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Une typologie de défi

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Naouel Abdellatif MAMI Publié 07 Décembre 2021 à 20:30

Par :  le Pr Naouel Abdellatif Mami
PROFESSEUR DES UNIVERSITÉS

L’Algérie a connu de nombreux changements depuis le dernier sondage de la Fondation Anna-Lindh, en 2016. L’influence de l’histoire, de la culture, des langues et de la religion reste inchangée, cependant de multiples événements dans l’espace géopolitique ont sans aucun doute influencé la façon dont les Algériens perçoivent la nouvelle économie et la position politique, sociale et culturelle du pays au sein de la région euro-méditerranéenne.

Cet article porte sur la diversité culturelle et la tolérance en Algérie. Il rassemble une analyse comparative de l’Enquête sur les tendances interculturelles 2020 de la Fondation Anna-Lindh concernant l’Algérie, par rapport à d’autres pays de la région Euro-Med, afin de mesurer le degré d’ouverture à la diversité culturelle et à la tolérance.

Valeurs et perceptions mutuelles
D’après les résultats du sondage, il est clair que l’Algérie reste un pays conservateur qui fonde ses valeurs-clés sur les croyances et les pratiques religieuses. Plus de 50% des personnes interrogées considèrent que les croyances et les pratiques religieuses sont leur valeur la plus importante lorsqu’elles élèvent des enfants, tandis que seulement 7% des personnes interrogées accordent la priorité au “respect des autres cultures”. Sans aucun doute, de telles conclusions, qui reflètent une focalisation sur l’unité nationale, impliquent souvent l’exclusion des autres. L’obéissance et la solidarité familiale occupent également une place importante dans l’éducation des enfants en Algérie.

Ces résultats peuvent s’expliquer par l’impact des événements historiques sur la société algérienne. Ils reflètent une culture algérienne affectée par 132 ans de régime colonial, suivis d’une lutte acharnée pour l’indépendance et des politiques de large mobilisation du régime post-indépendance. Au lendemain de l’indépendance, le peuple algérien était presque déraciné et son patrimoine culturel avait été profondément ébranlé. Par conséquent, les croyances et pratiques religieuses fondées sur les règles islamiques ont été le lien le plus fort pour prévenir la désintégration sociale.

Cependant, il y a une contradiction dans la société algérienne. La population algérienne cultive sur l’héritage arabo-berbère-islamique tout en appelant à une modernisation radicale de la société. Cette confrontation culturelle place la société algérienne au carrefour de traditions qui ne commandent plus leur vie totale et d’un modernisme séduisant mais qui ne semble pas satisfaire leurs besoins et leurs aspirations. De telles contradictions peuvent être préjudiciables à la diversité culturelle et au dialogue interculturel. Comment le “moi national” est défini dans un cadre multiculturel et comment les valeurs interculturelles peuvent jouer un rôle dans l’éducation sont des questions-clés pour ceux qui travaillent dans le domaine du dialogue interculturel en Algérie.

Perception du rôle des femmesdans la société
Une autre dimension générale qui reflète les niveaux de diversité culturelle et de tolérance est le rôle attribué aux femmes. Les perceptions sur le rôle des femmes dans la société varient selon les pays. Les résultats de l’enquête montrent que les femmes sont de plus en plus les bienvenues dans des domaines longtemps monopolisés par les hommes, comme la politique et le gouvernement. Les sociétés européennes sont mieux préparées à permettre aux femmes de participer activement à la construction de l’avenir de leur pays.
Cependant, dans la région SEM, certaines perceptions classiques survivent, qui tendent à pousser les femmes en marge du processus de développement. S’il est important de ne pas nier ou dévaluer le rôle énorme que jouent les femmes en tant que mères et épouses, ces rôles ne doivent pas être manipulés au détriment des femmes en les empêchant de contribuer au développement de leur société.

Le sondage révèle que plus de 86% des personnes interrogées en Algérie (plus que dans tout autre pays) souhaitent que les femmes jouent un rôle encore plus important dans la garde des enfants et de la maison. 
Les femmes ont également un rôle reconnu dans des domaines qui ont souvent été décrits comme reflétant des idéaux féminins, tels que l’éducation, les arts et la culture.

Les perceptions des rôles des femmes en Algérie sont encore influencées par la forte attraction des valeurs traditionnelles, qui sont largement pratiquées comme un ensemble de prescriptions sociales et d’attitudes éthiques, plutôt que de servir une idéologie révolutionnaire. Le plus souvent, les images stéréotypées sont le résultat de traditions, de culture ou d’une interprétation personnalisée de textes religieux qui peuvent manipuler le statut et les rôles des femmes dans la société.

Cependant, pour rendre justice à la réalité actuelle en Algérie, il est nécessaire de contextualiser ces résultats et de reconnaître les progrès que l’Algérie a réalisés en matière d’autonomisation des femmes ces dernières années. Depuis 2005, l’Algérie a adopté une Charte de la femme au travail qui vise à concilier obligations familiales et professionnelles et à améliorer la participation des femmes dans les organes de direction des entreprises, ainsi qu’à améliorer leur représentation dans les syndicats.

Entre 2010 et 2013, l’Algérie a mis en place un programme conjoint pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, en collaboration avec les Nations unies. Le programme conjoint était particulièrement axé sur l’amélioration de l’accès à l’emploi.

Au niveau national, institutionnel, des lois organiques ont été introduites afin de renforcer le rôle des femmes dans les différentes sphères de la vie sociale, économique, politique, sociale et culturelle. Cependant, ces efforts n’ont pas encore conduit à des niveaux satisfaisants de participation des femmes dans les domaines qui permettraient d’améliorer l’autodétermination. Donner aux femmes le pouvoir de prendre des décisions et leur permettre de prendre le contrôle de leur vie sont d’une importance cruciale pour construire des sociétés équitables et durables.

Vivre ensemble dans des environnements multiculturels
Selon l’enquête Anna-Lindh 2020, le dialogue en ligne et la communication numérique se sont avérés des méthodes efficaces pour permettre l’interaction entre des personnes de différents pays.

En Algérie, 81% des personnes interrogées sont “tout à fait d’accord” sur le fait que la technologie numérique peut jouer un rôle important pour faciliter le dialogue entre des personnes de cultures différentes. En outre, 71% sont “tout à fait d’accord” sur le fait que les outils numériques peuvent améliorer les compétences en matière de dialogue interculturel et que les barrières culturelles sont moins un obstacle lors de la communication en ligne et numérique. La pandémie de Covid-19 a prouvé que la technologie numérique peut être très bénéfique pour la société en permettant et en maintenant le contact entre les peuples et les nations. La technologie numérique a raccourci la distance et éliminé de nombreux obstacles qui persistent dans les contacts en face-à-face, tels que les visas et les difficultés de voyage.
La situation en Algérie apparaît paradoxale. Alors que l’Algérie est un pays culturellement conservateur, à bien des égards, il est ouvert au changement. Selon les données de l’enquête, plus de 84% des Algériens interrogés ont des parents dans un pays européen et, parmi eux, 44% pensent que l’interaction avec des personnes d’autres pays et cultures a eu un impact positif sur leur vision du monde, par rapport à seulement 12% qui disent que cette interaction a eu un impact négatif. Les personnes interrogées en Algérie ne voient aucun problème à explorer de nouvelles cultures et modes de vie. Pour la plupart des personnes interrogées, les principaux obstacles aux rencontres interculturelles résident dans les difficultés pratiques de voyage et de langue, plutôt que dans les difficultés culturelles – des obstacles qui peuvent être facilement surmontés.

Ces résultats illustrent des avancées positives vers la diversité culturelle et la tolérance en Algérie. La plupart des personnes interrogées perçoivent la diversité religieuse et culturelle de manière positive, bien que 39% des personnes interrogées en Algérie soient “tout à fait d’accord” sur le fait que la diversité culturelle constitue une menace pour la stabilité de la société. À cette fin, il est nécessaire de renforcer le rôle des écoles en tant que lieux où les enfants apprennent à respecter les différences culturelles.
La diversité culturelle et la tolérance semblent être une typologie de défi, entre xénophobie, islamophobie et discours de haine. Permettre le dialogue interculturel dépendra de notre capacité à promouvoir la diversité  culturelle et la tolérance.

Conclusion
L’enquête interculturelle de la Fondation Anna-Lindh a livré des informations majeures que les acteurs de la société algérienne peuvent approfondir. Alors que la plupart des résultats sont extrêmement positifs, il est nécessaire de souligner que pour encourager le dialogue interculturel et promouvoir la tolérance, nous devons développer les compétences interculturelles dans la société. Les compétences interculturelles aident les personnes à interagir et à communiquer avec des personnes de cultures différentes de manière respectueuse et efficace. Elles peuvent constituer un pont entre la diversité et l’inclusion.

Répondre à la fois à la diversité et à l’unité sociale est un enjeu majeur. C’est pourquoi l’éducation est la clé du dialogue interculturel. Le dialogue interculturel est avant tout un processus éducatif. La reconnaissance de la diversité par l’éducation s’opposera aux attitudes d’intolérance, de violence et de rejet des différences. En Algérie, de nouvelles réformes ont été introduites dans le système éducatif en faveur de la reconnaissance de la diversité dans la société. Il reste à voir dans quelle mesure ces mesures seront acceptées, tolérées et appliquées.

Recommandations
1- Le gouvernement et les établissements d’enseignement supérieur devraient poursuivre des projets de recherche communs et établir des réseaux avec d’autres universitaires, universités et gouvernements, afin de partager des données et de l’expertise, développer des programmes d’études en collaboration et renforcer leur engagement en faveur de la coopération interculturelle.
2- Le gouvernement devrait fournir un soutien financier aux femmes, ainsi que des mesures d’adaptation, comme une forme de discrimination positive pour les soutenir dans leurs rôles existants tout en les encourageant à devenir des entrepreneurs actifs dans la société algérienne.
3- Les barrières linguistiques doivent être éliminées pour encourager les rencontres interculturelles. Les centres de langues pourraient jouer un rôle-clé dans l’apaisement des tensions interculturelles en proposant des cours de langue.
4- Le gouvernement devrait financer le développement de cours de langue en ligne et de tuteurs afin de rendre les cours de langue plus inclusifs face aux contraintes sociales et culturelles. Des unités transversales sur la communication interculturelle devraient également être incluses dans le programme.
5- Les voyages sans visa devraient être établis par le biais d’accords bilatéraux avec d’autres pays euro-méditerranéens. Des efforts pour promouvoir le dialogue interculturel ne réussira pas si des barrières pratiques restent en place.
6- Le gouvernement devrait investir dans un vaste programme pour étendre l’internet haut débit abordable à tous, étant donné l’importance de la technologie numérique pour la communication interculturelle – comme l’illustrent les données de l’enquête ALF.
7- Enfin, l’éducation et la formation virtuelles devraient être incluses dans l’agenda des priorités nationales en matière d’éducation sous l’égide de l’apprentissage tout au long de la vie, et des programmes de formation informatique abordables devraient être proposés.

 

 

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