Culture La chronique littéraire de Benaouda Lebdai

Azouz Begag ou la recherche de soi

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Benaouda LEBDAI Publié 14 Juin 2021 à 21:32

© D. R.
© D. R.

Dans  ce roman, l’intrigue est bien construite et le romancier  raconte  sans  sentimentalisme  ni  amertume  les  conséquences  de  la colonisation sur une population émigrée. 

Azouz Begag s’est imposé dans le monde littéraire depuis la publication de son premier roman “Le Gone du chaâba” en 1986. Le thème qui nourrit sa fiction est la relation Algérie/France à travers la vie des émigrés, un thème que l’on retrouve dans “L’arbre ou la maison” qui vient d’être publié chez Julliard. 
Dans ce texte autofictionnel, deux frères, Azouz et Samy, reviennent sur la terre ancestrale, du côté de Sétif, dans la localité de Beaumarchais et El Ouricia, pour se recueillir sur la tombe de leurs parents et régler la question de la maison laissée en héritage par leur père qui l’avait construite “au bled”, grâce à des privations et de gros efforts, en termes d’économies.

La construction de la maison assurait un retour honorable après la retraite avec la famille. La maison au bled était inscrite dans les projets de tous les émigrés algériens partis en France dans les années 1950, 1960 et 1970. Cette génération d’émigrés avec “leurs gueules cassées, leurs corps usés, leurs vêtements fripés”, des “Mohamed prend ta valise”, en référence à Kateb Yacine comme dit dans le roman, avait toujours à l’esprit le retour. Le narrateur/auteur et son frère Samy, fils de celui qui avait émigré et qui avait trimé dans les usines des Bouches du Rhône et qui a longtemps habité un bidonville lyonnais. 

Avec humour, amour et sensibilité, l’histoire de ce père émigré, atteint de la maladie d’Alzheimer, fut le sujet du roman “Mémoire au soleil”. L’émigré malade ne se souvenait plus que de l’autoroute qui mène vers Marseille et le bateau pour Alger. L’unique mémoire qui a résisté à la maladie fut celle du retour au pays dont il fut arraché. Dans “L’arbre ou la maison”, le récit de Azouz, se déroule dans l’Algérie d’aujourd’hui, celle des manifestations du Hirak qui continue malgré “les portraits géants du Président déchu déchirés et qui pendaient lamentablement à leur cordelettes”.

Des scènes ubuesques, comme seul Azouz Begag sait les conter, décrivent des manifestants qui clament leur désir de changement. Un style spécifique, celui des jeux de mots humoristiques, des scènes improbables, dans une atmosphère de “comedia dell arte”, montrent Azouz se mêlant aux manifestants, conscient qu’il devait se faire discret car il faisait partie des “zimigrés”, donc suspicieux. Tout au long des scènes, Azouz dissémine la mémoire familiale comme celle avec son frère où ils entretiennent des rapports complices grâce à l’amour de leur mère dont la seule véritable relation en France était celle qu’elle entretenait avec ses fils. 

Les souvenirs jaillissent au détour d’une phrase mêlant les rancunes refoulées et les joies exprimées comme celles de la petite enfance dans le bidonville lyonnais et l’immeuble HLM. Chacun a sa perception des relations avec le père et la mère, “Mima”, qui fut incontestablement le socle solide pour la transmission de leur mémoire algérienne. Sur la terre des ancêtres, les colères du père, dues à la dureté de la vie de travailleur émigré, reviennent comme un boomerang. 

Le père déversait ses frustrations sur “Mima”quel que soit le motif. Azouz culpabilise car il n’a pas pu la défendre dans les moments de détresse. Elle était si loin de sa famille. L’exilée émigrée avait peu de relations sociales. Samy rappelle qu’il avait toujours tenté de la protéger. Cette mémoire douloureuse revient en boucle, dès le décollage de l’avion Aigle Azur Lyon-Sétif. Le roman “L’arbre ou la maison” est riche, profond, mais léger à la fois. D’innombrables personnages peuplent le récit comme Ryme, “la gazelle blanche”, qui habitait dans la maison de l’émigré et que Mima rêvait d’avoir comme belle-fille, Ryme ayant été l’amour de jeunesse de Azouz lors des vacances au pays.

Les liens du passé et du présent se tissent et s’entremêlent et les souvenirs sont inexorablement adossés à l’histoire qui lie l’Algérie à la France sur le plan humain. Azouz Begag ne minimise pas les problèmes qu’ont vécus les émigrés des années 1950, ni ceux que vivent les enfants des émigrés, pris précisément entre les deux parties de leur vie. Les deux nations et les deux identités sont assumées, pleinement. Mais les sociétés des deux côtés de la Méditerranée ne leur font pas de cadeau. L’ensemble reste perturbant pour les deux enfants d’émigrés et c’est ce qui est brillamment mis en scène. Azouz Begag reste à l’écoute de ce qui se passe dans le pays paternel. La charge émotionnelle de la “mare nostrum” est intense pour les deux frères. 

Dans ce roman, l’intrigue est bien construite et le romancier raconte sans sentimentalisme ni amertume les conséquences de la colonisation sur une population émigrée qui vit comme une injustice le fait d’être rejetée des deux côtés de la Méditerranée. Ils sont les “bicots”en France et les “binationaux” en Algérie ; incompris mais se battant pour trouver un équilibre psychologique dans ce dédale historique dont ils ne sont pas responsables : en France : “immigrés dégagez !”, “immigration choisie, non subie” ; en Algérie : “l’Algérie, tu l’aimes ou tu la quittes”, “à bas les bi” ; “Samy et moi encaissions”. Pourtant, nombreux sont les harraga et nombreux sont qui veulent quitter le pays en demandant des visas. Azouz et Samy cherchent la valorisation de ceux qui font la culture et qui forment le lien entre les deux rives, comme Edith Piaf dont la grand-mère, Aïcha Ben Mohamed, était algérienne ou Mouloudji orthographié Mouloud-ji dans le roman ; et bien d’autres comme Isabelle Adjani, Dany Boon ou encore Kylian Mbappé, sans parler de Zidane. 

Tous sont des ponts positifs entre les deux pays malgré l’histoire tragique ; et Roger Hanin qui, comme son père émigré, a tenu à être enterré en Algérie. Entre détruire la maison ou abattre l’arbre, le choix est cornélien car les racines restent vitales même si l’enfance est loin. Alors face à une telle situation postcoloniale, les deux émigrés, Azouz et Samy, décident que leur pays c’est le “moi”, là où ils se trouvent afin d’atteindre quiétude et sérénité dans cette histoire qui est la leur. 
 

Azouz Begag, “L’arbre ou la maison”, 
Paris, Julliard, juin 2021.

 

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