Culture L’ÉCRIVAIN ARMAND VIAL À PROPOS DE LA STATUE D’AÏN FOUARA

“Cette nudité féminine renvoie celui qui la regarde à l’aube de l’humanité”

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Moussa OUYOUGOUTE Publié 23 Juin 2021 à 20:57

© D. R.
© D. R.

Dans  son  dernier roman  intitulé “La belle de  la source”  (éditions Tafat), le photographe et écrivain Armand Vial, s’appuie sur des faits  historiques pour raconter  le  ‘contexte  parisien  dans  lequel  a  vécu  et  travaillé  le sculpteur français Francis de Saint Vidal’, l’artiste ayant réalisé la fontaine Aïn Fouara à Sétif en 1898. Dans ce récit romancé, il donne également vie à cette ‘femme nue’,  qui  au  fil  du  temps, témoigne  du  quotidien d’aujourd’hui”. Dans cet entretien, l’auteur revient sur ce roman et les raisons l’ayant poussé à écrire sur cette œuvre du patrimoine qui a été à maintes reprises victime d’actes de vandalisme.

Liberté :  Dans La belle de la source, vous redonnez vie au sculpteur Francis de Saint Vidal, qui  a  réalisé en 1898 la fontaine Aïn Fouara de Sétif.   Pourquoi   le  nom  de  cet  artiste  demeure-t-il  méconnu aujourd’hui encore ?
Armand Vial : On ne peut pas dire que Francis de Saint Vidal soit un artiste très connu. Cette situation s’explique par plusieurs raisons qui ont leur source dans l’état et le fonctionnement de la société française à cette époque, et particulièrement dans le domaine des arts et de la culture : une bourgeoisie dominante qui impose ses règles et ses croyances. Les écrivains, peintres et sculpteurs qui ne se soumettent pas aux normes en vigueur doivent faire face à de nombreuses difficultés, si ce n’est au rejet pur et simple. Bien qu’il ait été l’élève du célèbre sculpteur Jean-Baptiste Carpeaux, qu’il ait reçu quelques commandes officielles et fait preuve d’un réel talent, il est resté et demeure dans l’ombre. Très peu d’informations existent sur lui.  Au début de ce travail, j’ai contacté le musée d’Orsay, à Paris, spécialisé dans l’art de cette époque, mais ce dernier, à part d’infimes données, ne possède rien de plus que ce que l’on peut trouver en faisant des recherches sur internet. Ces dernières années, son nom est apparu à nouveau, du fait des évènements liés à Aïn Fouara.

Qu’est-ce qui vous a décidé à écrire sur la belle de la source ? 
Enfant, j’ai vécu quelque temps dans cette région, où mes parents étaient instituteurs. Quand nous venions à Sétif, nous ne manquions pas de nous rendre dans ce quartier et donc de nous arrêter quelques instants devant cette magnifique statue dont nous ne savions rien. Bien sûr cette statue m’intriguait : sa taille, sa posture peu “classique”, son regard, sa nudité si naturelle. Quand je suis revenu vivre en Algérie, je n’ai pas manqué d’aller lui rendre visite, espérant qu’elle serait toujours là, à la même place. Alors, quel a été l’élément déclencheur ? Les agressions dont elle a été victime m’ont conduit à faire quelques recherches, à lire des articles de presse, des commentaires plus ou moins réalistes sur son histoire, à prendre connaissance de coutumes liées à elle et des pouvoirs qui lui étaient attribués. Par ailleurs, artiste photographe et issu du côté paternel d’une famille de peintres et de photographes, une série d’interrogations me sont venues à l’esprit : la place d’une œuvre d’art dans une société, le rôle et la place d’un artiste (ou d’un écrivain) dans la société dans laquelle il vit, la notion de patrimoine, la rencontre des cultures, l’ouverture à l’autre… Comment pouvait-on s’attaquer ainsi à une œuvre d’art qui n’avait subi aucun dommage ni après son installation, ni durant Mai 1945, ni pendant la guerre d’indépendance, ni après, jusqu’à… ? De plus, une œuvre d’art adoptée par toutes les communautés vivantes là.

Dans ce récit romancé, vous attribuez une identité à cette “femme nue” qui, au fil du temps, témoigne du quotidien d’aujourd'hui 
Le modèle réel qui a posé pour le sculpteur, nous ne savons pas qui elle était. En ce qui concerne Amélie, Suissesse d’origine, qui va servir de modèle au sculpteur, c’est un personnage imaginé, mais imaginé en fonction de données réelles. Il y avait à cette époque des Suisses vivant à Sétif, car il y avait là des structures commerciales et bancaires suisses. Il y a dans ce personnage la part du hasard, de l’inattendu dans un travail artistique. Puis, lors de sa rencontre fortuite avec le sculpteur, elle va sans le vouloir attirer son attention : elle porte un bracelet qui est un bijou berbère… Beau prétexte pour des échanges, une ouverture. L’attention du sculpteur est d’autant plus grande qu’il ne sait rien des Berbères, pratiquement rien de ce pays pour lequel il a reçu une commande très vague, qu’il n’est jamais venu ici et qu’il n’y viendra jamais. Rien ne prédisposait Amélie à devenir le modèle posant nue pour le sculpteur. Mais les histoires personnelles, la volonté commune d’échanges, le besoin de comprendre le monde dans lequel on vit et d’aller au-delà des conventions sociales, culturelles, religieuses, pour laisser une trace d’un espoir d’humanité libre de toutes ces contraintes ont amené Amélie à accepter de poser nue pour cette sculpture qui serait placée dans cette ville qu’elle ne pouvait oublier.

La trame revient également sur l’attentat de 1997 (la fontaine attaquée à la dynamite par des intégristes) et victime de vandalisme en 2017 et en 2018, soit après sa restauration. Que pensez-vous de ces actes à l’encontre de ce patrimoine ? 
On nous parle beaucoup de patrimoine matériel et immatériel, de son importance, de sa protection etc. Cette statue ne fait-elle pas partie du patrimoine algérien et au-delà ? À moins que ces barbares ne soient que des obsédés sexuels. Une femme nue ! Ou encore, et l’un n’empêche pas l’autre, les auteurs de ces actes ne sont que de sinistres individus, ignorants et incultes, formatés par des idéologies sanguinaires et qui sont loin du savoir, pourtant sacré. Une autre lecture, une autre interprétation peut être faite : ces actes ne sont-ils pas, dans le fond et la forme, les mêmes, initiés par les mêmes idéologies, que ceux rapportés par la presse dans les rubriques faits divers : une femme tuée par son mari, une femme poignardée par son père, une femme découpée en morceaux par son frère… La statue et la femme, mêmes victimes, et ce, au XXIe siècle…

Vous avez indiqué que la sculpture de cette femme, plusieurs fois restaurée, n’est plus la même. Mais elle continue à recevoir “les confidences de toutes celles qui viennent près d’elle”...
Certes, elle n’est plus tout à fait la même, mais heureusement, elle est toujours là et elle continue à recevoir les confidences des Sétifiennes et Sétifiens et beaucoup font des selfies tout près d’elle. Peut-être, et c’est ce que j’ose espérer, de façon raisonnée ou autre, les gens tiennent à elle, au-delà des circonstances. Cette nudité féminine, physique et symbolique, renvoie celui ou celle qui la regarde à l’aube de l’humanité, ou à une humanité rêvée, espérée, au-delà des histoires et de l’histoire. Un temps qui ne connaissait pas encore la toute- puissance du pouvoir, la volonté de domination, sous toutes ses formes, l’attrait pour les richesses, les frontières, les guerres, le rejet de l’autre… Cette statue, bien présente et silencieuse, toujours à l’écoute, nous incite à suivre son regard, signe d’une quête infinie et partagée par quelques-uns. Un corps de femme dans sa vérité nue, un regard qui va toujours au-delà de l’espace et du temps, et la source… vitale pour tous. Francis de Saint Vidal, de là où il est, doit être heureux que tout ce qu’il avait mis dans cette œuvre soit encore partagé. 
 

Propos recueillis par : MOUSSA OUYOUGOUTE

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