des ajustements et des mesures sont constamment entrepris pour pallier les carences qui peuvent survenir. Ils donnent les directions à prendre pour corriger, adapter, produire des nouveaux modes de gestion. Les fédéralismes vivent littéralement sous pression et sont soumis à des monitorings actifs.  

L’expérience fédérale en Afrique
Du fait de notre mode de gouvernance suranné et de l’état insuffisant de nos institutions, nous sommes plus près des modèles politiques des pays d’Afrique et du monde arabo-musulman que des pays européens. Les aspirations au fédéralisme des pays tels que le Soudan, l’Irak, le Cameroun, l’Ouganda, la République démocratique du Congo et bien d’autres ont toutes échoué quand elles n’ont pas franchement tourné au désastre politique. La raison en est simple : une profonde carence démocratique.   

Il est incontestable que dans le cas algérien une refonte politique est indispensable. Avoir le fédéralisme comme horizon est chose louable mais encore trop ambitieux. Il suppose, en effet, que le Hirak réalise des avancées libertaires et démocratiques concrètes. Il suppose aussi un accompagnement pédagogique national quant à l’intérêt d’une telle option. Pour beaucoup de nos concitoyens, le fédéralisme reste synonyme de division. Ce sont des craintes qu’on ne saurait balayer du revers de la main tant elles restent quelque peu justifiées. 

Le fait aussi qu’une région, en l’occurrence la Kabylie, appelle plus que les autres à l’application de ce système politique soulève la méfiance de certains Algériens, convaincus qu’il s’agit là d’un projet de scission déguisée. 
Le Printemps noir de 2001 et la terrible répression qui s’est ensuivie constituent une blessure profonde et encore ouverte en Kabylie. Une blessure dont le reste du pays n’a pas la juste compréhension et mesure, car induit en ignorance par la junte au pouvoir d’alors et même d’aujourd’hui. C’est dire le fossé qui existe entre les régions d’un même pays lorsqu’il s’agit d’histoire et d’identité ! 
Aller vers plus de décentralisation et d’autonomie régionale serait un bon début. L’État est indéniablement dépassé. Il va d’échec en échec dans presque tous les secteurs. Il est temps de faire confiance aux citoyens de ce pays et de passer enfin la main.

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